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D’où viennent les nouveaux mots de la langue française ?

« Disrupter », « babache », « teriyaki »… les nouvelles entrées des dictionnaires témoignent d’une langue très influencée par l’anglais californien, et aussi d’une grande inventivité.

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Publié le 22 mars 2019 à 17h13, modifié le 27 mars 2019 à 20h35

Temps de Lecture 8 min.

Préparatifs avant le dix-huitième Sommet de la francophonie, qui s’est tenu les 11 et 12 octobre 2018 à Erevan, en Arménie.

Trois cents millions de locuteurs à travers les cinq continents, cinquième idiome le plus parlé au monde, second le plus enseigné… la langue de Molière et d’Orelsan rayonne, s’est félicité le ministère de la culture en ouverture de la Semaine de la langue française et de la francophonie, qui se déroule du 18 au 24 mars.

Et pourtant, nombreux sont ceux qui s’affolent de son supposé affaiblissement. « Halte au globish ! », écrivaient une centaine d’écrivains, essayistes, artistes et journalistes dans une tribune publiée par Le Monde le 26 janvier, face à la redoutable « shakespearisation » qui menacerait notre langue.

Certes, les anglicismes fleurissent dans le langage courant. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils font leur entrée dans les dictionnaires, qui agissent avec prudence, comme l’explique Carine Girac-Marinier, directrice éditoriale du Petit Larousse :

« Nous voulons être le témoin des évolutions de la société, mais pas intégrer un mot qui serait une mode, poussé par une actualité brûlante, et qui pourrait ne plus être utilisé dans quelques mois. On attend parfois deux ou trois ans pour être certains qu’ils soient toujours là et bien rentrés dans toutes les catégories de la langue française. »

Ainsi, des termes depuis longtemps usités dans certains milieux spécialisés (vidéoludique, rétrofuturisme, postapocalyptique, djihadisme…) ou militants (racisé-ée, invisibiliser) n’ont été lexicalisés que ces trois dernières années. Vous les retrouverez dans cet article en gras et en italique.

Nous avons analysé les mots ajoutés aux deux principaux dictionnaires, le Larousse et le Robert, dans leurs trois dernières éditions, soit 2017, 2018 et 2019. Il en ressort un corpus d’un total de 410 unités de lexique.

Que nous apprend ce corpus ? Qu’entre le replay télévisuel, le storytelling politique, la communauté queer ou encore l’univers des fanfictions, l’anglais est bel et bien, et de loin, la langue étrangère qui contribue le plus à l’enrichissement de notre vocabulaire. Mais, somme toute, la principale source d’évolution du français est… le français lui-même. Tour d’horizon.

[Les 410 mots apparus dans les dictionnaires depuis 2017 sont listés à la fin de cet article.]

Répartition des nouveaux mots du français par type d’origine

A eux trois, les termes issus du français, des régions et de la francophonie représentent plus de la moitié du vocabulaire nouveau.
Source : Robert, Larousse

Plus de la moitié viennent des différents types de français

  • 36 % : des évolutions internes du français commun

Cela peut ainsi paraître contre-intuitif, mais oui, la langue de Maître Gims est très forte pour se renouveler de l’intérieur. Néologismes (antépisode, grossophobie, écolabélisé, souplex, vapoteuse), mots composés (seul-en-scène, pollueur-payeur), acronymes (REP, ZAD), ou encore antonomases (bisounours, fraises mara, parkour) : son inventivité formelle est indéniable.

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Mais les nouveaux mots venus du français passent davantage inaperçus, ceux-là ressemblant souvent à des mots déjà existants. Difficile par exemple de se figurer que covoiturer ou déradicaliser sont des ajouts lexicaux récents. D’autres mots entrent seulement dans le dictionnaire alors qu’ils sont employés depuis longtemps dans certains milieux (vidéoludique, rétrofuturisme, djihadisme…) ou militants (racisé-ée, invisibiliser).

Par ailleurs, certains nouveaux termes ne le sont qu’en partie : c’est leur sens qui a changé. Ce phénomène, dit de « néosémie » en linguistique, a ainsi vu maraudeur définir un bénévole travaillant dans la rue, rageux une personne agressive sur Internet, et toxique un comportement destructeur. Ils sont compatibilisés par les dictionnaires comme de nouveaux mots : ils témoignent eux aussi de l’évolution de la langue.

