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Socrates et la "Démocratie corinthiane"

Il y a près de trente ans au Brésil, en pleine dictature militaire, les joueurs s’emparent du pouvoir au sein des Corinthians de Sao Paulo. Socrates était un de leurs leaders.

Auteur : Jérôme Latta le 4 Dec 2011

 

Il y a un peu plus de vingt ans, le football connut au Brésil un de ses aventures les plus extraordinaires. Connue sous le nom de "Démocratie corinthiane", elle vit les joueurs des Corinthians de Sao Paulo prendre les commandes de leur club, et ce alors que règne la dictature militaire, sous l’oppression de laquelle le pays se trouvait depuis 1964. Le régime tenait alors le football sous sa coupe, dont il manipulait les compétitions à coups de constructions de stades et d’accessions artificielles à la première division, s’assurant ainsi un semblant de popularité ou de paix sociale. Dans ce système, les joueurs n’étaient plus que des pions ne bénéficiant d’aucun droit, appartenant à vie à leur club et subissant des conditions de vie extrêmement précaires, à l’exception de quelques privilégiés. Au sein des équipes, ils étaient infantilisés par des dirigeants corrompus ou carriéristes passant du registre du paternalisme à celui de l’autoritarisme: "Quatre-vingt-dix pour cent des joueurs ont une condition de vie inhumaine. Soixante-dix pour cent gagnent mois que le salaire minimal. Si les joueurs l’acceptent, [les dirigeants] sont paternalistes. Sinon, ils sont autoritaires", déclarait Socrates [1].

 

 


Les joies de l’autogestion

Pour que cette histoire commence, il fallait l’intervention d’un hasard heureux. Alors que les Corinthians évoluent loin de leur lustre sportif, la présidence échoit en novembre 1981 à un sociologue de trente-cinq ans, Adilson Monteiro Alves, ancien leader universitaire qui a effectué quelques séjours en prison. Il propose aux joueurs de prendre en main leur destin, remplace le système des primes par un intéressement aux recettes de billetterie et de télévision, redistribue les bénéfices à tous les employés. Surtout, ces mesures, ainsi que toutes les décisions concernant la gestion sportive de l’équipe, sont débattues et adoptées par les joueurs eux-mêmes: ils abolissent ainsi les mises au vert, décident de la façon de préparer les rencontres ou d’organiser les déplacements, et vont jusqu’à choisir les renforts et l’entraîneur! Le premier coach élu est, symboliquement, Zé Maria, un joueur de l’effectif (champion du monde 1970) qui poursuit aussi une carrière de conseiller municipal, histoire de frapper les esprits avant que Jorge Vieira ne prenne la suite.

 

Dans le contexte de la dictature, cette expérience prend une dimension politique évidente, qui sera renforcée par un geste fort: en novembre 1982, peu de temps avant l’élection du gouverneur de Sao Paulo à laquelle a été contraint un gouvernement en perte d’autorité, les joueurs entrent sur le terrain avec une inscription sur leurs maillots incitant les électeurs à aller voter. Les autorités restent impuissantes devant cette provocation, tout comme ils ne peuvent s’opposer à la victoire des "insurgés", fédérés sous la bannière "Democracia Corinthiana" lors de l’élection par les socios du président du club. Les Corinthians deviennent alors les symboles du mouvement démocratique qui traverse le pays, reçoivent le soutien des intellectuels et ne ratent jamais l’occasion d’afficher leurs convictions, entraînés par les leaders que sont Socrates, Wladimir, Casagrande ou Zé Maria.

 

 


« Gagner ou perdre, mais toujours en démocratie »

Ce petit miracle prend d’autant plus de sens que les résultats sportifs suivent, avec un jeu spectaculaire que ne compromet en rien le style de vie épicurien de cette joyeuse bande. "Tant que dura la démocratie, le Corinthians, gouverné par ses joueurs, offrit le football le plus audacieux et le plus éclatant de tout le pays, il attira les plus grandes foules dans les stades et remporta deux fois de suite le championnat" (Eduardo Galeano, Le Monde Diplomatique, août 2003). Fin 83, le club dispute la finale du championnat pauliste contre Sao Paulo et les joueurs se présentent sur le terrain avec une banderole "Gagner ou perdre, mais toujours en démocratie". Ils gagnent. 1-0, but de Socrates.

