La délinquance financière est une "menace grandissante" pour les Etats européens, a mis en garde lundi le nouveau procureur national financier, Eliane Houlette, qui entend constituer une "force de frappe" pour lutter contre corruption et fraude fiscale.

La procureure national financier, Eliane Houlette, ici au cours de son installation au PNF en 2014.

afp.com/Jacques Demarthon

Depuis des mois, la crise couvait au sein du parquet national financier (PNF), où sont regroupés 18 magistrats chargés de suivre des dossiers financiers parmi les plus délicats et aux enjeux les plus lourds. Créée en 2013 à la suite du scandale Cahuzac, cette structure centralisant les affaires complexes de fraude fiscale, de corruption, de trafic d'influence ou de délits d'initiés est dirigée depuis le début par Eliane Houlette, une magistrate chevronnée à la forte personnalité.

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La liste des enquêtes du PNF susceptibles de gêner les hommes de pouvoir, les grands groupes industriels ou les riches people est interminable... Les écoutes de Nicolas Sarkozy ou le financement présumé de sa campagne par des fonds libyens, les dossiers Fillon, Dassault ou Airbus, les emplois supposés fictifs des assistants parlementaires de plusieurs partis politiques, l'affaire Bygmalion, la fraude fiscale présumée de Google ou d'Isabelle Adjani, les investigations relatives à la banque suisse UBS, aux "Panama Papers" ou aux "Football leaks", les conditions d'attribution des Jeux Olympiques et bien d'autres encore, c'est le PNF qui en est chargé. Doté d'une compétence nationale, ce parquet est en relation avec des magistrats de nombreux pays et, au vu des dossiers qu'il gère, se retrouve au coeur de toutes les attentions et critiques - émanant souvent de ceux à qui la justice cherche noise. Mais pas seulement.

Lettre à la procureure générale de Paris

Depuis sa création, les membres de ce parquet semblent s'être divisés, certains n'hésitant pas à décocher en privé des flèches plus ou moins acérées à l'encontre de leur cheffe. Le cloisonnement de l'information, un style de management très personnel, l'attribution des dossiers les plus valorisants à des parquetiers "chouchous", voire le choix de certaines options dans le déroulé des enquêtes, les reproches adressés à la super-procureure seraient récurrents mais portés principalement par un des magistrats de l'équipe, et pas n'importe lequel : ce dernier est chargé notamment du financement présumé libyen de Sarkozy, de l'affaire Dassault ou de dossiers de taxe carbone. Il a également supervisé les investigations sur les primes en liquide de Claude Guéant, qui ont mené à la condamnation de l'ancien ministre. Il est notoire au palais de justice qu'Eliane Houlette et son substitut ne se parlaient désormais que lorsque nécessaire. Ils s'étaient opposés à plusieurs reprises lors de réunions internes, la première reprochant au second certains de ses raisonnements juridiques et remettant en question la qualité de ses rapports écrits.

L'Express peut révéler que ce magistrat a fini par prendre sa plume et rédiger au début de l'année une lettre adressée à la procureure générale de Paris, qui supervise tous les procureurs de la petite couronne parisienne comme ceux du PNF : Catherine Champrenault. Un acte rare dans le monde judiciaire, une vraie petite bombe au vu des enjeux soulevés par l'action du parquet financier : non seulement le magistrat fait part à la procureure générale de ses difficultés personnelles et humaines dans sa relation de travail au quotidien avec la cheffe du PNF, mais il livre une série de griefs a priori embarrassants pour cette dernière, à quelques mois de son départ (Houlette doit en effet quitter son poste en juin 2019). Ambiance...

Un cabinet d'avocats où travaille la fille d'Eliane Houlette

Selon nos informations, le conflit latent se serait cristallisé autour d'un gros cabinet d'avocats situé à Paris, un cabinet que connaît bien Eliane Houlette à plusieurs titres : non seulement ce cabinet est susceptible d'être mis en cause dans une affaire instruite au PNF, un dossier de délit d'initié commis à l'occasion de l'achat d'une société par le groupe Air Liquide ; les avocats en question ont d'ailleurs subi deux perquisitions de la justice dans le cadre de cette affaire. De plus, certains associés du cabinet interviennent régulièrement dans des procédures commerciales, et Eliane Houlette a été plusieurs années représentante du parquet au tribunal de commerce de Paris. Mais la cheffe du PNF le connaît aussi et surtout parce que sa propre fille, avocate, y travaille comme collaboratrice.

La proximité de la super-procureure avec ce cabinet d'avocats constitue-t-elle un conflit d'intérêts, voire a-t-elle été de nature à gêner l'enquête ? C'est la thèse que développe le magistrat frondeur dans son courrier à Catherine Champrenault. En vain, semble-t-il. Le parquet général et le PNF n'ont pas souhaité répondre à L'Express, mais Catherine Champrenault aurait considéré que le grief formulé à l'encontre d'Eliane Houlette n'était pas fondé juridiquement. Au vu de la situation de blocage entre la cheffe du PNF et son substitut, la procureure générale aurait proposé à ce dernier, lors d'un rendez-vous en début de semaine, de quitter le parquet national financier.

Après accord de l'intéressé la procureure générale a donc décidé de le muter, comme elle en a la capacité. Le magistrat a immédiatement quitté le PNF et été nommé en attendant la suite des événements "magistrat délégué auprès du parquet général", en poste à la section économique et financière. Les dossiers sensibles dont il avait la charge au PNF lui ont été retirés. De nouveaux magistrats vont devoir désormais reprendre à zéro les dossiers visant Sarkozy, Dassault et les autres...

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