Reportage

Nous nous sommes faufilés parmi les copistes du Louvre

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C’est une tradition vieille comme le musée ! Dans les salles du Louvre, au beau milieu des visiteurs, des peintres triés sur le volet copient méticuleusement des toiles de maître derrière leur chevalet, tout comme le firent Eugène Delacroix ou Henri Matisse en leur temps. Nous avons voulu savoir qui étaient aujourd’hui les heureux élus de cette pratique très encadrée…
Shoshi Yano, copiste japonais, travaille depuis six jours seulement sur la “Brioche” de Jean Siméon Chardin. Le copiste confesse « un coup de cœur pour l’extrême simplicité » de cette nature morte.
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Shoshi Yano, copiste japonais, travaille depuis six jours seulement sur la “Brioche” de Jean Siméon Chardin. Le copiste confesse « un coup de cœur pour l’extrême simplicité » de cette nature morte.

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Musée du Louvre • Photo Maurine Tric

Aile Richelieu, salle 825. Il enlève un de ses écouteurs et montre : « Tu vois ces deux vieilles dames ? Elles vont à contresens de ceux qui fuient, je n’y avais jamais vraiment fait gaffe avant. Il y a quelque chose de très cinématographique chez Poussin ». Thibault Bouedjoro, la palette en main et du rap dans les oreilles, est toujours content quand on lui parle. Il a pourtant un sacré challenge à relever : disséquer les secrets du prince du classicisme français pour exécuter une copie de L’Enlèvement des Sabines (1637–1638). Pas une mince affaire ! Comme cet étudiant à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts, ils sont chaque année quelque 200 copistes à venir imiter des toiles de maître au musée du Louvre. Cette activité rassemble, de septembre à juin, les jours d’ouverture du musée entre 9 h 30 et 13 h 30, une large palette de profils : autant d’hommes que de femmes, des étudiants comme des amateurs ou des professionnels, la moitié étant Français et l’autre étrangers.

Thibault Bouedjoro copiant « L’Enlèvement des Sabines » de Poussin (1637-1638)
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Thibault Bouedjoro copiant « L’Enlèvement des Sabines » de Poussin (1637–1638)

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Musée du Louvre • Photo Maurine Tric

« C’est un service aussi vieux que l’institution », explique Isabelle Vieilleville-Noury, la directrice du bureau des copistes. Ici, c’est elle qui veille au maintien de cette tradition inscrite dans les statuts du musée dès sa création. Petit rappel historique : en 1793, l’assemblée révolutionnaire décide de réunir, au sein du palais du Louvre, les œuvres majoritairement issues des collections royales, pour les rendre accessibles au peuple. Le Museum central des arts de la République est né ! Grâce au musée, les jeunes peintres se dessinent une vocation et forment leurs regards en imitant les anciens – presque un passage obligé dans leur apprentissage.

Une copiste à l’œuvre devant « Eliezer et Rebecca » de Nicolas Poussin (1648)
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Une copiste à l’œuvre devant « Eliezer et Rebecca » de Nicolas Poussin (1648)

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Musée du Louvre • Photo Maurine Tric

Avec 90 chevalets disponibles, n’est pas copiste qui veut. « Pour être admis, poursuit Isabelle Vieilleville-Noury, il faut prouver son niveau de pratique artistique, documents à l’appui (dessins préparatoires, aquarelles…), avant d’obtenir l’accord du conservateur », détaille celle que tous les agents de surveillance du musée reconnaissent immédiatement, un poste autrefois joliment nommé « gardien des chevalets ». Isabelle Vieilleville-Noury traite des centaines de demandes de copies, trimestre après trimestre. L’autorisation de copier est accordée pour trois mois, renouvelable (sous réserve) chaque année pour une œuvre de leur choix, laquelle doit bien entendu être accrochée en salle.

La copie doit beaucoup à Chardin, un des premiers « gardiens de chevalets » et promoteur de cette activité, encore aujourd’hui gratuite.

Si les élèves sont prioritaires, les amateurs ont aussi leur chance. Isabelle Vieilleville-Noury a justement rendez-vous avec l’un de ces autodidactes qui, ce matin, s’apprête à repartir avec sa copie. Assise sur son tabouret, Catherine Balpe l’attend devant son Saint Guillaume d’Aquitaine par Simon Vouet, fraîchement achevé au terme de 120 heures de travail : « C’est ma septième copie au Louvre, sourit-elle avant de ranger son tablier maculé de couleurs. Je n’avais jamais copié dans le style caravagesque ; avec cette œuvre, j’ai beaucoup appris sur les couleurs et la lumière ». Les deux femmes gagnent ensemble un des locaux (parmi 13 autres) où sont entreposés les chevalets et les tabourets prêtés par le musée, et à leurs formalités pour la sortie de la copie. 

