Comment cultiver sa bienveillance ?

Publié le par Marie-Madeleine Sève Nos experts : Delphine Rémy, psychothérapeute accompagnant les parents et les enfants & Dr Philippe Rodet, ex-médecin urgentiste, consultant en entreprise & Rébecca Shankland, psychologue maître de conférences, l’université Pierre Mendès- France (Grenoble), spécialiste des socio- émotionnelles

Faire du bien aux autres, c’est s’en faire à soi. La bienveillance, cet "altruisme mutuellement bénéfique", constitué de petits gestes bienveillants, fait émerger le meilleur de chacun. À développer sans modération !

La bienveillance est un gimmick dans les discours des coachs, des DRH et des politiques. Elle serait la clé pour résoudre tout ce qui cloche. Le sésame pour effacer les malheurs du monde et booster la motivation. Pas question d’épouser cette vision dans le seul but de s’acheter une  bonne conscience ou de se faire valoir. Non, il s’agit de mobiliser cette compétence réelle qui permet de créer un lien sincère et durable avec les autres.

La bienveillance est un joli sentiment qui bonifie et rend heureux : il accroît la qualité de la relation, tout en réduisant le niveau de stress.

La bienveillance est un signe d’intelligence

"Entre souhait (désirer le bien de l’autre), volonté (vouloir le bien de l’autre), et devoir moral (d’humanité), l’attitude bienveillante, signe d’intelligence, consiste surtout à agir pour que l’autre s’épanouisse dans sa santé, sa vie professionnelle et personnelle", résume l’ex-médecin urgentiste, Philippe Rodet.

Avec l’obligation d’en prendre les moyens : répondre à des besoins fondamentaux, donner une sécurité psychologique d’oser, capter les signaux faibles...

"Ce n’est pas une bonne volonté, mais une volonté bonne", insiste celui qui est désormais consultant en entreprise.

Qu'est-ce qu'une personne bienveillante ?

La psychologue Rébecca Shankland décrit, dans ses travaux, les trois piliers de la bienveillance :

  • L’autonomie, l’autre reste acteur de sa vie, de ses choix.
  • Le sentiment de compétence(s), l’autre se sent valorisé, maître de soi et de ses actions.
  • Le sentiment de proximité relationnelle, l’autre se sent compris, accepté dans ce qu’il est. Le "bienveilleur" de son côté se sent "à la bonne place, au bon moment", pour écouter, soutenir, encourager, apaiser. En cela, la bienveillance est à distinguer de la bonté, de la générosité. Faire des efforts vers l'autre

Faire des efforts pour aller vers l'autre

Prendre sur soi, ajuster ses propos, détecter les besoins ou les envies, calibrer le travail, saisir la difficulté... "La bienveillance nécessite des efforts, confirme le Dr Rodet. Attention donc à ne pas se laisser embarquer par un ressenti négatif, colère, rejet, lassitude... nocifs pour soi et l’autre !" 

L’essentiel consiste à susciter plus d’émotions positives que négatives, car ces dernières seront davantage mémorisées que les premières. La neuropsychologue américaine, Barbara Fredrickson, a démontré que, pour s’épanouir, l’être humain devait éprouver au moins trois émotions positives pour une émotion négative.

Dès lors, veillez à être équitable, avec vos enfants, dans une équipe de travail, au club de foot. Efforcez vous de complimenter, avant de pointer le négatif et les progrès à réaliser. Apprenez à vous rendre disponible pour accueillir la tristesse ou l’enthousiasme de l’enfant, l’ami, le collègue. Accordez à autrui le droit de se tromper, de manquer de tonus... Le retour émotionnel sera puissant : se sentir un bon chef, un bon parent, un camarade fraternel.

Aider, un "shoot de bien-être" assuré

Aider son voisin à porter une valise, co-voiturer un inconnu en temps de grèves, épauler un collègue en retard... Ces petits gestes créent un cercle vertueux d’émotions positives. Ils permettent de se reconnecter à ce qui a du sens pour soi, avec un fort sentiment d’utilité sociale. Le tout "dans une dimension de bien-être existentielle, et non hédoniste, laquelle est basée sur le plaisir à court terme, explique Rébecca Shankland. On est dans le satisfaisant et pas dans l’euphorisant."

