Entre 2016 et 2018, le géant bancaire américain JPMorgan Chase aurait financé les énergies fossiles à hauteur de 195 milliards de dollars.
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Analyses

Trois ans après l’Accord de Paris, les banques financent toujours massivement les énergies fossiles

Entre 2016 et 2018, 33 des plus grandes banques mondiales ont accordé près de 1900 milliards de dollars de financements aux énergies fossiles, selon la dernière édition du rapport "Banking on Climate Change" publiée mercredi par une coalition internationale d'ONG. Si la part du lion revient aux banques nord-américaines, les championnes françaises y ont également largement contribué.

Les effets de l'Accord de Paris sur le comportement des banques tarde à se faire sentir. Selon la dixième édition du rapport Banking on Climate Change, publiée mercredi 20 mars par une coalition d'ONG parmi lesquelles Rainforest Action Network, BankTrack ou Sierra Club et soutenu par 163 organisations à travers le monde, les 33 plus grandes banques commerciales internationales ont accordé, entre 2016 et 2018, 1,9 billion de dollars de financements à quelque 1800 entreprises présentes sur les secteurs du charbon, du pétrole ou du gaz, soit environ 1 680 milliards d'euros. Pis, ces financements ont augmenté d'année en année, passant de 611 milliards de dollars en 2016 à 654 milliards en 2018 (+ 7 %). Sur la période, la part accordée à 100 entreprises identifiées par le rapport pour leur contribution majeure dans l'expansion des énergies fossiles dans le monde représente à elle seule 600 milliards de dollars. 

Parmi ces 33 banques, ce sont les géantes nords-américaines qui ressortent largement en tête, JPMorgan Chase ayant contribué à elle seule à hauteur de 196 milliards de dollars sur trois ans, devant Wells Fargo (152 milliards) et Citigroup (129 milliards), loin devant Barclays, première européenne avec 85 milliards de dollars. Si elles font pâle figure en comparaison, les quatre championnes hexagonales, BNP Paribas (50 milliards), Société Générale (36 milliards), Crédit agricole (32 milliards) et BPCE/Natixis (20 milliards) sont également présentes, avec des financements en forte hausse entre 2017 et 2018 pour les trois dernières. Au total, près de 138 milliards de dollars ont été distribués par ces banques depuis l'Accord de Paris, ce qui place la France en 6ème position des "pays d’origine des flux financiers aux énergies fossiles dans le monde", pointe une note de l'ONG Les Amis de la Terre. 

Source : Fossil Fuel Finance Report Card 2019
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Toutes ces institutions n'ont cependant pas les mêmes comportements selon l'énergie fossile concernée. A ce titre, le rapport se concentre en particulier sur six sous-secteurs controversés : les sables bitumineux, le charbon, le gaz et le pétrole de schiste, les forages en Arctique et en eaux très profondes et le gaz naturel liquéfié. Si JPMorgan rafle la couronne sur ces trois derniers, le charbon reste pour sa part largement dominé par quatre banques chinoises, qui représentent à elles seules 71 % du financement des grandes banques mondiales pour le sous-secteur de l'extraction du charbon et 55 % du financement de l'énergie à partir du charbon. Les sables bitumineux sont eux plutôt l'apanage des deux canadiennes RBC et TD. 

Source : Fossil Fuel Finance Report Card 2019.
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Des paroles aux actes 

Pourtant l'heure est grave, insiste le rapport, au moment où la fenêtre de tir pour rester dans les clous de l'Accord de Paris, qui prévoit dans son article 2 de rendre "les flux financiers compatibles avec un profil d'évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques", se réduit à vue d'oeil. "Ce rapport est une alerte rouge", prévient Alison Kirsch, chercheuse Climat et énergie au Rainforest Action Network. "L’échelle massive à laquelle les banques internationales continuent à injecter des milliards de dollars dans les énergies fossiles est totalement incompatible avec un avenir viable. Les financements aux industries fossiles ont même continué d’augmenter depuis l’Accord de Paris sur le climat. C’est une insulte à la logique, à la science et à l’humanité. Si les banques ne cessent pas de toute urgence de soutenir ces secteurs sales, les catastrophes attendues d’un emballement climatique ne seront plus seulement probables, mais imminentes".

La plupart de ces banques ont pourtant affiché leur soutien à la cause climatique dès 2015, insiste le rapport, qui cite pour exemple l"hypocrisie" de JPMorgan Chase dont le PDG, Jamie Dimon, a fermement condamné la sortie des Etats-Unis de l'Accord de Paris "tout en présidant une banque qui finance le changement climatique plus que tout autre au monde, et qui n'a montré aucune indication d'avoir l'intention de changer de cap". "Les grandes banques françaises affichaient lors de la COP21 leur détermination à tout mettre en oeuvre pour que les objectifs de l’Accord de Paris soient atteints voire dépassés – BNP Paribas et Crédit agricole –, à aligner leurs activités avec un scénario 2 °C – Société Générale –, et à se mobiliser en faveur de la transition énergétique – Natixis. Malgré ces promesses, elles ont accordé 124 milliards d’euros au charbon, au pétrole et au gaz entre 2016 et 2018", commentent quant à eux les Amis de la Terre. 

En novembre 2018, un rapport d'Oxfam montrait déjà la dichotomie des discours, alors qu'entre 2016 et 2017, six banques françaises - BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, BPCE, Crédit Mutuel Alliance fédérale et Banque Postale - auraient réduit leurs financements à destination des énergies renouvelables (moins 1,85 milliard d’euros) d’un montant équivalent à l’augmentation de leurs financements vers les énergies fossiles (+ 1,8 milliard d’euros). Au total, sur 10 euros de financements accordés par les banques aux énergies, 7 euros iraient aux énergies fossiles, contre 2 euros seulement aux renouvelables, concluait-il.