Qu'est-il vraiment arrivé au masque d'or de Toutânkhamon ?

Depuis sa visite en France en 1967 lors de « l’exposition du siècle », le masque funéraire, symbole du trésor du pharaon, a désormais l’interdiction de sortir des frontières égyptiennes. Il faut dire que depuis sa découverte en 1925, ce chef-d’œuvre de l’orfèvrerie antique n’a pas beaucoup été ménagé… Par Léa Mabilon.
Qu'estil vraiment arriv au masque d'or de Toutânkhamon
Hannes Magerstaedt / Getty Images

« Je ne sais pas vraiment ce qu’ils ont foutu. Ce jour-là, personne n’avait fermé la salle de l’exposition, les touristes ont vu toute la scène. C’est hallucinant », s’étonne encore le conseiller et égyptologue Dominique Farout, lorsque je le rencontre dans un café à deux pas du Louvre.

En octobre 2014, deux employés du musée du Caire se glissent dans la vitrine où est exposé le masque de Toutânkhamon lors d’une opération de nettoyage, ou de réparation de l’éclairage – les détails exacts de l’affaire restent encore flous. Dans cette minuscule cage vitrée, l’un d’eux cogne malencontreusement l’objet en or massif et casse la barbe postiche du pharaon. Comment cet objet si précieux, vieux de 3 300 ans, a-t-il pu être manipulé avec si peu de précautions ? « Au Louvre, il y a des spécialistes du déplacement des objets. Vous savez, c’est un métier, de bouger des œuvres d’art », me souffle l’expert. On pourrait croire à tort que la mésaventure s’arrête ici. Mais, pris de panique, les employés du musée préfèrent recoller, en douce et grossièrement, la barbiche du roi d’Égypte avec de la colle époxy – équivalent de la colle glue bon marché – que l’emmener en urgence au conservatoire de restauration. Évidemment, la résine déborde de part et d’autres du menton, et l’un des employés tente alors de gratter l’excédant à l’aide d’une spatule, pour que l’intervention chirurgicale puisse passer inaperçue. « On a l’impression qu’on a voulu cacher ça, c’est une grosse connerie puisque c’est là que ça se voit le plus ». Il est difficile de croire à cette opération catastrophe et totalement ratée, tant ce joyaux d’une valeur inestimable a été trituré, maltraité et presque défiguré – avant d’être finalement confié à l’équipe de restaurateurs allemands de Christian Eckmann en 2015. « Je ne vais pas jeter la pierre à la personne qui a fait ce faux mouvement, qui a fait tomber la barbe de Toutânkhamon. Ce genre de chose arrive dans tous les musées, sauf qu’on n’en fait pas une affaire d’État. Le scandale n’est pas tant d’avoir cassé une partie du masque, mais plutôt de l’avoir recollé à la va-vite, n’importe comment et n’importe où », soulève Dominique Farout.

Pour Marc Gabolde, égyptologue et auteur de l’ouvrage Toutankhamon (ed. Pygmalion), « cela n’a pas nuit au masque. Même si la colle n’était pas adaptée, l’or est pratiquement incorruptible, ça ne l’a pas attaqué. » L’affaire est close donc, ou presque. Presque, car cette détérioration a quelques conséquences : « Le résultat c’est qu’aujourd’hui le masque d’or est considéré comme trop fragile pour être transporté en dehors des frontières égyptiennes. Et c’est aussi pour cela qu’il ne sera pas exposé à Paris, ni à Los Angeles. »