  • 5,8 % : des emprunts aux régions

Autre vivier : le « terroir ». Travers d’un pays à la longue tradition jacobine, il est de coutume de réduire le français et son évolution à ceux du français parisien. Or la langue palpite aussi dans les régions, à l’image des charmants babache, biloute, ou encore poutouner, qui ont enrichi le lexique national.

Les régions ont récemment apporté aux dictionnaires tout un vocabulaire affectueux, à l’image du schmutz, un bisou alsacien ; poutouner, faire des bises dans le Poitou ; ou la miaille du Lyonnais, un bécot particulièrement bruyant. « Ce sont souvent des mots de dialectes qui sont d’abord passés dans le français régional avant de se diffuser », retrace le linguiste et étymologue Alain Rey, interrogé par Le Monde.

Le vocabulaire français de la gastronomie est lui aussi très redevable des spécialités locales. Ainsi du boucané de La Réunion et des Antilles, le mannele d’Alsace, la noisettine du Médoc (un pain à la noisette), la socca niçoise ou encore la gâche bretonne (qui, comme le mont Saint-Michel, est également revendiquée par la Normandie). Au pays de Rabelais, le gosier nourrit souvent la langue.

  • 14,6 % : des apports des pays francophones

C’est une bonne semaine pour le rappeler : le français ne vient pas que de France. Belgique, Suisse, Maroc, Cameroun, Sénégal… Toute la francophonie participe à l’évolution du vocabulaire, même si certains termes peuvent sembler totalement inconnus, voire incongrus à l’oreille d’un métropolitain.

Et sans surprise, c’est le français du Québec qui est la principale source de renouvellement du lexique, avec de nombreux néologismes liés aux technologies (baladodiffusion, téléverser), à l’environnement (carbocentre, éconeutre), aux transports (l’emportiérage, tant redouté des cyclistes) ou encore des emprunts à la gastronomie (les appétissants pets-de-sœur, sortes de pains au raisin mais à l’érable).

On doit au français de Belgique le très chic zythologue (pour un expert en bières), le dégagisme politique (lui-même emprunté à la Tunisie), ainsi que le très utile goûter de dix-heures. Côté Suisse, signalons les biscômes, pains d’épices décorés, et la cramine, ce froid tellement violent qu’il brûle la peau.

En Afrique francophone, le Maghreb a apporté deux néologismes créatifs, les facanciers (pour les émigrés marocains revenant passer leurs vacances au pays) et youyouter (crier « youhou »), et amené aux dictionnaires deux mots d’étymologie arabe, la fatiha (fiançailles musulmanes) et la fouta (carré de tissu d’origine berbère porté par les femmes à la taille).

Le Larousse et le Robert sont un peu moins précis quant à l’origine des termes venus d’Afrique de l’Ouest et du Centre. « On a parfois du mal à savoir dans quel pays le mot est apparu pour la première fois, et on préfère alors préciser la région », admet Carine Girac-Marinier. Ils attribuent néanmoins au Cameroun et à la Côte d’Ivoire faroter (soudoyer) et yoyette (jeune fille à la mode).

Près de 4 mots sont 10 sont empruntés aux langues étrangères

Viennent enfin les emprunts aux autres langues. C’est un fait, le français est « cleptolexe », il aime chaparder du lexique dans les dictionnaires de ses voisins – plus de 160, en trois ans. Pour ce faire, il peut procéder de trois façons.

La première est l’emprunt classique, à l’identique (comme futsal, création du portugais du Brésil, ou hoverboard, de l’anglais). La deuxième est l’adaptation, ou la francisation, qui donne un air plus local (la graphie youtubeur, ou la formation du verbe troller, respectivement à la place de youtuber et to troll).

Enfin, la dernière est la plus subtile : c’est le calque, qui reconstruit à l’identique une idée venue d’ailleurs en la traduisant (comme post-vérité pour post-truth ou licorne pour unicorn, en économie). Certains termes d’apparence franchouillarde viennent ainsi d’ailleurs (comme superaliments, calque de l’anglais superfood, ou intersexe, francisation de l’allemand intersex). Pour mesurer l’influence des langues étrangères, il faut considérer les trois.

