Le féminisme, une "perversion" occidentale ?

Groupe de jeunes femmes iraniennes en 1979 manifestant pour leurs droits sous la domination de l'ayatollah Khomeyni ©Getty - 	Bettmann
Groupe de jeunes femmes iraniennes en 1979 manifestant pour leurs droits sous la domination de l'ayatollah Khomeyni ©Getty - Bettmann
Groupe de jeunes femmes iraniennes en 1979 manifestant pour leurs droits sous la domination de l'ayatollah Khomeyni ©Getty - Bettmann
Publicité

Retour sur une menace qui pèse sur le féminisme contemporain, ou plutôt une façon de le stigmatiser en le décrivant comme une idéologie « blanche », purement « occidentale », voire foncièrement « impérialiste ».

Paradoxalement, on retrouve aujourd’hui cette accusation aussi bien chez les prédicateurs islamistes que chez certains intellectuels qui se réclament du militantisme dit « post-colonial ». Or ce procès vient de loin, et pour l’évoquer je voudrais rendre hommage à une autre grande figure du féminisme américain, qui est morte il y a deux ans et que Gloria Steinem a bien connue, je veux parler de Kate Millet.

La Grande table idées
33 min

En 1979, Kate Millett est invitée à Téhéran par des Iraniennes qui s’apprêtaient à célébrer pour la première fois la journée du 8 mars. A ce moment-là, la révolution islamique vient de triompher, et Kate Millett s’en félicite, elle qui a fait campagne contre le régime du Shah et pour la libération de ses opposants. Son enthousiasme est d’autant plus fort, quand elle arrive, qu’elle sait le rôle-clef joué par les Iraniennes dans l’insurrection. Kate Millet les admire toutes, dans la diversité de leur présence, et elle évoque notamment, je cite, la « superbe image d’une femme seule sur un toit, en tchador, un vêtement magnifique ».

Publicité
En savoir plus : Kate Millett
Hors-champs
44 min

Mais si la révolution iranienne est largement l’oeuvre de femmes vêtues comme bon leur semble, la répression islamique va bientôt réserver la rue à celles qui portent le tchador. A toutes les autres, qu’ils considèrent comme des prostituées, les milices du nouveau pouvoir ne laissent qu’une alternative : « Le foulard ou la raclée ! » Dans son bouleversant récit intitulé En Iran, Kate Millett raconte cela. Elle décrit les escouades qui sabotent les défilés féminins par tous les moyens. Elle dit les cris, les grimaces, les coups de couteau. Et elle souligne que pour les mollahs le féminisme n’est qu’une perversion occidentale.

Du reste, Millett est vite expulsée par le gouvernement iranien, qui l’accuse d’être un agent de l’étranger. Cette façon de voir a des conséquences concrètes, elle se constate à même la peau. Il y a un beau passage où Michèle, une Française présente à Téhéran, retire son cardigan. Dessous, elle porte une chemise à manche courtes. « Je me rends compte, écrit Kate Millett, que c’est la première fois depuis dix jours que je vois les bras d’une femme en public. Pourtant il a fait chaud ». Remarquer qu’en Iran, sous Khomeiny, les bras des femmes sont tabous, est-ce de l’impérialisme occidental ? Kate Millett ne le croit pas. En l’affirmant, elle ne fait que répéter ce que disent ses amies iraniennes. C’est en pensant à elles que Millett entre dans l’avion. Et quand l’équipage lui annonce qu’elle et son amoureuse vont voler vers Paris, elles sautent de joie. Mettre le pied à Paris, pour elles, c’est arriver dans un pays où les bras des femmes ne sont pas tabous, où le désir est libre. Millett écrit les mot suivants, et on espère qu’ils ne seront pas entendus comme une logorrhée impérialiste : « je ne me souvenais même plus comment faire l’amour trois jours après notre arrivée à Paris, jusqu’à cette nuit où nous avons dormi sur le sol de l’appartement d’une amie, avec la plus belle vue sur les toits du Quartier latin, nous avons aperçu la lune, à ce moment-là seulement nous nous sommes senties libres ». 

L'équipe