Brooklyn Museum - New York

Frida Kahlo, la “mexicanité” jusqu’au bout des ongles

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Elle fut une artiste majeure, mais pas seulement ! Son style unique et reconnaissable entre tous fit d’elle une œuvre à part entière. C’est ce que l’on peut découvrir au travers de ses peintures et de ses photographies, mais surtout des tenues et objets de l’artiste, redécouverts en 2004 après avoir été jalousement conservés dans sa maison. Retour sur l’icône suprême de la « mexicanidad », camarade investie et reine du selfie.
Nickolas Muray, Frida et l’idole
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Nickolas Muray, Frida et l’idole, 1939

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Courtesy & © Nickolas Muray Photo Archives

« Je suis un mélange », se plaisait à dire Frida Kahlo. Mexicaine par sa mère, Allemande par son père, elle revendique très tôt ses origines mixtes. Née Magdalena Carmen Frida Kahlo y Calderón en 1907, elle n’en retient que la partie allemande, pour rendre hommage à ce père photographe qu’elle aime tant. C’est lui qui, dès sa plus tendre enfance, lui apprend à poser devant l’objectif, préparant ainsi le terrain de ses multiples autoportraits. Et, pourtant, ce sont surtout ses racines mexicaines, sa « mexicanidad », qu’elle embrassera toute sa vie. La famille de sa mère est originaire du Tehuantepec, au sud du Mexique, région aux traditions vestimentaires marquées, loin de l’influence coloniale espagnole.

Frida Kahlo décide d’adopter le style local très rapidement, notamment les huipiles, sortes de chasubles aux broderies chatoyantes. Tout d’abord parce qu’elle n’aime pas les conventions, comme en témoignent ses tenues dès l’adolescence : une photo de famille la montre à 19 ans, vêtue d’un costume trois pièces masculin, les cheveux plaqués en arrière. Par ailleurs, les huipiles et grandes jupes traditionnelles lui permettent de masquer habilement ses infirmités : à 18 ans, un terrible accident de tram lui a brisé la colonne vertébrale, le bassin et la jambe droite (déjà atrophiée par la poliomyélite, contractée à 6 ans), tandis que son ventre fut transpercé par une barre métallique. Mais c’est surtout pour des raisons politiques que Frida Kahlo décide d’embrasser la « mexicanidad  ».

Frida Kahlo, Coiffe traditionnelle “Resplandor” (vue de l’exposition du Brooklyn Museum) et “Autoportrait en Tehuana”
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Frida Kahlo, Coiffe traditionnelle “Resplandor” (vue de l’exposition du Brooklyn Museum) et “Autoportrait en Tehuana”, 1943

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Huile sur carton • 76 x 61 cm • Coll. The Jacques and Natasha Gelman Collection of 20th Century Mexican Art and the Vergel Foundation • © Brooklyn Museum. © 2019 Banco de México Diego Rivera Frida Kahlo Museums Trust, Mexico, D.F. / Adagp, Paris

Elle décide que tout en elle doit incarner la culture mexicaine, de ses actions à ses œuvres, en passant par son style, manifeste de son engagement politique.

Car Frida Kahlo grandit avec la révolution mexicaine de 1910 et entre au Parti Communiste à 18 ans. Elle décide alors que tout en elle doit incarner la culture mexicaine, de ses actions à ses œuvres. Elle participe à des manifestations, héberge Léon Trotsky et sa femme dans la Casa Azul, cette maison familiale où elle est née, vit et mourra, tout près de Mexico. Son style, méticuleusement réfléchi, est aussi un manifeste de son engagement. Elle assortit son rebozo – grand châle coloré – aux fleurs piquées dans ses cheveux, comme à son rouge à lèvres ou à son vernis. Elle arbore dans un fameux autoportrait un resplandor, grande coiffe traditionnelle en dentelle, et ses tenues vibrantes seront immortalisées par de nombreux photographes.

Sa Casa Azul est, elle aussi, un manifeste de sa mexicanidad : construite par son père, la maison à la décoration d’abord bourgeoise est repeinte en bleu azur par l’artiste, qui s’y installe avec son mari Diego Rivera dans les années 30. Les murs et étagères abritent une collection grandissante d’artefacts locaux : des centaines de retablos, ex-votos mexicains, des masques de pierre, vases mayas, figurines en céramique, squelettes en papier mâché et autres objets d’art populaire mexicain… Au total, plus de 59 000 objets peupleront cette collection !

