Marilyn, un poème de Pasolini : épisode • 3/4 du podcast Semaine Poésie - Salon de beauté

Marilyn dans un restaurant de la ville de New York, mars 1955. ©Getty - Ed Feingersh/Michael Ochs Archives
Marilyn dans un restaurant de la ville de New York, mars 1955. ©Getty - Ed Feingersh/Michael Ochs Archives
Marilyn dans un restaurant de la ville de New York, mars 1955. ©Getty - Ed Feingersh/Michael Ochs Archives
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Avec l’un de ses plus beaux poèmes, Pasolini revient aux racines du drame, la pauvreté initiale, l’immense vulnérabilité de la beauté. C’est un poème de Pier Paolo Pasolini, traduit par René de Ceccaty dans le recueil "La Persécution".

Avec

Pier Paolo Pasolini, "Marilyn", issu du recueil La persécution, paru dans Une anthologie (1954-1970), préface et traduction René de Ceccatty, aux éditions Poésie Points. 

Lecture : Jacques Bonnaffé

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Du monde antique et du monde futur
n’était resté que la beauté, et toi,
pauvre petite sœur cadette,
celle qui court derrière ses frères aînés,
et rit et pleure avec eux, pour les imiter,
et se met leurs écharpes,
touche en cachette leurs livres, leurs canifs,

toi petite sœur la plus jeune de toutes,
cette beauté tu la portais humblement,
avec ton âme de fille du petit peuple,
tu n’as jamais su que tu l’avais,
parce que autrement ça n’aurait pas été de la beauté.
Elle a disparu, comme une poussière d’or.

Le monde t’en a donné conscience.
Ainsi ta beauté est devenue sienne.

Du stupide monde antique
et du féroce monde futur,
était resté une beauté qui n’avait pas honte
de faire allusion aux petits seins de la petite sœur,
au petit ventre si aisément dénudé.
Et c’est pourquoi c’était de la beauté, celle-là même
qu’ont les douces mendiantes noires,
les gitanes, les filles de commerçants
qui gagnent les concours de beauté, à Miami ou à Rome.
Elle a disparu, comme une colombe d’or.

C’est le monde qui t’en a donné conscience,
et ainsi ta beauté a cessé d’être beauté.

Mais tu continuais à être enfant,
idiote comme l’Antiquité, cruelle comme l’avenir,
et entre toi et ta beauté accaparée par le pouvoir
se sont mises toute la stupidité et la cruauté du présent.
Tu l’emportais, comme un sourire entre les larmes,
impudique par passivité, indécente par obéissance.
L’obéissance exige bien des larmes qu’on ravale.
Et de se donner aux autres regards trop gais,
qui demandent leur pitié.
Elle a disparu comme une blanche ombre d’or.

Ta beauté, survivante du monde antique,
exigée par le monde futur, accaparée
par le monde présent, devint ainsi un mal.

Maintenant les grands frères se tournent enfin,
arrêtent un instant leurs maudits jeux,
sortent de leur inexorable distraction,
et se demandent : « Se peut-il que Marilyn,
la petite Marilyn nous ait indiqué la voie ? » Maintenant c’est toi,
la première, toi la plus petite des sœurs, celle
qui ne compte pour rien, pauvre petite, avec son sourire,
c’est toi la première au-delà des portes du monde
abandonné à son destin de mort.

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