Des gifles « pour ouvrir sa bouche » : l’aide-soignant d’Ehpad condamné à 5 ans ferme

Image d’illustration d’un Ehpad (Dicom/Sarah ALCALAY/SIPA)

Image d’illustration d’un Ehpad (Dicom/Sarah ALCALAY/SIPA) DICOM/SARAH ALCALAY/SIPA

Albert C., aide-soignant dans un Ehpad d’Arcueil a été condamné à 5 ans de prison pour avoir frappé et tiré les cheveux d’une résidente de 98 ans. Récit.

C’est parce qu’on n’a pas pu voir les vidéos qui montrent comment Monique*, 98 ans, a été agressée et insultée par Albert C., 57 ans, aide-soignant en Ehpad, que l’on s’attache, cet après-midi-là, aux gestes de Pierre Auda, qui préside la douzième chambre du tribunal correctionnel de Créteil.

Une fois, sa main droite remonte loin derrière son épaule pour mimer une gifle ; une autre, son poing se referme sur une chevelure imaginaire, violemment tirée vers le haut. Les mots qui figurent dans la vidéo sont répétés : « Tu me fais chier, espèce de vieille salope. »

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Albert C. comparaît ce 22 mars pour des faits de violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à 10 jours, sur une personne dont la vulnérabilité était connue de lui. Employé de nuit dans un Ehpad associatif d’Arcueil, ce père de famille a été filmé à son insu, entre le 5 et le 7 février dernier, giflant, donnant des coups de pieds et tirant les cheveux d’une résidente dont le fémur a été fracturé aux termes de l’épisode. Pendant le procès, les images ont été diffusées à huis clos, sur décision du tribunal.

Les trous dans les phrases

À l’origine de cette histoire, il y a une inquiétude apparue il y a plusieurs mois. Celle des deux filles de la victime qui ne comprennent pas cette mère qui leur dit parfois « cette nuit, dans la rue, il y a un homme qui m’a tapée », alors qu’elles n’ont jamais vu d’homme dans l’établissement. Il y a aussi la sénilité, les trous dans les phrases et les doutes. Les filles savent que leur mère oublie le passé récent, qu’elle ne se situe plus dans le temps, qu’elle est persuadée que ce mari avec qui elle a vécu pendant 74 ans est encore en vie. Alors cette histoire d’homme qui vient la taper dans la nuit, c’est quoi ?

En juillet dernier, les filles appellent l’infirmière en chef de l’établissement qui dit : « On se demande comment elle fait pour se taper aussi souvent et aussi fort sur la lèvre. » On leur explique qu’il y a bien un homme parmi les soignants, mais qu’il a toute la confiance de l’équipe et que la qualité de son travail est reconnue. Décembre suivant, elles demandent à être reçues par la direction de l’établissement. Monique présente quatre hématomes sur le visage. On leur dit qu’elle chute, qu’elle a tenté de se suicider.

« J’ai pété un câble »

À la barre, les deux sœurs, septuagénaires, se tiennent l’une contre l’autre. Calmement, à tour de rôle, elles expliquent que la caméra dans la chambre, « c’était la seule chose évidente qui [leur] restait à faire ». Le 2 février, le dispositif est installé. Dès les premiers jours, l’une d’entre elles pleure en regardant les images : « Maman était jetée sur son lit. Elle hurle. »

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Dans le box, dans sa chemise blanche qu’un costume sombre enrobe, le prévenu est figé. Il n’explique pas ses gestes. Gestes qu’il a d’abord niés auprès des policiers avant d’être confronté aux images. Aux enquêteurs, il a simplement dit avoir « pété un câble ».

Un peu plus tôt, le président a brossé le portrait d’Albert C., un homme sans histoires, sans casier judiciaire, sans addiction particulière, « bien noté, disposant de la confiance de sa direction ». Il a mentionné des « difficultés d’endettement », un crédit immobilier, un autre à la consommation, à cause desquels le prévenu aurait pris un deuxième emploi à mi-temps.

Il a aussi expliqué qu’Albert C. n’a jamais consigné la chute ou la fracture de la victime au registre des transmissions du service le soir des faits. Ça n’est que lors d’une perquisition au domicile du prévenu qu’un « brouillon de transmission » rédigé a posteriori a été découvert.

