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Exclusif

Boeing 737 MAX : un manuel muet sur le système mis en cause

Un avion sur une piste extérieure.

Près de 12 000 personnes travaillent à l'usine de Boeing de Renton, où sont assemblés les appareils 747 MAX.

Photo : Radio-Canada / Chris Corday

Radio-Canada

Le manuel de vol du Boeing 737 MAX, dont Radio-Canada a obtenu copie, ne divulgue aucun détail au sujet du système anti-décrochage soupçonné d'avoir joué un rôle dans deux tragédies aériennes récentes. Des pilotes déplorent que l'avionneur américain ne les ait pas informés de son existence.

Un texte de Frédéric Zalac d’Enquête et Alex Shprintsen de CBC

Quelques minutes après son décollage de Jakarta en octobre dernier, le Boeing 737 MAX du transporteur Lion Air a commencé à se comporter de manière erratique. Les pilotes ont parcouru leur manuel à la recherche d’une solution, mais en vain. L’appareil tout neuf s'est abîmé dans la mer de Java, faisant 189 victimes.

Les enquêteurs soupçonnent qu'un nouveau système automatisé appelé MCAS pourrait avoir contribué à la tragédie. Ce système force l'avion à piquer lorsqu’il y a un risque de décrochage. Mais dans le cas du vol de Lion Air, un capteur défectueux a erronément poussé le système anti-décrochage à faire piquer l’avion à répétition, contrant ainsi les efforts des pilotes pour faire remonter l’appareil.

Radio-Canada a obtenu une copie du manuel de plus de 1600 pages destiné aux pilotes du 737 MAX. On n’y trouve aucun détail au sujet du système MCAS, ce qui soulève l’ire de nombreux pilotes.

Aperçu d'une page du manuel de vol du Boeing 737 MAX

Manuel de vol du Boeing 737 MAX

Photo : Radio-Canada

« Y a-t-il autre chose qu’on ne m’a pas mentionné? Le manuel est inadéquat et presque criminellement insuffisant », a écrit un pilote dans une base de données du gouvernement américain peu après l’écrasement du vol de Lion Air.

Au Canada aussi, des pilotes contactés par Radio-Canada déplorent de ne pas avoir été mieux informés par Boeing d’un système pouvant entrer en conflit avec leurs propres commandes.

« Je trouve alarmant que les gens qui ont rédigé le manuel n'aient pas averti les pilotes d'un système qui est absolument critique, dit le pilote à la retraite Raymond Hall qui a travaillé pour Air Canada pendant 36 ans. Les pilotes auraient dû en être informés afin de pouvoir réagir adéquatement. »

Vous avez des renseignements à nous faire parvenir? Vous pouvez joindre Frédéric Zalac par courriel à frederic.zalac@radio-canada.ca (Nouvelle fenêtre) ou par téléphone au (604) 662-6882.

Une question de coûts?

La seule et unique mention du MCAS dans le manuel se trouve dans le glossaire des abréviations où l’on indique que l’acronyme signifie Maneuvering Augmentation Characteristic System.

Pourquoi Boeing aurait-il inclus MCAS dans le glossaire, mais pas dans le reste du manuel?

« Il est très intéressant qu’on en ait fait mention au passage, sans pour autant avoir fait le suivi requis pour rendre l’avion sécuritaire », constate Raymond Hall. Il dit que Boeing a l’habitude de divulguer clairement aux pilotes tous les systèmes utilisés à bord de ses avions, mais qu'il ne l’a pas fait dans ce cas-ci.

Le consultant Judson Rollins, qui a travaillé pour plusieurs transporteurs aériens et pour un avionneur, soupçonne qu’une définition plus large de MCAS a été incluse dans une version préliminaire du manuel et qu’elle a ensuite été retranchée.

Selon lui, Boeing aurait cherché à réduire les coûts de formation liés à son nouveau 737 MAX afin de rester compétitif contre son rival Airbus.

« La raison la plus probable expliquant l’absence du MCAS du manuel, c’est d’éviter qu’il soit inclus dans la formation de transition vers le 737 MAX, permettant ainsi de réduire les coûts de formation pour les transporteurs aériens », dit-il.

Au lieu d’une simple formation sur iPad de quelques heures, les transporteurs auraient pu être tenus de former tous leurs pilotes en classe ou même sur un simulateur de vol, ce qui aurait gonflé leur facture de plusieurs millions de dollars, estime Rollins.

Jean Lapointe, expert en aviation civile.

Jean Lapointe, expert en aviation civile.

Photo : Radio-Canada

Réaction de Boeing

À la suite de l'accident du Lion Air, des pilotes américains ont rencontré les dirigeants de Boeing pour se plaindre de n'avoir reçu aucune information sur le nouveau système MCAS.

Dennis Tajer, un pilote d'American Airlines et porte-parole de l'Allied Pilots Association, a dit au Washington Post que, lors de cette réunion, des dirigeants de Boeing ont déclaré qu'ils n'avaient pas informé les pilotes du MCAS parce qu'ils ne voulaient pas les « inonder » avec trop d'informations.

Boeing nie qu’un de ses cadres ait tenu de tels propos.

En réponse à nos questions, un porte-parole de Boeing, Paul Bergman, souligne que les fonctions pertinentes du système anti-décrochage étaient décrites dans le manuel et affirme que « les reportages suggérant que nous aurions volontairement dissimulé des informations sur les fonctionnalités de l'avion à nos clients sont faux ».

Dans un avion, Raymond Hall.

Le pilote à la retraite Raymond Hall a travaillé pendant 36 ans pour Air Canada.

Photo : Courtoisie

L’ex-pilote Raymond Hall croit que Boeing tourne autour du pot. En raison du manque d’informations, les pilotes de Lion Air n’ont pas su identifier ce qui leur arrivait et ne pouvaient donc pas savoir comment se sortir du pétrin avant qu’il ne soit trop tard.

Ce n’est qu’après l’écrasement de Lion Air que Boeing a émis un bulletin de sécurité fournissant pour la première fois aux pilotes des informations cruciales sur le fonctionnement du MCAS. Ce bulletin révélait que le système anti-décrochage pouvait faire piquer du nez l’avion à répétition, en dépit des commandes des pilotes.

Une surveillance défaillante

Le régulateur américain du transport aérien, la Federal Aviation Administration, aurait pu exiger que Boeing divulgue aux pilotes l’existence du système MCAS dès le départ, mais ne l’a pas fait. La FAA a confié une grande part de son processus de certification à des employés de Boeing eux-mêmes, selon une enquête du Seattle Times.

« Je pense que nous avons affaire à un scénario sans précédent où un fabricant semble avoir utilisé certains raccourcis dans son processus de certification », croit le consultant Judson Rollins.

Puisque le système de certification de l'aviation dans son ensemble repose de plus en plus sur l'autoréglementation par l’industrie, le fabricant en question semble avoir berné le régulateur, dit-il

Un deuxième 737 MAX s’est écrasé il y a quelques semaines, en Éthiopie. Selon les enquêteurs, les données obtenues de l'enregistreur de données de vol révèlent des similitudes avec le désastre de l'avion Lion Air.

Boeing fait maintenant l'objet d'une enquête criminelle des autorités judiciaires américaines. Les enquêteurs auraient, entre autres, demandé à Boeing des informations sur les procédures de sécurité, y compris le contenu de ses manuels.

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