 

"Nous exercions notre métier avec plus de liberté, de joie et de responsabilité. Nous étions une grande famille, avec les épouses et les enfants des joueurs. Chaque match se disputait dans un climat de fête (...) Sur le terrain, on luttait pour la liberté, pour changer le pays. Le climat qui s’est créé nous a donné plus de confiance pour exprimer notre art", raconte le buteur. Paradoxalement, l’aventure s’essoufflera au moment où la bataille sera en passe d’être gagnée sur le terrain politique national. Socrates rejoint la Fiorentina en 84, regrettant notamment que l’expérience ne se soit pas étendue aux autres équipes. Tandis que la transition démocratique s’amorce, une ultime manipulation des vieux dirigeants du club leur permet d’en reprendre les rênes lors des élections d’avril 1985 et d’écarter les contestataires.

 

Cette petite révolution dans le Brésil d’alors en serait encore une dans le football actuel. Ce moment de grâce quasiment unique dans l’histoire de ce sport nous permet, à sa lumière, de mieux percevoir comment il a évolué — ou plutôt comment il n’a pas évolué — lors des deux dernières décennies... On relève souvent la conscience politique embryonnaire des joueurs, efficacement bouclés dans leur statut de stars, comme si leurs salaires étaient le prix de leur silence ou de leur impuissance de citoyens. On retiendra ce clin d’œil du destin: alors que la Démocratie corinthiane battait son plein, les joueurs assistèrent à la fête marquant la création du Parti des travailleurs dont le leader était un certain Lula, futur président du Brésil...

 

Article paru dans le numéro 6 des Cahiers du football (avril 2004).
[1] Les citations et la plupart des informations sont extraites de deux superbes articles du regretté Francis Huertas, parus dans France Football en octobre 1998.

Réactions

  • Ethique Estac le 04/12/2011 à 14h05
    Étant un peu jeunot, j'ai pas pu vivre cet étrange et réjouissant moment de mélange entre utopie sportive et politique. Merci les cahiers pour le formidable article. D'aucuns rangeraient cela dans "(Contre)Culture Foot" mais ça dépasse amplement toute ces postures.

    Pour l"hommage, j'exhume également mon récent texte d'inscription, qui donnait une vision idéalisée du mythe Socrates, capable d'éduquer les jeunes générations à moitié égarée.

    "

    Le Benarfas

    En quête d'eau fraiche et en mal de football, le jeune international français Hatembenarfas entre dans la bibliothèque de Saint James' Park, Newcastle. En flânant non loin du rayonnage « Philosophy », il bouscule par mégarde un homme en toge et claquettes brésiliennes, Sócrates. Par curiosité et intérêt, il entame un dialogue avec celui-ci.

    Hatembenarfas: Excusez-moi, j'hésite entre ces deux ouvrages, The Gay Science et Thus Spoke Zarathustra. Lequel est le mieux pour parfaire mon anglais?

    Sócrates: Sorry, I only speak greek or bresilian.

    HBA, bien aidé par ses cours de LV1 de l'INF Clairefontaine reformule sa question en grec ancien.

    Sócrates: Connais toi toi-même, Hatem et tu sauras quel chemin emprunter vers la sagesse.

    HBA: Non, non je ne parlais pas de ça... Attendez, qui êtes-vous? Comment me connaissez-vous vous-même? Seriez-vous... Socrate?

    Sócrates: Lui-même.

    HBA, désormais plus à l'aise: C'est fou, je suis un de tes plus grand fan, j'ai lu tous tes ouvrages. Le dialogue avec Messi, la Banquette. Tout.

    Sócrates: Tu confonds, mes humbles faits de gloire ne sont qu'une lucarne de 30mètres contre l'URSS en 1982, une tête plongeante en final contre l'Allemagne de Leibniz et, dans une moindre mesure, ma fraternité avec un joueur mythique de PSG.

    HBA: Mais je te croyais mort, fauché par cette cigüe plus brutal qu'un De Jong énervé. Était-ce douloureux Socrate?

