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Moyen Orient et Monde - Témoignages

« On a tout perdu  : nos maisons, nos amis, nos voisins... » : paroles de Yéménites...

« L’Orient-Le Jour » rapporte les propos de Yéménites afin de partager leurs histoires et leurs espoirs pour l’avenir de leur pays.

Des Yéménites dans les décombres d’une maison détruite dans une frappe de la coalition à Sanaa, le 25 août 2017. Mohammad Huwais/AFP

« Nous n’arrivons pas à être en deuil tellement il y a des horreurs. On dit que ceux qui sont morts ont de la chance, surtout ceux qui sont morts avant la guerre car ils n’ont pas eu à vivre les jours noirs que nous avons vécus », soupire Toumna. Cette trentenaire qui réside à Aden fait partie des millions de civils qui subissent de plein fouet les effets de la guerre qui sévit au Yémen depuis quatre ans.

Du fait de la difficulté pour les médias d’accéder au pays, L’Orient-Le Jour rapporte aujourd’hui pour la première fois des témoignages de Yéménites afin de partager leurs histoires et leurs espoirs pour l’avenir de leur pays. « Nos vies ont complètement changé. On a tout perdu : nos maisons, nos amis, nos voisins sont partis. Les jeunes avec qui je jouais quand j’étais petite sont morts », confie Nadine, originaire de Taëz et qui habite aujourd’hui dans la province de Lahij.Le temps où le Yémen portait le surnom d’« Arabie heureuse » est désormais bien loin : le conflit a déjà fait plus de 80 000 morts depuis mars 2015, selon des ONG, soit huit fois plus que les chiffres avancés par l’ONU. Le pays est ravagé par un conflit qui oppose les rebelles houthis, soutenus par l’Iran, aux forces du président yéménite, Abd Rabbo Mansour Hadi, appuyées par la coalition menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Le contrôle du Yémen est divisé en deux depuis la prise de la capitale Sanaa par les houthis en septembre 2014, avec les rebelles au nord et les forces loyalistes et de la coalition au sud.

Les civils sont les premiers à en pâtir. Les bombardements de la coalition ont causé 52 % des pertes civiles en 2018 tandis que les houthis sont accusés de bombarder les civils à l’aveugle, installant des mines antipersonnel et recourant à la torture et à des arrestations arbitraires, selon l’ONU. Des éléments qui s’ajoutent aux maladies telles que le choléra, au manque de nourriture et d’eau. Les infrastructures sont également gravement touchées : 600 structures civiles sont endommagées ou détruites chaque mois. « Quand je vais au travail, je vois tous les stigmates de la guerre », rapporte Toumna. « On voit les destructions des immeubles, des écoles, des infrastructures… Au début, ce spectacle nous faisait mal au cœur, mais malheureusement c’est devenu notre quotidien », déplore-t-elle.

Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, 4,3 millions de Yéménites ont été contraints de fuir leurs maisons depuis 2015 en se réfugiant dans d’autres provinces du pays et 3,3 millions sont toujours déplacés aujourd’hui. Mariam, âgée de 25 ans, a notamment quitté Sanaa, où elle effectuait ses études universitaires, pour rentrer à Taëz chez ses parents au début de la guerre. Ville nichée dans le cœur des montages dans le sud-ouest du pays, Taëz est assiégée par les houthis depuis mars 2015. L’intensité des bombardements pousse cependant la jeune fille à se réfugier dans la ville portuaire d’Aden (Sud) avant que son père n’accepte de louer une maison à Sanaa pour son frère et elle. « Même s’il y a des bombardements aériens, on peut travailler et on est plus en sécurité ici », raconte-t-elle, tandis que son père est resté vivre dans leur ville d’origine. « On ne peut pas retourner non plus dans notre maison à Taëz car il y a des rumeurs selon lesquelles mes frères sont dans la résistance (aux houthis) alors que personne dans notre entourage ne l’est », précise-t-elle.