  • 16,6 % de mots venus de l’anglais

La langue de Shakespeare est ultradominante. Ce n’est pas une nouveauté de cette dernière décennie. Ce qui l’est, c’est la répartition géographique des termes empruntés. « Ils sont à 80 % nord-américains et à 50 % californiens : tout le vocabulaire des jeunes, du hip-hop, de l’informatique, vient de là », relève Alain Rey.

Dans le détail, l’anglais est effectivement omniprésent dans l’informatique (blockchain, hackathon, open source, mais aussi les francisations cybersécurité, défaçage, webinaire ou les calques mégadonnées et rançongiciel). Il l’est aussi dans les communications sur Internet (chatbot, émoticône, GIF, like, retweeter, etc.), les questions de société (flexitarien, post-vérité, queer…), les loisirs (e-sport, gameurs, musical, spoiler, replay…) ou encore l’économie (disruption, fablab, startuper…).

Pour autant, la supposée invasion du français par l’anglais est exagérée, nuance Carine Girac-Marinier.

« On est sur une tendance stable. C’est vrai qu’un certain nombre d’anglicismes sont poussés par les nouvelles technologies, mais il y a une vivacité de la langue française qui les remplace peu à peu, et des anglicismes d’il y a trente ans ont disparu des dictionnaires. »

A l’image de computer, remplacé par ordinateur, ou les serials, par les séries.

Par ailleurs, en raison de leur longue histoire partagée, l’opposition entre l’anglais et le français est parfois artificielle. L’anglicisme couponing vient à l’origine du mot français coupon, alors que le verbe français geeker, formé sur l’anglais geek, n’a en réalité aucun équivalent outre-Manche, où le verbe to geek n’existe pas. « C’est ça qui est extraordinaire dans la créativité de la langue », s’enthousiasme Carine Girac-Marinier.

« Même si on fait un emprunt, derrière on va l’utiliser dans un contexte qui n’aura pas d’équivalent dans la langue source. il y a un va-et-vient entre les langues. »

  • 22 % : des emprunts à 16 langues différentes

Loin derrière l’anglais, le japonais et l’italien sont les deux langues auxquelles le français des dictionnaires a le plus emprunté depuis 2017. Du premier, un goût certain pour les saveurs nippones (gomasio, gyoza, teppanyaki, teriyaki, yuzu), mais aussi les arts traditionnels (kamishibaï, kirigami), et une certaine culture visuelle (émoji, kawaï) – ou encore le tonfa des policiers. Du second, une avalanche gastronomique qui témoigne de l’incroyable italophilie des palais français : spritz en apéro, une farandole de burratta, ciabatta, focaccia en buffet, et un ristretto servi par un barista en digestif.

Les emprunts à l’arabe sont très peu nombreux au regard de sa pénétration dans le parler populaire, à l’image de l’interjection sheh ! (« bien fait ! »). « On s’est posé la question pour “sheh”, il n’est pas encore entré, cela ne veut pas dire qu’il ne rentrera pas », tempère Carine Girac-Marinier.

« Nous avons deux critères, quantitatif (son occurrence), et qualitatif, qu’il traverse toutes les catégories de la population et tous les âges. Il est plutôt utilisé par les jeunes, les ados, et pas encore chez les quarantenaires et au-delà. »

Les autres langues sources ne fournissent que très peu de mots au français. Ces derniers proviennent surtout de l’univers de la nourriture : ainsi du chia (issu de l’aztèque) et du fonio (wolof), ou des thés rooibos (afrikaans) ou oolong (mandarin). S’y ajoutent des fruits exotiques, comme le combava (malais), la main de Bouddha (calque du tibétain) ou encore l’acérola (espagnol péruvien).

5 % de composés savants et créations supraétatiques

Last but not least, les inclassables. On chercherait en vain à définir leur origine : ils ne viennent pas d’un pays en particulier, mais de la communauté scientifique ou d’organisations supraétatiques. Les termes écosystémique, eurométropole et myéloprolifératif ont ainsi été formés et introduits par l’Organisation des Nations unies (ONU), la Commission européenne ou encore l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Les composés savants conçus par la communauté scientifique donnent quelques-unes des créations les plus surprenantes. A l’image de nihonium, élément chimique formé à partir d’un mot japonais (nihon, signifiant Japon) et un suffixe… latin. Preuve, s’il en est, que le français fait feu de tout bois pour s’enrichir.

Ce tableau recense des centaines de mots parmi les nouveaux apparus dans le dictionnaire entre 2017 et 2019.

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