Droits d'auteur : ce qui change avec la nouvelle directive européenne

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Droits d'auteur : ce qui change avec la nouvelle directive européenne

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Des partisans de la réforme du droit d'auteur s'étaient donnés rendez-vous devant le Parlement européen de Strasbourg le 26 mars à l'occasion du vote des eurodéputés sur ce texte.
Des partisans de la réforme du droit d'auteur s'étaient donnés rendez-vous devant le Parlement européen de Strasbourg le 26 mars à l'occasion du vote des eurodéputés sur ce texte.
© AFP - Frederick Florin

Repères. Le Parlement européen a adopté ce mardi la directive sur les droits d’auteur, censée mieux rétribuer les médias et les artistes à l’ère du numérique. Ce texte, combattu par les grandes plateformes américaines et par les partisans de la liberté du net, doit entrer en vigueur dans les deux ans.

Après trois ans de débat, la directive européenne sur le droit d’auteur à l’ère numérique est enfin votée. Les eurodéputés ont approuvé la réforme ce mardi : sur 658 élus présents dans l’hémicycle à Strasbourg, 348 ont voté pour, 274 s’y sont opposés et 36 se sont abstenus. Malgré un lobbying sans précédent des géants américains et la mobilisation d’une partie de la société civile, le texte devrait donc bel et bien entrer en vigueur. Les États-membres disposent de deux ans pour transposer la directive dans leur droit national.

Des créateurs mieux rémunérés ?

L'objectif de la directive est de permettre aux créateurs de contenus de percevoir une plus grande partie des revenus générés par la diffusion de leurs productions et œuvres sur internet. Les sommes en jeu sont colossales et les grandes plateformes américaines l’ont bien compris : “La création artistique européenne, son poids économique, équivaut à 536 milliards d’euros chaque année, c’est 7 200 000 emplois”, expliquait Jean-Marie Cavada, eurodéputé et fervent soutien de la réforme sur France Inter, “alors je comprends qu’ils [les GAFAM] se comportent comme des terroristes ‘Pac-man’, qu’ils veuillent manger cet argent et qu’ils ne veuillent pas payer”.

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Cette nouvelle répartition des revenus est soutenue par de nombreux artistes et par de nombreux médias, qui ont mené leur propre lobbying pour que le texte soit adopté. Le 21 mars, près de 300 dirigeants de journaux en Europe ont ainsi signé une tribune : “L'adoption de cette directive est une question de vie ou de mort pour les médias et de survie pour beaucoup d’artistes et d’auteurs”. Deux jours plus tard, le 23 mars, 171 personnalités (dont Jean-Jacques Goldman, David Guetta, Renaud, Louane, IAM, Zaz…) publiaient une autre tribune dans le JDD. Ils insistaient pour que les “géants américains devenus des ogres” qui profitent des retombées publicitaires générées par les œuvres qu’ils hébergent, rétribuent plus justement les musiciens, cinéastes, photographes, éditeurs et journalistes.

Concrètement, le nouveau partage du revenu des œuvres sera introduit par deux articles phares : l’article 15 (ancien article 11) et l’article 17 (ancien article 13). L’article 15 prévoit que les plateformes en ligne rémunèrent les éditeurs de presse dont elles utilisent les contenus (comme Google Actualités) : ce droit sera valable pendant deux ans après la publication d’un article de presse. L’article 17 concerne les plateformes qui autorisent leurs utilisateurs à publier du contenu par eux-mêmes (comme YouTube, propriété de Google, ou Facebook) : la directive leur impose de conclure des accords avec les auteurs et de filtrer les œuvres qui sont publiées (le cas échéant, d’empêcher la publication d’œuvres protégées). 

Des intermédiaires qui en profitent 

Mais au delà de l’idéal consensuel d’une meilleure répartition des revenus des œuvres, rien ne garantit que les créateurs (artistes, interprètes, journalistes…) récupèrent une part conséquente du gâteau. Dans des pays comme la France, ces derniers passent par de puissants intermédiaires pour faire valoir leurs droits : sociétés collectives de gestion des droits d’auteurs et éditeurs de presse, qui prélèvent aussi leur dû.