    Sócrates: A en mourir, à en mourir, Hatem. Mais cette épreuve m'a permis d'accéder à la postérité, ce produit végétal m'a rendu plus fort.

    HBA: Hé, mais c'est tabou de parler de dopage dans le football. L'Epo pour DD, la nandrolone pour Pep, Coco and Co pour Mutu, et maintenant les nouvelles vertus de la cigüe pour toi, Socrate. On avait pas besoin de ça en plus. Heureusement que le droit et honnête Protagaulas a pointé du doigt les dérives flagrantes en Bundesliga.

    Sócrates: Ne me parle pas de cet ignoble sophiste. Entre deux logorrhées au micro de David Berger et trois insultes au corps arbitral transmises par huissier, as-t-il prétendu t'enseigner la vertu?

    HBA: Non mais il m'a prétendu être mon père, jouer mieux que Ronaldo, puis m'a transféré à l'OM au mercato. A propos, je t'imaginais plus moche et moins élégant mon bon Socrate, ton éternelle laideur ne serait qu'un mythe?

    Sócrates: Toi qui me connais si bien, tu sauras qu'ici je suis seul à poser les questions? Veux-tu de mon enseignement, veux-tu rejoindre ma horde de disciples?

    HBA: Tu veux que je te prenne pour agent? Je suis cependant, tu le sais, fort bien conseillé. Certes. Mais, oui. J'ai besoin de toi. Je ne trouve point ma place dans le collectif, je tourne sur moi-même au milieu de cinq joueurs, sans pouvoir nous délivrer, ni moi ni la balle.

    Sócrates: Tu cherches une équilibre vertueux. Ce ne sont pas tes précédents précepteurs, tous sophistes et nobles rhéteurs mais piètres professeurs, qui ont pu te dicter la prhonesis.

    HBA: Te ferais-tu aristotélicien l'air de rien? Cette prudence que tu évoques, je ne l'ai peu suivi jusqu'à présent, puisqu'elle n'est pas incluse dans ton enseignement.

    Sócrates: Je souhaite en fait te lancer en profondeur vers la sagesse, jouer du toque vers l'idéal de la Cité, de l'esprit d'équipe, te faire entrer dans la République.

    HBA: La raie publique? Mon innocence dans l'affaire Zahia B est pourtant avérée.

    Sócrates: Ne jouons pas sur les mots. Le football doit s'accommoder de l'idéal démocratique, tout en restant contre les Péricles, Sepp Blatter ou Protagaulas, qui souhaite la manipuler. Il faut passer par cette république dont un de mes disciples a publié le célèbre verbatim en 10 livres.

    HBA: « La démocratie, le pire des régimes à l'exception de tous les autres » aurait dit Kevin Keagan. Ferais-tu dans l'ironie?

    Sócrates: Relève ce bandeau que tu as sur les yeux mon pauvre. Tu me fais penser à un Glaucon. Les juntes, Castelo Branco, Videla, comparable à l'équilibre démocratique d'une Cité? Tu vas donc de Charybde à Scylla?

    HBA: Je n'entends rien à ton projet, brave Socrate. Tes phrases m'emportent et me renversent comme si j'étais un vulgaire paquet de lessive.

    Sócrates: Je vais simplifier, avant donne-moi juste ta vision du football?

    HBA: Là où je joue, la premier league du XXIe, ce n'est qu'une note de bas de page de toute l'histoire de ce sport. Et comme l'a si bien dit Gary Schopenhauer: « Le football est un jeu simple : 22 hommes courent après un ballon durant 90 minutes, et à la fin, c'est toujours l'Espagne qui gagne ».

    Sócrates: Arrête ta pseudo-érudition, tu veux finir comme Didier Roustand? Ne gagner que les camemberts oranges et forcer ton fils à coups de ceinturons à apprendre la composition de Bayern-Leeds 1975?

    HBA: Convaincs moi, aide moi à trouver un semblant de justice dans mon individualité et dans ce sport aimée.

    Sócrates: D'accord. Vas aux Corynthians...

    HBA, le coupant: Je m'imaginais plutôt aux Panathinaikos à vrai dire.

