Corse : rien ne va plus entre l'État et les nationalistes

Annoncée dans l'île début avril, la visite d'Emmanuel Macron s'inscrit dans un contexte très crispé entre l'exécutif régional et l'Élysée.

Par , à Bastia

Manifestation le 23 mars à Ajaccio du collectif Parlemu corsu ! (Parlons corse !).

Manifestation le 23 mars à Ajaccio du collectif Parlemu corsu ! (Parlons corse !).

© PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP

Temps de lecture : 5 min

Les réflexes sont toujours les mêmes à la veille d'une visite présidentielle. Sur la banderole en tête de cortège, le mot d'ordre ne laissait guère de place au doute : « corsu ubligatoriu », le corse obligatoire dans les établissements scolaires de l'île. Un vieux classique dans la longue liste des revendications nationalistes. Derrière leurs élus, ils n'ont pas hésité à le rappeler dans les rangs de la manifestation du collectif Parlemu corsu ! (Parlons corse !), samedi 23 mars à Ajaccio.

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Le signe d'une visite qui s'annonce en terrain miné pour Emmanuel Macron, attendu dans l'île le 4 avril en clôture de son tour de France pour le grand débat. En effet, si le chef de l'État sillonne le pays pour tenter d'apporter une réponse à la colère qui s'exprime à travers les Gilets jaunes, il est certain que les échanges prendront un tour particulier en Corse. Au pouvoir depuis 2015, la coalition entre autonomistes et indépendantistes ne compte pas céder d'un pouce sur ses revendications : amnistie des « prisonniers politiques », autonomie, officialité de la langue corse...

Le 11 mars, lors d'une conférence de presse à Bastia, le parti Femu a Corsica (Faisons la Corse), proche de l'exécutif nationaliste, a déjà annoncé la couleur : « La venue du président Macron doit être impérativement l'occasion d'annoncer une nouvelle politique de l'État en Corse, en rupture avec l'attitude de déni démocratique adoptée jusqu'à aujourd'hui par Paris. »

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Des relations au point mort

Il faut dire que la dernière visite dans l'île d'Emmanuel Macron avait fait l'effet d'une douche froide pour l'état-major nationaliste. En février 2018, à Bastia, pressé par une manifestation nationaliste organisée à la veille de son arrivée à Ajaccio en guise de bienvenue, le chef de l'État avait opposé une fin de non-recevoir à toutes ses revendications. Le contexte de ce déplacement avait déjà donné le ton : le président de la République était venu avant tout pour commémorer l'assassinat du préfet Claude Érignac, abattu par un commando nationaliste en 1998.

Très loin des annonces attendues, l'entourage du pouvoir insulaire conserve en mémoire un « enchevêtrement de formules vexatoires et humiliantes pour le peuple corse ». Un coup dur pour les nationalistes, dont certains avaient fondé quelques espoirs dans l'élection d'Emmanuel Macron, séduits par le discours « girondin » affiché par le candidat d'En marche ! en campagne.

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En avril 2017, le patron du conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni, avait d'ailleurs lui-même appelé à voter pour Emmanuel Macron et à faire barrage au FN. Presque une hérésie dans le camp nationaliste, où l'on privilégie d'ordinaire l'abstention pour une élection présidentielle qui ne le « concerne pas ». Depuis, c'est peu dire que l'exécutif corse a reconsidéré sa position vis-à-vis d'un gouvernement qu'il juge intraitable. Les échanges entre Ajaccio et Paris sont depuis quelques mois au point mort ou presque. Le président indépendantiste de l'Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, va même jusqu'à railler les « visites touristiques » des différents ministres qui ont fait escale dans l'île ces derniers mois.