"Nous défendons les intérêts des auteurs, nous sommes un collectif d’auteurs", assure Jean-Noël Tronc, directeur général de la Sacem, organisme qui gère les droits dans le domaine musical et qui a été très actif dans la défense de la directive au sein de l’organe européen Europe for Creators. Seulement, de nombreux détracteurs reprochent à ces sociétés de gestion de droits d’auteur de ne pas redistribuer équitablement leur gains et de favoriser les créateurs les plus célèbres au détriment des petits. Un récent rapport de la Cour des comptes faisait état de progrès dans ce domaine, même si l’équilibre est encore loin d’être atteint. Or, la nouvelle directive promet de donner un blanc-seing à ce genre de sociétés, qui deviendront alors les intermédiaires indispensables des GAFAM.

"Cette directive est un deal entre les industries du numérique et celles des contenus", dénonce Lionel Maurel, cofondateur de la Quadrature du net, association qui défend un internet libre. "Les sociétés de droits d’auteur, les producteurs de musique ou de films et les éditeurs de presse veulent leur part du gâteau dans les profits que génèrent les GAFAM. Si vous prenez YouTube par exemple, la plateforme génère toute sa richesse non pas via la publicité mais via l’utilisation des données des internautes revendues à des annonceurs publicitaires… Ce sont ces profits là, que l’industrie des contenus veut récupérer. Mais rien ne dit qu’elles redistribueront correctement ces profits à la masse des créateurs européens"

En France, les artistes du show business ont ainsi été très actifs dans la défense de la directive, publiant des tribunes dans la presse ; tout comme les média ont fait campagne pour la directive dans leur pages. Face à eux, les géants du numérique ont aussi organisé un lobbying intense sur internet. Sous le hashtag #SaveYourInternet, comprenez « sauvez votre Internet », ils ont appelé leurs utilisateurs à "la résistance".

Grands absents des débats en revanche, les auteurs de l’écrit qui en France, n’ont pas été très mobilisés sur ce sujet. Leur priorité est toujours d'obtenir une meilleure répartition du prix du livre auprès des éditeurs nationaux avant de s’intéresser aux GAFAM. Ils demande de pouvoir toucher 10% du prix du livre qu'il soit papier ou numérique.

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Or, à la lecture des articles 15 et 17 de la directive qui ont tant occupé les internautes ces derniers mois, ces précautions pour une meilleure répartition du prix des oeuvres entre créateur et producteurs ne sont pas évoquées. Pourtant, le législateur européen semble avoir pris des mesures pour s’assurer de cette redistribution : "L’article 3 prend des précautions pour assurer une réelle redistribution des profits aux créateurs", explique Virgine Rozière, eurodéputée radicaux de gauche et favorable à la réforme. "Les sociétés d’auteurs ont fait des progrès sur la redistribution mais nous serons vigilants. Il faut que que la fin de position dominante des GAFAM en Europe bénéficie au secteur de la culture dans son ensemble, créateurs inclus évidemment"

Un nouveau modèle économique plus favorable à l’Europe

Les partisans de la réforme du droit d’auteur promettent la création d’un nouveau modèle économique du numérique, ni plus ni moins. Pour les géants américains tout d’abord : “les deux plus grandes plateformes américaines [Google et Facebook] siphonnent aujourd’hui près de 80% des revenus publicitaires sur internet”, dénonçaient les signataires de la tribune des éditeurs de presse le 21 mars, soit “des dizaines de milliards de dollars par an. Payer quelques centaines de millions aux producteurs de contenu ne signera pas leur arrêt de mort, pas plus que d’acquitter un minimum d’impôts en Europe”.

Le futur modèle du droit d’auteur à l’européenne promet donc un avenir moins rentable pour les GAFAM, qui seront obligés de payer pour utiliser des contenus. “Aujourd'hui, les plateformes acceptent parfois de payer des droits d'auteur dans le cadre d'accords au cas par cas mais elles ne veulent pas être obligées de passer des contrats avec des ayant-droits car elles savent bien qu'elles devraient alors payer beaucoup plus”, expliquait en février à France Culture André Lucas, professeur de droit et spécialiste de la propriété intellectuelle.

Les GAFAM ont d’ailleurs déployé des moyens considérables en lobbying pour combattre cette perspective : d’après une étude de l’ONG Corporate Europe Observatory (CEO), depuis fin 2014, plus de 700 réunions entre des lobbyistes et des représentants de la Commission ayant pour objet le “droit d’auteur” ont été enregistrées.