Des gifles « pour ouvrir sa bouche »

Aussi, quand le président essaie de savoir pourquoi Albert C. a giflé Monique, le prévenu répond : « Je ne sais même pas pourquoi, la fatigue ou quoi, voilà. » Et puis il s’embourbe, raconte que la victime avait tendance à ne pas boire suffisamment et que la gifle, c’était « pour ouvrir sa bouche ». Invoquant le surmenage, il répète machinalement : « Je m’en excuse auprès de la famille, encore une fois. »

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Manifestement consterné, le président enchaîne :

– Après les violences, vous continuez à l’insulter. Vous dites « t’es une salope, ta gueule ». Alors que c’est terminé tout ça ! Pourquoi vous continuez à l’insulter gratuitement ?

– C’est pas moi. J’arrive pas à comprendre ma réaction. J’ai toujours été respectueux envers les aînés.

– On n’en saura pas plus Monsieur ?

– Comme j’ai dit aux agents de police, je ne me reconnais pas.

Un « psychopathe » ?

Effectivement, on n’en saura pas plus. Pour la partie civile, l’avocate Caroline Moreau-Didier a rappelé que la victime était particulièrement soutenue par sa famille, qu’un de ses arrière-petits-fils avait même tenu à rejoindre la procédure en son nom.

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Ces proches, on les a vus faire bloc, dignes et déterminés, au premier rang. Leur avocate a formulé une demande de supplément d’information, craignant l’existence d’autres victimes au sein de l’Ehpad. Le président a rappelé que c’est une longue procédure et qu’on voit rarement les assises avant plusieurs années (encore faut-il que la demande soit reçue). Mais ça n’était pas la question : sur une des vidéos, on entend une autre aide-soignante du service administrer des gifles.

Caroline Moreau-Didier a parlé d’Albert C. comme d’un « psychopathe », quelqu’un de double-face « très apprécié, même au sein de l’Ehpad, qui n’a pas été capable de mener une enquête digne de ce nom ».

Le procureur de la République, elle, a rappelé que le prévenu se disait fatigué alors qu’il cumulait deux emplois et qu’il lui est arrivé de se vanter, dans un SMS échangé avec une collègue, de dormir au travail.

« Oui, j’entends le surmenage, la difficulté du travail, le manque de moyen [des Ehpad, N.D.L.R.], mais ça, c’est jeter l’opprobre sur toutes les personnes qui travaillent au service de nos aînés. On peut être fatigué mais on ne s’en prend pas aux autres. »

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Soulignant l’absence d’empathie du prévenu, elle a requis 5 ans d’emprisonnement dont un avec sursis « pour qu’il se souvienne qu’il a une épée de Damoclès au-dessus de lui, que la société continue de le regarder. » Elle a aussi requis une interdiction d’exercer une activité professionnelle en contact avec des personnes âgées ou vulnérables et demandé un placement en détention.

5 ans de prison, peine maximale

En défense, Anastasia Mandraveli a joué la carte de la crise des Ehpad en s’appuyant sur « un rapport parlementaire qui pointe la pénibilité des conditions de travail » (peut-être celui de Monique Iborra et Caroline Fiat ?) :

« Le manque de moyen n’excuse pas les actes, il permet de replacer le débat dans le contexte de la responsabilité collective […] Il est pas seul Monsieur. Il n’est pas arrivé seul à cette dégradation de ses actes. »

Elle a rappelé qu’il n’y avait que deux aides-soignants pour 85 résidents la nuit dans l’Ehpad où vivait Monique et où travaillait son client.

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Ses arguments n’ont pas été entendus. La cour a été au-delà des réquisitions du procureur en condamnant Albert C. a 5 ans de prison avec effet immédiat, soit la peine maximale dans ce genre de situation. Elle a retenu « la répétition des faits, leur ampleur, ainsi que la vulnérabilité de la victime ». La cour a par ailleurs prononcé une interdiction définitive d’exercer l’activité d’aide-soignant ainsi qu’une interdiction de séjour de 3 ans dans la ville d’Arcueil pour Albert C.

La demande de supplément d’information formulée par la partie civile a par ailleurs été rejetée.

Aujourd’hui, Monique est toujours hospitalisée, vraisemblablement contrainte de conserver une position allongée. Il n’est pas dit qu’elle puisse remarcher. À l’annonce du verdict, on s’est rappelé d’une phrase prononcée par le procureur pendant son réquisitoire :

« Madame est une victime. Elle doit l’entendre, même si elle doit l’oublier. »

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