La malédiction de la barbiche

Sans compter que ce cas s’ajoute à un autre. Après des années de recherche au cœur de la Vallée des Rois, Howard Carter et son équipe découvrent le tombeau de Toutânkhamon le 4 novembre 1922. Trois ans plus tard, après avoir vidé les trésors amoncelés dans les caveaux de l’hypogée, la chambre funéraire s’offre enfin à eux. Dans cette pièce royale repose le onzième souverain de la XVIIIe dynastie d’Égypte, fils d’Akhenaton, devenu roi à neuf ans et mort à 18 ans de paludisme. C’est avec beaucoup d’émotions qu’Howard Carter pénètre alors dans cette antichambre reculée. Là, sont enchâssées plusieurs chapelles à la manière de poupées russes à l’intérieur desquelles se trouve le sarcophage du roi. Alors qu’il soulève le couvercle du cercueil et ôte le linceul recouvrant le corps embaumé, Carter voit apparaître le masque d’or, scintillant entre la poussière et les débris. Celui-ci est composé de trois tôles en or massif qui constituent l’arrière, l’avant de la coiffe et le visage, le tout incrusté de lapis-lazuli, de pierres précieuses et de pâte de verre. La partie frontale est ornée d’une tête de vautour et d’un cobra royal, l’un symbole de la déesse Nekhbet, protectrice de la Haute-Égypte, l’autre de la déesse Ouadjet, protectrice de la Basse-Égypte. La barbe est là, intacte, délicatement accrochée au menton de l’enfant-roi, symbole du Dieu Osiris. « C’est l’un des plus beaux visages de l’Antiquité. La grâce des traits est extraordinaire », atteste Marc Gabolde. Pourtant, ce jour-là aussi, le masque sera mutilé. « Lorsque Harry Burton, photographe au moment de l’expédition, prend des clichés de l’objet après son exhumation, on s’aperçoit que la barbe a disparu, alors qu’elle y était lors de l’ouverture du sarcophage », développe l'expert. Que s’est-il encore passé ? Lors de son inhumation en 1327 av. J-C, la momie de Toutânkhamon est aspergée d’onguents, une matière grasse parfumée – « l’équivalent d’un n°5 de Chanel », sourit Dominique Farout. « Après des siècles à l’intérieur du sarcophage, la graisse avait durci et créé une masse compacte autour du corps de la momie, et le masque était pris dedans », continue-t-il. L’équipe d’Howard Carter a donc dû chauffer ces onguents afin de les rendre liquide et pouvoir ainsi extraire le masque du tombeau. Malheureusement, durant cette opération, la barbe du pharaon s'était cassée une première fois. »

Un homme est une femme

Résultat des courses : difficile aujourd’hui de pouvoir disposer librement du masque en le faisant voyager aux quatre coins du globe. Alors qu’en 1967, il partait pour la seule et unique fois rendre visite au Petit Palais de Paris pour l’exposition « Toutânkhamon et son temps », il n’est depuis plus jamais ressorti des frontières égyptiennes. Ces deux mésaventures lui ont values d’être conservé au musée du Caire avec davantage de vigilance. Une aubaine puisque grâce à cette immobilité, de nombreuses recherches ont pu être exercées sur ce vestige si énigmatique, qui révèle bien d’autres mystères. Certains archéologues comme Marc Gabolde, pensent par exemple que ce masque n’était, à l’origine, pas destiné au jeune pharaon. « En dépit des nombreux endommagements dont il a été victime, il reste un symbole de la beauté. Les traits de Toutânkhamon ont été totalement idéalisés. C’est tout le paradoxe, car ce masque n’a pas été fait pour lui… ». Selon l’expert, plusieurs indices mèneraient sur la piste d’une femme. « Un exemple : tous les enfants ont les oreilles percées, mais une fois à l’âge adulte les hommes ne portent plus de boucles d’oreilles, donc les trous se rebouchent. Or, on a découvert sur le masque que les oreilles étaient bel et bien percées, alors que le pharaon avait dépassé le stade de l’adolescence », continue-t-il. Deux pastilles ont été découvertes au fond du sarcophage, devant probablement servir à cacher les trous au niveau des lobes. Selon lui, c’est indubitable : « Cela prouve que le masque a été fait pour une femme, puis a été adapté à un homme. » « Les Anglais sont persuadés que le masque a été fait pour Néfertiti – et la barbe ne change rien puisqu’elle représente un symbole divin –, moi je pense qu’il s’agit de la fille ainée d’Akhenaton et de Néfertiti, la reine Mérytaton. » Celle-ci aurait régné trois ans, avant que Toutânkhamon ne prenne sa place sur le trône. Autre signe : à l’arrière du masque, là où est écrit le nom du jeune pharaon, on peut apercevoir que l’inscription a été bidouillée. Preuve que l’on aurait effacé le patronyme de Mérytaton pour y apposer, à la dernière minute, celui de Toutânkhamon.

Autant de mésaventures qui font se demander si, finalement, cet artefact n’a pas perdu de sa valeur première. « Non, c’est tout le contraire justement. Plus on a d’informations sur lui, voire de doutes, plus on enrichit son histoire », conclu Marc Gabolde. L’intérêt pour ce jeune pharaon, enfant-roi devenu Dieu, a traversé les siècles et n’a jamais cessé de fasciner. Outre les casses à répétition de la barbe postiche, le masque de Toutânkhamon s’est érigé en symbole d’une Égypte glorieuse, dont les mystères restent encore nombreux à découvrir.