Face aux géants du numérique américains, la réforme permet également de mieux protéger et d'encourager le développement de start-ups 100% européennes dans ce secteur ultra dominé par les Etats-Unis. Le législateur européen a donc prévu de nombreuses exemptions à ces nouvelles règles du droit d'auteur. Si les grandes plateformes seront obligées de filtrer et d’inspecter tout ce que postent les utilisateurs afin de vérifier si ces contenus ne contreviennent pas au droit d’auteur, ces filtres ne seront pas obligatoires pour les petites structures : celles qui existent depuis moins de trois ans, qui ne reçoivent pas la visite de plus de 5 millions d'internautes mensuels ou dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas les 10 millions d’euros. Un outil parfait pour permettre la naissance de futurs acteurs “made in Europe”.

Et les internautes dans tout ça ?

Mais la réforme du droit d’auteur ne se résume pas à un face à face entre une Europe régulatrice et des géants américains récalcitrants. De nombreux citoyens européens se sont mobilisés contre ce texte, craignant une législation liberticide et l’advenue d’un internet trop fermé. Samedi 23 mars, des manifestations ont eu lieu un peu partout dans l’UE, à l’appel de “ Save the internet”, un collectif que Google affirme “ne pas financer” et qui est mobilisé depuis des mois pour la défense de “l’échange libre d’opinions sur internet”. En Allemagne, cœur du mouvement de contestation dont l’égérie est une eurodéputée allemande de 32 ans, Julia Reda, seule représentante du Parti Pirate au Parlement Européen, des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans plusieurs villes du pays.

Dans le collimateur de ces opposants à la réforme : ces fameux filtres de téléchargement automatiques, des algorithmes accusés d’ouvrir la voie à une forme de censure par les partisans de la liberté du net. “De nombreux exemples montrent que ces filtres ne parviennent pas à faire la différence entre du contenu qui enfreint les droits d’auteur et du contenu qui les respecte”, affirme ainsi l’ Organisation européenne de défense des consommateurs (BEUC). Les opposants craignent que certains détournements soient interdits, comme les mèmes, ces images ou ces vidéos détournées et partagées à l’infini sur les réseaux sociaux, le plus souvent dans un but humoristique. Les défenseurs du texte affirment toutefois que ce risque a été anticipé. La directive ne devra pas empêcher la publication de citations ou de parodies et prévoit même un mécanisme de réclamation pour les internautes dont les publications auraient été retirées de façon injustifiée.

Les dangers d'une riposte

Mais les collectifs d'internautes ne sont pas rassurés pour autant et pointent du doigt les risques de dérives de cette directive. Seules les grandes plateformes vont avoir les moyens d'investir dans des mécanismes de filtrage de contenus qui sont extrêmement coûteux.  Ce filtrage imposé par l’UE risque donc de donner encore plus de pouvoir aux plus grandes plateformes, qui dominent déjà internet. Des associations de défense des internautes, comme la Quadrature du net, critiquent ainsi “une directive Copyright qui sert de laboratoire aux logiques de censure automatisée”

Deuxième inquiétude, la riposte juridique. Les géants numériques pourraient tenter de faire annuler la directive en brandissant le principe de liberté d'expression devant la Cour européenne de justice.

Les internautes craignent également le chantage des GAFAM. En novembre dernier, Google avait ainsi menacé de fermer google actualités en Europe s'il devait payer pour chaque clic sur ses liens hypertextes. Après négociation, la directive ne prévoit plus de telles contraintes. Mais c'est ce qui inquiète ses opposants. "Ce texte qui est un compromis est inapplicable !", explique par exemple l'avocat Etienne Drouard de l’association Renaissance Numérique. "Il y a tellement d'exceptions à la règle qu'il porte en lui les germes de son inefficacité"

Nul doute que de tels arguments seront repris lors de la bataille législative qui va maintenant avoir lieu dans chaque pays européen car la directive droit d'auteur, comme toute directive, doit maintenant être retranscrite dans les droits de chaque Etat-membre. Une occasion pour les opposant de faire a nouveau pression sur le législateur. D'européenne, la bataille va donc devenir nationale.