Aider active en effet le circuit de la récompense dans le cerveau, créant de la dopamine, hormone du plaisir et de la motivation, mais aussi de l’ocytocine, l’hormone de l’attachement, de la cohésion, de la créativité.

Accueillir le refus, la contradiction, ou les reproches

L’autre est différent de soi. Non, vous n’avez pas toujours raison, inutile d’entrer dans un rapport de force... En restant bienveillant, on devient curieux, on s’ouvre à d’autres pistes et réflexions, avec le plaisir de comprendre, de découvrir. Par la force de l’empathie, on parvient aussi à se mettre à la place de l’autre, "dans les difficultés de sa vie mais aussi dans ses émotions positives", insiste le Dr Rodet.

"Il ne faut pas avoir peur de se laisser influencer par l’autre, d’être flexible, de faire des compromis notamment dans un couple, observe Rébecca Shankland, il y a de la joie à voir s’épanouir son compagnon ou sa compagne." Toutefois, il faut par instants arrêter de se juger, accepter de se sentir fragile, vulnérable. En ce sens, le "non" à une demande peut être de la bienveillance envers soi et autrui : on marque les limites de ses ressources, en évitant le conflit.

5 clés pour augmenter votre bienveillance

Vous ne savez pas toujours comment faire ? Voici les conseils de nos experts pour veiller au bien de l’autre.

1. Bien exprimer un grief

"Mais c’est pour ton bien que je te dis ça !" gare à cette formule hypocrite qui va casser l’autre. lorsque votre progéniture revient avec un bulletin de notes mitigé, restez positif. "Ton 14 en français, c’est très bien. Je suis contente. Pour le 8 en anglais, ce serait mieux d’améliorer la note. Pourrais-tu retrouver le même chemin, le même investissement qui t’ont conduit à de meilleurs résultats ailleurs ?" Il comprendra ce qu’on attend de lui.

2. Fixer des défis possibles

"L’exigence fait partie de la bienveillance, affirme le Dr Rodet. le management bienveillant ne consiste pas à ne pas demander d’effort, mais à avoir un niveau d’exigence raisonnée." Autrement dit à se soucier de l’impact humain sur le collaborateur du volume de la tâche et du temps imparti, mettant la barre au bon niveau de ses ressources pour qu’il se réalise.

3. Encourager dans une difficulté

Vous allez aider l’autre à acquérir de l’autonomie et de la confiance en lui. "le parent peut ainsi laisser l’enfant se débrouiller, s’aventurer, expérimenter, s’il organise un cadre adéquat et sécurisant, explique la psychothérapeute Delphine Rémy. Il va le regarder en lui disant 'Vas-y, je te vois', lui signifiant ainsi qu’il a les capacités d’y arriver." Le regard sera tout aussi bienveillant, et exempt de jugement, avec un adulte, incité à chercher des solutions par lui- même devant la complexité.

4. Apprendre à passer l’éponge

Sur une petite faute, un petit larcin, un petit mensonge, s’il ne fait aucun tort à autrui ou à soi-même. "Il faut choisir ses combats, alerte Delphine Rémy. À condition d’exprimer sa désapprobation, et de rappeler
ses valeurs et principes. 'Ce que tu as fait n’est pas très grave, mais ce n’est pas ma façon de voir les choses. Je te conseille de ne pas recommencer'." Et engagez-le à réparer.

5. Rassurer après un échec

Il s’agit déjà d’être juste, par exemple en n’en faisant pas des tonnes sur les erreurs d’un salarié.
Puis de décortiquer les raisons du raté. "Qu’est-ce qui à ton avis a pu bloquer ?", "Que ne referais-tu pas la prochaine fois ?" Vous ouvrez des perspectives, mettant l’autre en situation de confiance.

Pour en lire plus : 

  • La bienveillance au travail, Philippe Rodet (Ed.Eyrolles)
  • Ces liens qui nous font vivre, Rébecca Shankland et Christophe André (Éd.Odile Jacob)
  • Être un parent bienveillant, Delphine Rémy (Ed.Eyrolles)
  • Le petit livre de la bienveillance (Ed Larousse)