« L'État a face à lui des élus qui ne comptent pas rester les simples gestionnaires d'une région »

Dernier épisode en date : le déplacement à la mi-mars de la « madame Corse » du gouvernement, Jacqueline Gourault, en dit suffisamment sur le délitement de la relation. En ayant passé trois jours dans l'île, la ministre de la Cohésion des territoires n'aura pas seulement croisé ou entrevu Gilles Simeoni. « Des fois il dit oui, des fois il dit non, je n'en fais pas un drame, je m'adapte », a-t-elle commenté, non sans une lueur d'ironie. La ministre faisait référence au feuilleton des rendez-vous manqués entre le chef de l'État et le patron de l'exécutif corse. Symbole d'une relation tendue, le dernier contact entre les deux hommes a laissé l'image d'une épreuve pour le moins ubuesque. À la mi-février, estimant que les attentes de la Corse auprès de Paris sont restées lettre morte, Gilles Simeoni a décliné l'invitation du président de la République à un tête-à-tête à l'Élysée. Il a été décidé d'un échange téléphonique pour le lendemain, annulé à son tour par Emmanuel Macron, prétextant un impératif sur son agenda...

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L'épisode pourrait relever de l'anecdote, il n'en est pas moins un énième signe qu'une crispation s'est installée depuis plusieurs mois dans les relations entre les nationalistes et la capitale. « Le rapport du pouvoir central envers les territoires est problématique à l'échelle nationale, et c'est encore plus vrai en Corse, souffle un proche de l'exécutif nationaliste. L'État n'a pas compris ou ne veut pas comprendre qu'il a face à lui des élus qui ne comptent pas se limiter à être de simples gestionnaires d'une région. »

Une série d'attentats qui interroge

Ces derniers mois, l'activisme de la préfecture dans plusieurs dossiers, comme la gestion des déchets, l'aménagement du territoire ou la programmation énergétique, relevant au premier chef des compétences de la collectivité de Corse, a d'ailleurs eu le don d'irriter l'exécutif régional.

Pour autant, dans un contexte de défiance, un autre élément risque aussi de peser dans la relation entre l'État et les nationalistes : la récente série d'attentats survenus dans l'île. Dans la nuit du 10 mars dernier, après l'annonce de la visite d'Emmanuel Macron, pas moins de cinq explosions ont retenti du nord au sud de la Corse. Si ces actes n'ont toujours pas été revendiqués à ce jour, le choix des bâtiments visés semble, quant à lui, délivrer un message : des résidences secondaires et un projet immobilier, cibles privilégiées du nationalisme armé.

Alors que le FLNC a mis fin à la violence clandestine en 2014, faut-il voir dans ces événements un acte politique ou, pire, une résurgence de la lutte armée ? Du côté de l'Assemblée de Corse, on reste à la fois prudent et prévenant. Cité dans Corse-Matin le 12 mars, Jean-Guy Talamoni a eu toutefois cette formule sibylline : « Nous avons tout fait pour que la situation s'apaise. L'État a choisi l'ignorance, le mépris. S'il s'avérait que ces attentats s'inscrivent dans une démarche politique, la responsabilité incomberait à Paris. »

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Commentaires (37)

  • maraval59

    Lors de mes nombreux séjours en Corse je n'ai rencontré que des gens sympathiques qui n'ont rien à voir avec l'attitude agressive et les revendications des autonomistes... À se demander s'ils sont représentatifs de la population locale ou s'ils la prennent en otage ? D'un autre côté pourquoi la langue Corse ne serait pas tolérée aussi... Comme le catalan ou le breton ? Il faut pas céder sur tout mais il faut être censé et pas borné...

  • Abrraccourcix

    Les nationalistes corses gèrent leur île au meilleur coût pour les corses, au pire, pour les "francesi". Comment ça va se terminer ? Pas bien, c'est à craindre !

  • Iluro_64

    Il y a belle lurette que la Corse veut être indépendante. Je suis tout à fait favorable à ce qu'elle le soit, à la manière britannique avec l'Europe, une sorte de Corxit sans accord.
    Et bien sûr avec des frontières entre la France et la nouvelle démocrature aussi large et profonde que la Méditerranée. Dommage pour cette magnifique île qui en perdra sans doute sa beauté conservée avec les deniers de l'ex-mère patrie.

    Car, ne le perdons pas de vue, la position des nationalistes corses est aussi hypocrite et mensongère vis-à-vis du peuple que les politicards britanniques vis-à-vis de leur peuple.