La pyramide du Louvre a 30 ans: histoire d'un projet fou

Son élégance transparente est aujourd'hui une évidence. On en oublierait presque que la pyramide du Louvre, qui fête aujourd'hui ses trente ans, a fait l'objet d'une terrible bataille, et d'un impressionnant chantier.

Voulu par François Mitterrand, le projet visait d'abord à récupérer l'espace occupé alors par le ministère des Finances, installé dans l'aile Richelieu, côté Rivoli. L'idée était ainsi de "doubler la superficie du Louvre, de 35.000 à 70.000 m²", comme l'évoque David Le Bailly dans le livre La captive de Mitterrand.

"Relier les ailes du musée"

"On savait que pour un projet au Louvre, on ne pouvait absolument pas toucher aux façades", rappelle Didi Pei, le fils de Ieoh Ming Pei, l'architecte sino-américain choisi par François Mitterrand.

La solution pour agrandir sans dénaturer le Louvre, c'est une construction souterraine. Il s'agit ainsi de "relier les ailes du musée par une construction souterraine", explique le fils de Pei. 

En 1984, voilà à quoi ressemble la cour Napoléon: deux terre-plein centraux vaguement verts, et tout autour, les voitures des employés du ministère. "La cour Napoléon était un épouvantable parking, se souvient Jack Lang, alors ministre de la Culture, interrogé par l'AFP. Le musée était handicapé par l'absence d'entrée centrale. L'idée initiale était de faire entrer les visiteurs au milieu, et de couvrir cette entrée".

Lorsque la maquette est dévoilée en 1984, le tout-Paris pousse des hauts-cris, s'indigne, proteste. Les attaques sont violentes. Jack Lang décrit "une explosion de hurlements".

C'est finalement Jacques Chirac, alors maire de Paris, qui va débloquer la situation. "Chirac a piqué une colère mais n'a jamais critiqué le projet, raconte à l'AFP l'architecte Michel Macary, un des principaux protagonistes du projet. Ça ne me choque pas, disait-il. C'est lui-même, plus tard, qui le commentera aux journalistes".

"Chirac dira oui à une condition: que l'on visualise dans l'espace ce que sera la pyramide. On a tendu trois câbles. Les Parisiens, par dizaines de milliers, sont venus" en mai 1985. L'installation permet au public de découvrir l'encombrement réel de la pyramide, qui ne cache en rien les bâtiments. "Ils s'imaginaient qu'on allait installer la pyramide de Keops", se souvient Jack Lang. 

"En France, tout est politique"

"Quand on est venus à Paris travailler sur le projet, raconte le fils de Pei, on nous a dit qu'il pourrait y avoir des problèmes politiques. J'ai dit à Monsieur Biasini (NDLR: président de l'établissement public du Louvre de 1982 à 1988), 'je ne comprends pas, il n'y a pas de politique dans l'architecture'. Il m'a simplement répondu, 'En France tout est politique'". 

Le chantier démarre en 1985. Le projet, largement contesté à ses débuts, permet également d'exhumer les fondations de la forteresse qui se dressait, à l'époque de Philippe Auguste, au XIIe siècle, avant d'être démolie pour laisser la place au palais du Louvre. Des vestiges, en partie préservés, et que l'on peut encore observer, lorsque l'on visite le musée du Louvre. Le président François Mitterrand est présent tout au long des travaux, très impliqué dans le chantier du "Grand Louvre".

Mais la violente polémique n'est pas la seule contrainte de ce projet, dont le chantier s'annonce à la fois pharaonique - c'est le cas de le dire - et complexe d'un point de vue technique. "Mitterrand voulait une structure pratiquement transparente. La plus légère possible", rappelle le fils de Pei. 

603 losanges

Les 603 losanges et 70 triangles qui composent la pyramide du Louvre, dont les proportions sont les mêmes que celle de Gizeh en Egypte, ont représenté une prouesse technique. Le verre, fabriqué par Saint Gobain, a nécessité "la construction d'un four spécial, qui réduit les oxydes de fer et leur incidence verte en transparence", expliquait en 2013 Le Moniteur. La charpente métallique qui ne pèse "que" 95 tonnes, supporte les panneaux de verre, qui sont collés dessus. Chacune des faces de la pyramide est constituée de 128 poutres en acier inox, croisées, parallèles à ses arêtes.

"C’est vrai que dans les années 1980, il y a eu beaucoup d’attaque sur la fragilité de cette future pyramide: on disait que des plaques de verre seraient cassées, que ce serait difficile à entretenir", évoque Jean-Luc Martinez, actuel président du musée dans Le Parisien.

Indiens d'Amérique

L'entretien est en effet au centre de bien des fantasmes. Comment préserver cette fameuse transparence? "Sur l’entretien du vitrage extérieur, on a tout entendu, évoquait dans Le Moniteur Philippe Carreau, chef de service des Bâtiments et jardins du musée du Louvre, comme de faire venir des Indiens d’Amérique habitués aux travaux acrobatiques". 

Il détaille dans Le Parisien, la teneur de ce nettoyage, qui a évolué au fil du temps et intervient une fois par mois. Ici, point d'humain en rappel sur les parois translucides. Non, dès les années 1990, c'est un robot qui s'en charge. Il sera modernisé au fil du temps. Certaines tâches restent cependant impossibles à automatiser. "On utilise juste les cordistes pour réparer les joints. Les jets d’eau des bassins déposent aussi une brume chargée de tartre sur le verre. Il faut détartrer de temps en temps avec une sorte de ponceuse. Cela ne peut être réalisé que par un être humain.", explique-t-il au quotidien.

Ce 29 mars 2019, les faces de la pyramide du Louvre, sans doute astiqués avec soin, étincelleront comme au premier jour.