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Politique

Chantal Jouanno dézingue le Grand débat de Macron

Chantal Jouanno, toute de noir vêtue, nous a reçus le 18 mars dans ses bureaux de la CNDP, installés au sein du Ministère de l’Ecologie, au 244 boulevard St Germain à Paris. Détendue et affable, elle a expliqué point par point pourquoi la Commission spécialisée dans le débat public qu’elle préside depuis mars 2018, a refusé de se porter garante du Grand débat national. 

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Chantal Jouanno, présidente de la Commission nationale du débat public.

Chantal Jouanno, présidente de la Commission nationale du débat public, a reçu Challenges.

Bruno Delessard pour Challenges

C’est elle, Chantal Jouanno, qui devait piloter le "Grand débat national". En tant que présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), l’autorité administrative indépendante qui organise des consultations publiques depuis vingt ans: un vrai savoir-faire, un budget annuel de 3,5 millions d’euros et un salaire mensuel de 14.700 euros brut pour sa présidente! La somme, mise sur la place publique le 7 janvier, avait fait bondir. "A partir de là, raconte l’ex-ministre des Sports de Nicolas Sarkozy, je suis devenue le symbole de l’injustice sociale. Et ne pouvais donc plus rester la garante du Gand débat national, dont le ferment était précisément l’injustice sociale." Elle abandonne donc la mission confiée par le Premier ministre le 14 décembre: organiser et garantir le Grand débat, sur fond de crise des gilets jaunes. "Mon retrait n’empêchait pas la CNDP de faire le job, mais sans moi!" Le 9 janvier, pourtant, les vingt-cinq commissaires refusent à leur tour. Un coup dur pour le gouvernement, qui mettra quelques jours à se retourner.

"Ils ont confondu débat public et campagne électorale"

Pour Chantal Jouanno, l’exécutif l’a bien cherché. Jean-Louis Borloo, qu’elle a suivi un temps à l’UDI, avant de quitter la politique, l’avait prévenue: "Il était très réservé. Et m’a conseillé de fuir si ça sentait le roussi." Car, en réalité, le gouvernement a tenté de l’instrumentaliser. Comme lui sur les banlieues, il y a un an. Elle dit posément: "Ce qu’Emmanuel Macron et le gouvernement ont organisé, ce n’est pas un débat public, mais une opération de communication politique." La CNDP consulte le public, recueille la parole du peuple, écoute les citoyens depuis 1995. Cela ne s’improvise pas. Mais, pour Jouanno, le pouvoir n’a rien voulu entendre! "Ils ont confondu débat public et campagne électorale. Ecouter, cela n’est pas convaincre. Ni faire de la pédagogie."

L’ex-championne de karaté ne met pas tout le monde dans le même sac. "Il y a ceux, comme Edouard Philippe, qui considéraient qu’ils détiennent la légitimité démocratique, qu’ils ont été élus sur un programme et qu’il n’y a pas à discuter. Ceux-là, au moins, sont clairs." Ensuite, il y a ceux qui étaient terrorisés à l’idée que le débat parte dans tous les sens. Et enfin, il y a ceux qui croient savoir. "C’est un travers des politiques, et notamment à En marche", note celle qui assure être apolitique. Sous prétexte d’avoir mené une campagne présidentielle participative, ceux-là n’en ont fait qu’à leur tête. Parmi eux, le désormais célèbre conseiller politique du président de la République, Ismaël Emelien, aujourd’hui sur le départ. Or, ce sont eux qui ont eu gain de cause à l’Elysée. "On n’a pas beaucoup vu Emmanuel Macron en position d’écoute", constate Jouanno. Ce n’est de toute façon pas son fort, ajoute celle qui avait écrit dans un rapport sur la programmation énergétique que l’on frôlait "la jacquerie fiscale". C’était en août 2018.

"L’exécutif voulait corriger le rapport final!"

Pas d’écoute réelle, et un débat fermé. Par des lignes rouges. "Pourtant fortement déconseillé." Et par un questionnaire. Une hérésie au pays du débat public: "On y est très très réticent car les questions sont vite orientées. Imaginez qu’on a demandé aux Français, au sujet des impôts, lesquels ils souhaitaient baisser sans jamais poser la question inverse!" La bonne matière première, c’est le verbatim: pas simplement pour ou contre, mais "pourquoi?". "Demander à quelqu’un s’il faut rétablir l’ISF n’a aucun sens. La bonne question est pourquoi le rétablir?, insiste-t-elle. Quand les gens argumentent, l’expérience de la CNDP montre que cela permet d’élaborer une cartographie complète et cohérente des valeurs qui comptent dans la société", soutient Chantal Jouanno. Le débat doit éclairer les décisions politiques qui restent, elles, entre les mains des politiques. Mais les conditions de restitution sont essentielles: qui rédige le compte-rendu? Et comment? Sur ce point, elle a vu rouge: "L’exécutif voulait pouvoir relire et corriger le rapport final!" Le gouvernement n’a d’ailleurs toujours pas clairement indiqué sa méthode. Cela promet pour la suite.

Chantal Jouanno reconnaît le succès quantitatif: 11.000 réunions d’initiatives locales, 1,5 million de contributions sur la plateforme. Sans oublier les conférences citoyennes en cours. "La multiplicité des sources, c’est quand même mieux que rien." Mais le manque de transparence et de crédibilité a produit un effet pervers: l’isomorphisme des participants. "C’est le grand écueil d’une consultation sujette à caution: les participants ressemblent aux organisateurs du débat. Les opposants ou les personnes isolées ne s’y rendent pas. Or, c’était justement ces populations-là que le gouvernement devait entendre."

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