Osons le jeu de mots : la copie est rigoureusement encadrée. Au Louvre, les toiles vierges sont estampillées au verso par plusieurs tampons et un numéro de copie. Au recto, le cachet du musée sera recouvert par la peinture, mais restera visible à la radiographie : ce tatouage permet de retracer la généalogie de la copie, interdite de sortie avant l’expiration des trois mois accordés pour sa réalisation. Le format de la copie devra impérativement être inférieur ou supérieur d’un cinquième à celui de l’original. Enfin, il est évidemment prohibé de reproduire la signature de l’auteur de l’œuvre originale…

Michel Jean et sa “copie d’interprétation” de la salle 924
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Michel Jean et sa “copie d’interprétation” de la salle 924

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Musée du Louvre • Photo Maurine Tric

Pour Jiajun Zhang, originaire de Chine, « ce musée, c’est un rêve ».

La vente a posteriori ? La question sent aussi fort que la térébenthine. En tout cas, aucune transaction, ni carte de visite, ni site web visible n’est toléré autour des chevalets. De toute façon, les copistes s’en défendent : « On n’est pas là pour ça ! », s’amuse Michel Jean, qui a peint une bonne vingtaine de fois au Louvre et tout conservé religieusement. Ce matin, cet artiste-peintre a retourné sa « copie d’interprétation » de la salle 924. Ces vues, non de tableaux mais de salles, sont une spécificité du Louvre qu’on ne trouve pas dans les autres musées : « J’ai mal attaqué le parquet, alors je le retravaille, explique-t-il. J’attends les beaux jours, que les gens se découvrent un peu, pour placer des personnages ». Il reste encore du travail…

On peine à le croire tant le résultat inspire déjà la gourmandise, mais Shoshi Yano, Japonais de 33 ans, travaille depuis six jours seulement sur la Brioche (1763) de Jean Siméon Chardin [ill. plus haut]. Le copiste confesse « un coup de cœur pour l’extrême simplicité » de cette nature morte. D’ailleurs, au Louvre, la pratique de la copie doit beaucoup à Jean Siméon Chardin, un des premiers « gardiens de chevalets » et promoteur de cette activité, encore aujourd’hui gratuite. Shoshi Yano ne pouvait espérer mieux : « Le Louvre est une des meilleures écoles ».

Jiajun Zhang, venu de Chine, s’attaque au « Portrait de l’artiste tenant un chardon » (1493) d’Albrecht Dürer. 
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Jiajun Zhang, venu de Chine, s’attaque au « Portrait de l’artiste tenant un chardon » (1493) d’Albrecht Dürer. 

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Musée du Louvre • Photo Maurine Tric

La demande ne cesse d’ailleurs de croître. De toute la France, des États-Unis, de Corée, du Japon, de Russie… elles arrivent du monde entier ! Pour Jiajun Zhang, originaire de Chine, « ce musée, c’est un rêve ». Ce petit-fils de calligraphe n’a que 28 ans, mais déjà suffisamment de maturité pour s’attaquer au Portrait de l’artiste tenant un chardon (1493) d’Albrecht Dürer : « Il reste une vingtaine de jours pour finir, je m’attaque au glacis… Je recherche les couleurs originelles ». Le jeune homme se tient campé à un mètre de la toile du maître de l’école du Nord – encore un privilège du Louvre, les autres institutions muséales autorisant plutôt trois mètres. La copie arrête net, par sa ressemblance, tous les visiteurs de passage dans la salle.

Gladys Heraud, vingt-cinq ans de copie au compteur, devant une œuvre de Quentin Metsys.
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Gladys Heraud, vingt-cinq ans de copie au compteur, devant une œuvre de Quentin Metsys.

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Musée du Louvre • Photo Maurine Tric

Malgré une fréquentation qui bat des records chaque année – 10 millions en 2018 ! – les copistes travaillent avec zen : « En règle générale, les visiteurs sont bienveillants avec nous », raconte Gladys Heraud. On peut la croire sur parole, la dame ayant vingt-cinq ans de copie au compteur : « Il y a eu Rembrandt, Léonard, Ghirlandaio, Antonello de Messine, Guido Reni, Chardin, égrène-t-elle comme un chapelet. Maintenant, c’est Metsys qui m’obsède ! Il y a beaucoup de détails ». Pour les perles ? Gladys Heraud donne son « truc » : « J’ai lu que les peintres de l’école flamande se servaient de cornets percés… moi j’ai utilisé une seringue ! ».

« Apprendre à voir » : d’un chevalet à l’autre, toujours le même son de cloche. Tel est le but que tous se sont fixés en venant copier au Louvre. 13 h sonne et les copistes commencent à ranger leurs pinceaux et leurs couleurs pour aller remiser leurs chevalets. Dans un étrange ballet, Poussin, Dürer, Metsys, et d’autres maîtres quittent les salles… sous les smartphones des visiteurs curieux !

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