Technologie

Surveillance en prison: à Hongkong, la techno parade

Intelligence artificielle : de la fascination à l'inquiétudedossier
Caméras «intelligentes», détecteurs de mouvement… Dans l’établissement de Pik Uk, le flicage des détenus atteint des sommets.
par Rosa Brostra, Correspondante à Hongkong
publié le 26 mars 2019 à 20h46
(mis à jour le 1er avril 2019 à 14h53)

Prison de Pik Uk. Hongkong. 10 h 07 : dans un dortoir, un détenu se précipite vers une étroite fenêtre, noue une corde à la va-vite. 10 heures, 7 minutes, 5 secondes : son corps pend aux barreaux. Une alarme brise le silence. 10 heures, 7 minutes, 10 secondes : deux matons font irruption. Il aura fallu dix secondes pour empêcher un suicide grâce aux nouvelles technologies. Fin de la simulation.

L'administration pénitentiaire hongkongaise a ouvert à la presse les portes du centre de détention de Sai Kung, dans les collines luxuriantes du secteur baptisé les Nouveaux Territoires, le temps d'une impressionnante démonstration in situ de dispositifs technologiques dernier cri. Leur nouvelle «prison intelligente» se veut «plus sûre et sans danger».

Ce matin-là, l'établissement est étonnamment silencieux, seuls quelques ballons de foot coincés en haut des murs de barbelés témoignent de la présence récente de vrais détenus. On se sent observé. Dans les étroites allées grillagées, le long des murs vert anis ou des massives portes blindées, les caméras sont partout. Elles sont désormais plus sophistiquées. En plus des patrouilles de chiens et de ces caméras en circuit fermé, les prisonniers sont placés dix heures par jour sous l'œil de caméras «intelligentes» : dix par dortoir de 22 lits superposés, et même deux dans les toilettes attenantes. Quand un corps se balance, tombe au sol, s'agite plus de quelques secondes ou quand une tête heurte un mur à répétition, un rectangle rouge apparaît sur les écrans de contrôle, un bip façon jeu vidéo retentit si le mouvement suspect se prolonge.

Bracelet

«Si les détenus sont assis ou allongés, ça ne va pas sonner, mais s'il y a un comportement anormal, oui», explique un surveillant, lors de la démonstration faite devant ces murs nus et ces lits tirés au cordeau, vidés de leurs occupants pour la circonstance. Plus aucune tentative d'évasion n'a réussi depuis onze ans dans les prisons de Hongkong, dont le taux d'occupation est de 74 %. Les quelque 8 300 détenus actuels se tiennent à carreau, à en croire les statistiques. Mais «à la lumière des émeutes à grande échelle observées dans d'autres pays», Hongkong a «pris l'initiative de renforcer les mesures de prévention, les plans d'intervention d'urgence et les équipements» afin de «limiter de manière proactive toute activité illicite», explique Woo Ying-ming, chef des services correctionnels.

Hongkong vient donc d’investir 3,5 millions de dollars hongkongais (394 000 euros) dans des outils haute technologie en cours d’expérimentation et présentés dans une vidéo. Sur fond de musique de film d’action, on y voit une détenue s’enfuyant dans un couloir. Le bracelet vissé à son poignet permet de détecter qu’elle n’emprunte pas le chemin qu’elle devrait, et donne automatiquement l’alarme. Autre innovation : un bracelet connecté contrôlant en continu le pouls et d’autres données de détenus nécessitant une assistance médicale, ce qui devrait alléger le personnel dédié aux escortes médicales.

A venir aussi, des systèmes de fermeture des portes basés sur la reconnaissance faciale et un robot qui manipule les selles des nouveaux matricules pour en extraire les drogues dissimulées ou avalées. De quoi éviter que les geôliers se salissent les mains. Car c'est là l'un des objectifs de ce renfort de technologie : alléger la tâche des surveillants et fidéliser de nouvelles recrues à l'heure où la pénurie de personnel est criante et les départs à la retraite nombreux. L'automatisation de la surveillance soulève toutefois plus d'une question relative à la vie privée des détenus. Un officier a précisé à la dérobée que les données médicales seraient détruites au bout de quarante jours. Les enregistrements des caméras «en général» après trente et un jours, assurent les services correctionnels qui «administrent» les données. Le délai devrait être de sept jours, sauf incident nécessitant une enquête, rétorque Richard Tsoi de l'ONG hongkongaise Society for Community (SoCO), selon qui «le niveau déjà très haut de sécurité» des prisons hongkongaises «ne justifie pas l'installation urgente» de ces gadgets technologiques. Mais Tsoi reconnaît «ne pas maîtriser à 100 %» le fonctionnement de ce nouveau dispositif «intelligent». Même son de cloche auprès d'autres organisations de défense des droits de l'homme contactées.

Prémices

Hormis de rares cas au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et à Singapour, l’intelligence artificielle en milieu carcéral en est à ses prémices. Mais elle progresse. Une équipe de l’université de Swinburne à Melbourne a planché sur une prison hors-les-murs, où le détenu purgerait sa peine depuis chez lui, scruté par des détecteurs, algorithmes et autre objets connectés, une solution pour favoriser la réinsertion et désengorger des prisons surpeuplées et très coûteuses.

Mais l'impact d'une utilisation massive de technologies «interfère potentiellement dans la vie privée des détenus», met en garde SoCO. Une étude menée en 2011 par l'Institut de criminologie de Cambridge suggérait que le sentiment d'être surveillé en continu contribuait à créer une «atmosphère de suspicion constante et de paranoïa», menant à une «perte d'identité» : «La menace d'une "condamnation à l'infini" était présente au quotidien, pour tout, parce que les prisonniers ne savaient pas exactement quelle information pouvait être utilisée contre eux, toute information pouvait l'être.» C'est l'incarnation moderne du concept du panoptique de Bentham, repris par Foucault : un système carcéral dans lequel le détenu se croit épié jour et nuit, et qui, selon le philosophe, induit «un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir».

Et pour aller plus loin sur le sujet, nos deux hors-séries consacrés à l’intelligence artificielle…

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