Il lui aura fallu beaucoup de temps pour mettre des mots sur l’indicible. En publiant son autobiographie « Toujours se relever », vendredi 15 mars, Babette de Rozières  a choisi de lever le voile sur tous les moments de sa vie, même les plus douloureux. Dans son ouvrage, la cheffe qui a gagné en notoriété en préparant des repas pour l’émission « C à vous » sur France 5, revient sur son parcours professionnel mais aussi sur son enfance, marquée par la violence et les abus sexuels. Née en Guadeloupe de parents à peine majeurs, Babette de Rozières n’était pas désirée. Sa grand-mère maternelle l’a donc élevée, lui donnant au passage le goût de la cuisine et du partage. Mais la mère de Babette, Vénus, n’était jamais  loin pour lui infliger des sévices physiques, avec un tuyau d’arroasage, dont elle garde des « cicatrices sur le visage et le corps ».

« Jamais je n’ai osé le dire… j’avais trop peur »

La star des fourneaux a également vécu l’horreur avec un ami d’enfance de sa mère, un certain Tesseyre. « Il me prenait sur ses genoux et me faisait asseoir sur son sexe. J’étais une toute petite fille d’à peine cinq ans. Tesseyre profitait de ces moments pour me caresser et m’enfonçait son doigt dans le sexe. J’avais mal, très mal, et jamais je n’ai osé le dire, pas même à ma grand-mère, j’avais trop peur. Et la scène s’est répétée à chaque fois qu’il me voyait », écrit Babette de Rozières dans « Toujours se relever ». Celle qui a lancé son propre restaurant, « La Case de Babette » dans les Yvelines, explique aussi pourquoi elle a mis si longtemps à en parler : elle a été victime d’une amnésie traumatique. C’est seulement à l’âge de 50 ans que les scènes de viol lui sont revenues comme un flash. Dans une interview accordée mercredi 27 mars à « Ici Paris », la septuagénaire évoque ce moment douloureux : « Les enfants oublient ce qui se passe en matière de viol et d’agression sexuelle. Un matin, à l’âge de 50 ans, je me suis levée, et j’ai vu la petite fille que j’étais alors âgée de cinq ou six ans, sur les genoux du chauffeur de ma mère ». Les souvenirs lui sont donc revenus et avec eux, la violence de l’agression et le sentiment de l’innocence perdue. « J’ai vécu ça dans ma chair. J’étais enfant, je ne savais pas. J’ai été violée », confie-t-elle à « Ici Paris ».

L’allongement du délai de prescription pas suffisant ?

Babette de Rozières n’est pas la seule victime de viol à avoir souffert d’amnésie traumatique. En 2016, Flavie Flament révélait dans le magazine ELLE avoir été violée par un célèbre photographe, David Hamilton, quand elle avait treize ans. Elle raconte dans son livre « La Consolation » que c’est à l’âge de 35 ans seulement que ces douloureux souvenirs lui sont revenus. Frein à la libération de la parole, ce trouble de la mémoire fréquent chez les victimes de violences sexuelles, pose la question du délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur mineurs. En 2017, Flavie Flament s’est vue confier une mission ministérielle pour étudier cette question et mieux comprendre comment le « droit à l’oubli » réclamé par les agresseurs condamne une nouvelle fois les victimes. Depuis l’adoption, en août 2018, de la loi contre les violences sexuelles et sexistes portée par Marlène Schiappa, le délai de prescription est passé de 20 ans à 30 ans après la majorité de la victime. Si cet allongement va dans le sens des victimes, il n’est pas pour autant suffisant, dénoncent les associations. Babette de Rozières fait partie de ces victimes qui ne peuvent plus porter plainte à cause du délai de prescription.