    Sócrates: Vas aux Corynthians, écarte le président et installe avec tes coéquipiers un aréopage auto-géré. Puis écris « démocratie » sur ton maillot, engage toi et applique ces quatre opérations de l'âme et du jeu: l'intelligence à la plus haute, la connaissance discursive à la seconde, à la troisième l'imagination et, pour la dernière, surtout n'oublies pas de passer le ballon.

    HBA: J'accepte l'ordre que tu proposes, j'en parlerai au gardiens de la cité et à tous mes coéquipiers, sans distinctions ni quotas ethniques, et désormais ta voie je suivrai, Magic Sokrates."


  • le Bleu le 04/12/2011 à 14h23
    Le plus bel hommage à Socrates qu'on pouvait écrire.

  • emink le 04/12/2011 à 18h43
    Remarquable article. J'ignorais cet aspect des choses. C'est pour ça qu'on aime les cahiers...

  • Mangeur Vasqué le 04/12/2011 à 19h53
    Je plussune, superbe article. Je connais son histoire (la presse anglaise en parla beaucoup lors de sa micro-pige à Garforth Town en 2004) mais ça m'a rafraîchi la mémoire.

    Au passage, joli texte Ethique Estac, bravo (un détail cependant EE, c'est Kevin KEEGAN - je sais bien que Sofoot, par deux fois, l'épelle Keagan dans le numéro d'octobre 2011 - "Newcastle, la French connection", mais c'est bien Keegan).


  • Tonton Danijel le 04/12/2011 à 21h28
    Je rejoins les nombreux hommages à l'article (il y a aussi un billet plus complet sur le blog 'Une balle dans le pied'). Et joli texte aussi Etique Estac.

  • Justin Bibard le 05/12/2011 à 00h04
    Et petit clin d'oeil sympa à Francis Huertas.

  • Ba Zenga le 05/12/2011 à 09h48
    Merci pour le double hommage. Putain, je n'arrive pas à m'enlever ma tristesse depuis hier. J'adorais ce joueur et ce qu'il représentait, quelle classe, quelle classe... Et son club qui remporte le titre le jour de son décès, j'aime.

  • Edji le 05/12/2011 à 11h03
    Très bel article, je ne connaissais que la version "So Foot" de Régy et Ghemmour.
    Partagé quand même sur un point : on a l'impression que c'est la "démocratie corinthianne" qui fait gagner le club à l'époque, mouais.
    Je ne cherche pas à minimiser l'importance du mouvement, bien au contraire, mais justement, sa résonance très forte s'explique par son inscription dans le contexte politique brésilien de l'époque, en dépit du fait que le joug des militaires fut alors moins lourd de conséquences que dans l'Argentine voisine.
    Mais je ne suis en revanche pas certain que c'est parce que Socrates ne crachait pas sur une bonne cachaça et grillait son paquet de clopes quotidien, en décidant avec ses coéquipiers que telle était la voie à suivre, que les Corinthians ont été deux fois champions paulistes.
    En bref, l'autogestion pour mener une équipe au succès, j'y crois pas trop.
    Le talent fou drivé par un coach tel que Santana, j'y crois beaucoup plus.

  • Toto le Zéro le 05/12/2011 à 11h27
    Avant la CM de 1998, l'Equipe Magazine avait fait fait un numéro "Spécial Brésil" qui comportait une interview de Socrates où il relatait cet épisode de sa carrière... Une interview passionnante où il revenait également sur les CM de 1982 et 1986...
    "Jouer est un acte politique" avait-il ainsi déclaré.

    Excellent numéro, au demeurant, que je conserve précieusement. Il dressait un portrait sans concessions d'un pays dont le monde du football était (est?) marqué par la corruption (Teixeira...), des stades en pleine décrépitude (Maracana...), un marché des joueurs aux règles de plus en plus opaques (à l'instar notamment de Zé Roberto) et une selecao dont les moindres faits et gestes étaient sans cesse épiés par les médias...

    Adeus, comme on dit en portugais.

  • Vel Coyote le 05/12/2011 à 17h30
    Je ne connaissais pas cette histoire, merci beaucoup.

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