L'héritage, ça se mérite ?

Le couturier, artiste et photographe allemand Karl Lagerfeld pose à côté d'une peinture de son chat "Choupette" qu'il a désignée comme son héritière. ©AFP - JENS KALAENE / DPA
Le couturier, artiste et photographe allemand Karl Lagerfeld pose à côté d'une peinture de son chat "Choupette" qu'il a désignée comme son héritière. ©AFP - JENS KALAENE / DPA
Le couturier, artiste et photographe allemand Karl Lagerfeld pose à côté d'une peinture de son chat "Choupette" qu'il a désignée comme son héritière. ©AFP - JENS KALAENE / DPA
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La France compte toujours plus d’héritiers. Ce phénomène de concentration des richesses est pourtant masqué par le tabou de l’impôt successoral et la question explosive de la place de la famille dans l’héritage. Doit-on concevoir un système plus libéral, où chacun hérite de ce qu’il mérite ?

Avec
  • Pauline Grégoire-Marchand Directrice des études et prospectives du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, ancienne cheffe de projet de France Stratégie sur les questions d'inégalités et de pauvreté
  • Daniel Borrillo Juriste, professeur à l'Université de Paris Ouest Nanterre-La Défense, chercheur associé au CNRS
  • Sibylle Gollac Sociologue française

Attention, sujet sensible politiquement : celui de la fiscalité sur les successions. Pas seulement parce qu’il s’agit de fiscalité. Mais aussi (et peut-être surtout) parce qu’il touche à un des fondements de notre société depuis la Révolution : les modalités de transmission du patrimoine.

Les études en attestent : les Français sont très attachés à cette conception de l’héritage, qui veut que le patrimoine reste à moindre frais dans la famille. Comme le disait Nicolas Sarkozy en 2007, « quand on a travaillé dur toute sa vie, qu’est-ce qui donne du sens à la vie ? C’est de faire que ses enfants commencent un peu plus haut que soi-même on a commencé ».

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Problème : comme le dit le proverbe, l’argent va à l’argent, l’héritage renforce les inégalités sociales et générationnelles. Les promesses de mobilité sociale se heurtent à cette réalité.

Pour y remédier, deux think tanks ont récemment proposé des réformes. Le premier, Terra Nova, suggère de revoir la fiscalité du patrimoine pour augmenter son rendement. Le deuxième, GénérationLibre, de supprimer la réserve héréditaire, pour permettre au futur défunt de léguer sa fortune à qui il l’entend, quand bien même il le ferait au détriment de ses enfants.

A vrai dire, ces pistes ont bien peu de chances d’aboutir. Emmanuel Macron l’a dit la semaine dernière lors du débat face aux intellectuels : il n’a pas l’intention de sacrifier son capital politique sur l’autel d’une telle réforme.

Pour autant, la question devra bien finir par être posée politiquement.

« L’héritage, ça se mérite ? »

Vidéos :

Daniel Borrillo :

On devrait aller vers une société qui libère le travail, qui ne soit pas une société de rentiers ou d’héritiers, mais une société du mérite par le travail. On imagine aussi une société beaucoup plus fondée sur l’individualisation des droits. Au fond, le problème de la réserve héréditaire, c’est que l’on crée une espèce de patrimoine familial qui n’appartient pas aux individus. C’est comme si la famille était un sujet de droit, dépositaire de ces dévolutions successorales qui appartiennent aux générations futures. La personne lorsqu’elle meurt ne dispose pas de ses biens. Il y a un problème de liberté qui crée des absurdités. Par exemple en France, les grandes fortunes ne peuvent pas, à cause de la réserve héréditaire, faire des donations à des sociétés philanthropiques comme en proposent des grandes fortunes américaines.

Pauline Grégoire-Marchand :

Quel que soit le revenu des gens et leurs chances d’hériter, il y a une forte opposition à la taxation des transmissions. En revanche, cette taxation est très surestimée, et particulièrement par les personnes les moins diplômées avec les plus faibles revenus (…) Cette méconnaissance est probablement liée à l’extrême complexité du système de taxation de la transmission du patrimoine, avec ses mécanismes d’abattement et d’exonérations. Il y a aussi le fait qu’historiquement, les libéraux étaient pour la taxation de l’héritage. Puis au cours des trente dernières années aux Etats-Unis, les personnes défendant une vision libérale de l’économie se sont opposées aux droits de successions en s’appuyant sur l’importance de la famille. Cet alliance un peu surprenant conduit à une impopularité croissante.

Articles :

"Nous devons inventer une philanthropie à la française", entretien de de Gabriel Attal, Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse, Les Echos, le 24/01/2019.

[abonnés] "Impôts : l’héritage, un sujet tabou en France", Le Monde, le 09/12/2018

En%20savoir%20plus : Peut-on%20d%C3%A9sh%C3%A9riter%20ses%20enfants%20%3F

Liens :

"Supprimer la réserve héréditaire. Pour la liberté, le mérite et la philanthropie", note de GénérationLibre, mars 2019

"Réformer l'impôt sur les successions", note de Terra Nova, 04/01/2019

"La fiscalité des héritages : connaissances et opinions des Français", note de France Stratégie, janvier 2018

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