(Lire aussi : La guerre au Yémen, un conflit dans l’impasse)



Seuil de pauvreté

Si la plupart des Yéménites se sont réfugiés dans une autre ville, d’autres ont choisi de quitter le pays. Aous, âgé de 35 ans, a décidé d’envoyer ses enfants en Égypte, « où il y a plus de sécurité et où le coût de la vie est moindre ». Ingénieur dans le domaine du pétrole, il a perdu son travail quand l’entreprise canadienne où il était salarié a quitté le pays, il y a quatre ans. « Je suis passé de quelqu’un qui avait un travail important et qui gagnait beaucoup d’argent à une personne qui attend désormais le retour à la normale dans le pays », dit-t-il avec amertume. « J’ai pensé à rester en Égypte pour y travailler, mais je n’ai pas eu le choix car aucun pays ne me laissera entrer avec le passeport yéménite. Nous ne sommes autorisés à aller dans aucun pays européen ou ailleurs. Je n’ai pas voulu migrer de façon illégale ni par la voie maritime ni en falsifiant mon passeport, j’ai voulu respecter la loi », affirme-t-il. Depuis cinq mois, Aous travaille dans une société pétrolière yéménite pour pouvoir envoyer de l’argent chaque mois à ses enfants.

Comme lui, près de 8 millions de Yéménites ont perdu leur travail depuis le début de la guerre et près de 80 % de la population vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, selon l’ONU. « Le conflit a provoqué des perturbations généralisées des activités économiques, avec une réduction substantielle des emplois, des activités du secteur privé et des opportunités commerciales », selon un rapport de la Banque mondiale publié en début du mois. En conséquence, « tout est devenu cher… les légumes, la viande, même l’eau », note Nadine. « Ce qui coûtait 10 rials coûte maintenant 30 ou 40 », ajoute-t-elle. Cependant, « en dépit des problèmes économiques, du manque de liberté et d’opposition, les gens vivent en harmonie, toutes confessions confondues », tient à relever Adib, qui habite à Sanaa.


(Lire aussi : Le Sénat américain exige de Trump l'arrêt de tout engagement militaire au Yémen)



Avenir sombre

La plupart des personnes interrogées par L’OLJ ont choisi de faire du volontariat pour venir en aide à leurs concitoyens dans différents domaines. « Actuellement, les associations de la société civile remplacent les structures de l’État », observe Haïfa, qui réside à Aden et qui travaille dans un centre avec des jeunes. « Si nous n’avions pas une mission importante à accomplir dans le pays, nous serions partis », estime-t-elle. Aujourd’hui, deux millions d’enfants ne sont pas scolarisés contre 1,6 million avant le conflit, selon Education Cluster. Au total, près de 256 écoles ont été détruites tandis que 1 520 ont été endommagées au cours des affrontements. « Nous tentons de guider la nouvelle génération pour qu’elle n’aille pas vers l’extrémisme », insiste Haïfa. Nadine gère pour sa part un projet pour les femmes pour leur apprendre à tisser des sacs et des vêtements. Après un stage de formation d’un mois au sein de l’enseigne libanaise Sarah’s Bag à Beyrouth, elle explique avoir voulu s’investir dans son pays car l’« on a besoin de se serrer les coudes pour pouvoir sortir du conflit ».

En attendant, les affrontements se poursuivent et les difficultés se multiplient sur le plan diplomatique. « Nous espérions que les dernières négociations en Suède allaient aboutir à mettre fin à la guerre au Yémen, mais au contraire, il n’y a eu aucune amélioration depuis », affirme Toumna. Une rencontre entre les délégations houthie et du gouvernement yéménite en décembre dernier avait donné lieu aux accords de Stockholm, devant notamment permettre un cessez-le-feu dans la ville portuaire de Hodeida. Les parties s’accusent toutefois mutuellement de violer le cessez-le-feu qui n’a toujours pas pu être complètement mis en place. Si les personnes contactées par L’OLJ se veulent optimistes pour la suite, les derniers événements de décembre « ont provoqué un sentiment d’insécurité et le peuple commence à ne plus avoir espoir en l’avenir », indique Toumna. « Nous sommes coincés dans ce conflit et nous ne savons pas comment nous en sortir », conclut-elle.



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