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Politique

Henri de Castries : "Les impôts ne sont pas la solution"

Ancien président d’AXA, responsable du programme économique du candidat François Fillon en 2017, Henri de Castries, président de l’Institut Montaigne, insiste sur la nécessité de réduire la dépense publique à la sortie de la grande consultation nationale.

Rémy DessartsDavid Revault d’Allonnes , Mis à jour le
Henri de Castries livre son analyse de la politique macronienne.
Henri de Castries livre son analyse de la politique macronienne. © Divergence/Gilles Bassignac pour le JDD

Le programme économique de François Fillon pour la présidentielle , c'était lui. Henri de Castries, ancien dirigeant du groupe d'assurance AXA et actuel président de l'Institut Montaigne, think tank libéral, revient pour le JDD sur la politique économique d'Emmanuel Macron. Les réformes à faire et surtout celles à éviter. L'homme d'affaires livre son analyse et rappelle que la France est le pays d'Europe qui prélève le plus d'impôts sur la richesse nationale et celui qui investit le moins dans l'avenir.

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Comment jugez-vous le grand débat national lancé par Emmanuel Macron?
La participation très forte des Français prouve qu’en dépit des frustrations qu’ils ressentent, ils ont envie de proposer des solutions. La vraie question qui se pose, c’est : quelle est la bonne manière de changer le pays? Nous sommes le pays d’Europe qui prélève le plus d’impôts sur la richesse nationale, qui redistribue le plus, qui est le moins inégalitaire et qui, en même temps, investit le moins dans l’avenir. Depuis que la croissance a ralenti dans les années 1980, nous n’avons fait qu’augmenter notre endettement et notre fiscalité pour maintenir notre modèle.

Lire aussi - Emmanuel Macron défend ses réformes contre "la tyrannie d'une irréductible minorité"

Ce modèle est-il en péril?
Oui. Nous sommes dans un système qui fait coexister le gaspillage et la pénurie. Les dépenses publiques n’ont jamais été aussi élevées, et l’ensemble n’a jamais donné un tel sentiment de dysfonctionnement. Notre compétitivité n’est pas restaurée. Nous avons besoin de changements profonds.

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Le sujet n’est pas aujourd’hui de donner plus de moyens à l’État en désignant des boucs émissaires

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Quelles mesures fiscales faut-il prendre?
Le désir de "justice fiscale" est une fausse piste dans un pays où l’équivalent de 32% de la richesse nationale est consacrée à la protection sociale et aux revenus de transfert. Le risque, c’est de mettre en œuvre un nouvel accroissement des prélèvements. Les impôts ne sont pas la solution, mais une diversion qui arrange ceux qui ne veulent pas changer le système. Il faut s’attaquer aux causes, pas aux conséquences.

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Le gouvernement semble pourtant engagé dans un concours Lépine de la fiscalité…
A ce stade, ce sont heureusement des propositions individuelles. Le sujet n’est pas aujourd’hui de donner plus de moyens à l’État en désignant des boucs émissaires, c’est-à-dire en augmentant la fiscalité des entreprises et les classes moyennes aisées, qui payent déjà plus que partout en Europe. Cela reviendrait à prolonger la survie d’un système qui fonctionne mal sans apporter de réponse aux plus fragiles qui en sont les premières victimes.

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L'État doit se séparer de certaines de ses compétences et ressources au profit des collectivités locales

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Comment répondre aux attentes?
Il faut s'attaquer aux vrais problèmes : à l'éducation, aux transports, au logement, aux services publics, à la santé et face à la sécurité. L'école française est devenue la plus inégalitaire de toute l'OCDE alors que c'est celle dans laquelle on a investi le plus d'argent! Chaque année, 20% d'une classe d'âge entre dans la vie active sans qualification ni diplôme et ce sont eux qui ne maîtrisaient pas la lecture à la sortie du primaire… C'est d'ailleurs un des sujets sur lequel l'Institut Montaigne a fait le plus progresser les politiques publiques ces dernières années. C'est aux inégalités d'accès qu'il faut s'attaquer en priorité.

Que faut-il réformer dans le fonctionnement de l'État?
Avant tout, l'architecture des pouvoirs publics. Il faut repenser l'allocation des responsabilités entre les quatre niveaux d'administration : le local, la Région, l'État-nation et l'Europe. On n'est pas allé assez loin avec les lois sur la décentralisation. L'État doit se séparer de certaines de ses compétences et ressources au profit des collectivités locales. Par exemple, faut-il garder une gestion centralisée et monopolistique de Pôle emploi?

Pensez-vous que cette révolution culturelle va arriver?
Ce serait consternant de manquer cette opportunité. Si on la rate, c'est la démocratie qui sera dans une situation difficile.

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Le vrai sujet, ce n'est pas le niveau de déficit, mais le niveau de dépenses

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Êtes-vous confiant dans la capacité de Macron à apporter cette réponse?
J'espère, je souhaite qu'il ait la capacité à le faire. Des réformes longtemps attendues ont été engagées avant même le grand débat : sur le marché du travail, l'éducation, la formation professionnelle, la santé… Mais il y a d'autres domaines qui ne sont pas encore traités : les retraites, l'assurance chômage, les dépenses publiques. Et le vrai sujet, ce n'est pas le niveau de déficit, mais le niveau de dépenses. Il faut s'y attaquer. L'enjeu est de voir si une véritable vision réformatrice du pays continuera à être portée et se traduira en actes sans céder aux facilités des jeux tactiques.

Comment remédier au sentiment de déclassement des habitants des petites villes et des campagnes?
Il faut impérativement des processus de décision plus proches des territoires et des sujets. L'État français, dans sa forme actuelle, c'est comme un bel immeuble du XIXe modernisé en 1945 et en 1958. Mais il faudrait peut-être une nouvelle étape de rénovation… Car le coup de peinture de 1982 (les lois Defferre sur la décentralisation) n'a pas été suffisant et les locataires se plaignent!

Quelles mesures pourraient être prises dès la fin du débat?
Il y a peut-être des choses symboliques sur lesquelles on peut faire droit à des revendications : augmenter le pouvoir des maires, donner ­rapidement plus de compétences aux Régions… Mais certainement pas redistribuer du pouvoir d'achat, qui est en réalité de la dette… ­Au-delà des 10 milliards déjà distribués, la progression durable du pouvoir d'achat ne pourra venir que de la baisse de la dépense publique et de l'accélération de la croissance qui en résultera. Ceux qui pensent qu'on achètera le soutien du peuple ­français comme le faisaient les ­Romains décadents, en leur donnant du pain et des jeux, ne font que les mépriser.

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La démocratie directe a toujours été l'antichambre des régimes autoritaires

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Quelles réformes du système démocratique préconisez-vous?
Quand on commence à accepter un modèle dans lequel le respect du scrutin majoritaire est rapidement relativisé par la multiplication de revendications spécifiques incompatibles avec l'intérêt général, il ne faut pas s'étonner de ce que la démocratie soit affaiblie et le ­suffrage universel délégitimé. Je suis extrêmement sceptique quant aux référendums d'initiative directe. La démocratie directe a toujours été l'antichambre des régimes autoritaires. L'histoire montre que les démocraties représentatives ont impérativement ­besoin des corps intermédiaires. Il faut les aider à retrouver leur légitimité.

Le Président, en première ligne dans le grand débat, ne s'est-il pas mis en danger?
Si cela débouche sur une vraie ­réflexion sur l'organisation du pouvoir au XXIe siècle, ce sera formidable. C'est le rôle des dirigeants de porter une vision. Mais pour se concrétiser, celle-ci doit être mise en œuvre collectivement.

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