Frida Kahlo, Autoportrait avec des singes
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Frida Kahlo, Autoportrait avec des singes, 1943

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Huile sur toile • 81,5 × 63 cm • Coll. The Jacques and Natasha Gelman Collection of 20th Century Mexican Art and the Vergel Foundation • © 2019 Banco de México Diego Rivera Frida Kahlo Museums Trust, Mexico, D.F. / Adagp, Paris

Les Américaines, qu’elle compare à des épouvantails sans éclat, admirent son style.

Le jardin lui aussi est une lettre d’amour au Mexique, avec sa nature luxuriante, ses chiens aztèques, perroquets, singes et même un faon apprivoisé. Frida Kahlo s’immortalisera d’ailleurs dans sa jungle, avec son Autoportrait avec des singes. Elle affirme sa différence lors de ses voyages aux États-Unis, qu’elle surnomme Gringolandia, lorsqu’elle y suit Diego Rivera, parti y réaliser des fresques. Les Américaines, qu’elle compare à des épouvantails sans éclat, admirent son style : « Les gringas m’aiment vraiment beaucoup et remarquent toutes les robes et les rebozos que je porte. Leurs mâchoires se décrochent à la vue de mes colliers de jade et tous les peintres veulent que je pose pour eux. » Véritable icône de mode, elle pose pour une série photos dans le Vogue américain de 1937. Comme le résume, l’année suivante, Bertram Wolfe, toujours dans Vogue : « Madame Rivera semble elle-même un produit de son art, et, comme le reste de son œuvre, un produit bien composé, de manière instinctive et calculée. » Car l’artiste contrôle son image comme personne.

La Casa Azul regorge de miroirs, disposés du sol au plafond, dans lesquels Frida Kahlo se mire sans cesse, étudiant ses poses au millimètre. Elle est toujours apprêtée et coiffée, même lorsqu’elle n’attend personne. Reine de la mise en scène, elle aurait probablement été une star d’Instagram aujourd’hui ! L’artiste aime se présenter de manière tour à tour féminine et masculine, brouillant les codes à loisir. D’ailleurs, si Diego Rivera est le grand amour de sa vie, on lui prête nombre d’aventures avec des hommes, mais aussi des femmes. Elle n’hésite pas à souligner l’ombre de sa moustache, ou ses sourcils qui semblent n’en former qu’un… Cette liberté emblématique d’une sexualité fluide contribue sans doute à son aura actuelle. Quoi qu’il en soit, tout dans sa vie est source de création.

Frida Kahlo, Corset en plâtre peint et jambe prothétique avec chaussure en cuir
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Frida Kahlo, Corset en plâtre peint et jambe prothétique avec chaussure en cuir

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Coll. Museo Frida Kahlo, Mexico • Photos Javier Hinojosa / Courtesy V&A Publishing / © Diego Rivera and Frida Kahlo Archives, Banco de México, Fiduciary of the Trust of the Diego Rivera and Frida Kahlo Museums / Adagp, Paris 2019

Frida Kahlo parvient même à faire de son infirmité un fabuleux prétexte à sa créativité. C’est d’abord parce qu’elle est immobilisée après son accident de tram qu’elle se met à peindre. Elle parvient ensuite à transcender la souffrance qu’elle endure (elle subira trente-cinq opérations) : elle peint ses corsets de plâtre à l’aide d’un miroir, personnalise ses chaussures pour les rendre plus confortables et soutenir son pied droit abîmé, dépeint sa colonne brisée dans un autoportrait. Elle inclut ses corsets dans ses œuvres, choisit de les montrer en photo ou non, et fait de son infirmité une œuvre d’art. C’est malheureusement cette santé fragile qui lui coûte la vie à seulement 47 ans, quelques mois après l’amputation de sa jambe droite. Elle est incinérée, conformément à son souhait : elle ne pouvait imaginer être enterrée dans la position allongée qui lui fut si douloureuse toute sa vie. Ses cendres reposent sur son lit dans la Casa Azul, dans une urne figurant son visage. L’artiste aura contrôlé son image jusqu’au bout.

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Frida Kahlo : Appearances Can Be Deceiving

Du 8 février 2019 au 12 mai 2019

Retrouvez dans l’Encyclo : Frida Kahlo

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