Publicité

29 mars 1919: Raoul Villain, l’assassin de Jaurès, est acquitté

À gauche Jean Jaurès, le leader socialiste et fondateur de L’Humanité et à droite Raoul Villain son meurtrier . Rue des Archives

LES ARCHIVES DU FIGARO - Près de cinq ans après les faits, le meurtrier du leader socialiste est acquitté dans un contexte de profond patriotisme. Retour sur ce procès.

55 mois de détention préventive. Arrêté le 31 juillet 1914, Raoul Villain passe toute la période de la Première Guerre mondiale au fond d’une prison. René Viviani, alors président du Conseil, affirme: «L’assassin est arrêté, il sera châtié». Le 24 mars 1919, à l’ouverture du procès, lorsque Raoul Villain apparaît devant la cour d’assises de la Seine, de nombreuses choses ont changé: la Grande Guerre a fauché de nombreux poilus, on compte d’innombrables blessés et l’heure est à la célébration de la victoire. Mais, près de cinq années plus tard, l’homme doit expliquer son geste.

Meurtre au café du Croissant

À la veille de la Première Guerre mondiale Raoul Villain assassine Jean Jaurès. Il est intimement persuadé que le fondateur du SFIO et du journal L’Humanité «trahissait la patrie». En effet le leader socialiste est un pacifiste convaincu: il se bat pour éviter le conflit armé. Son dernier dîner a lieu au café Le Croissant dans le 2e arrondissement de Paris, le 31 juillet 1914. C’est là qu’à travers une fenêtre cachée derrière un rideau Raoul Villain abat Jean Jaurès d’une balle à bout portant. Cet acte élimine les dernières hésitations de la France à s’engager dans le conflit.

Le premier jour du procès Raoul Villain explique que tout d’abord «il avait la volonté de tuer Guillaume». Dans le compte rendu d’audience, Le Figaro raconte: «Tuer le kaiser, la chose lui semble possible; il l’étudie et porte dans sa poche une photographie de Guillaume, casqué, déguisé en Lohengrin, prise sur la place Saint-Marc lors de son voyage à Venise. Il devine que l’empereur qui vient de débarquer à Venise va, demain déchaîner la guerre sur le monde, et il veut le tuer».
Puis il abandonne l’idée, ajoute-t-il car «après tout, c’est peut-être le souverain le plus artiste dit-il à un de ses ami». Le jeune homme, comme le révèle Le Figaro, s’intéresse aux musées, aux sculptures. Il obtient un diplôme de l’École du Louvre précise le journal.

Le 31 juillet 1914, Jean Jaurès est assassiné au restaurant «Le Croissant». Rue des Archives/© Rue des Archives/PVDE

L’idée du meurtre de Jaurès s’installe peu à peu. Devant l’armement massif de l’Allemagne, et les idées pacifistes de certaines personnalités de gauche, dont Jean Jaurès, le jeune homme prend sa décision de tuer le fondateur de L’Humanité. «J’étais, dit-il, effrayé du danger que pouvait courir la patrie menée par de telles gens. Alors j’ai eu l’idée de tuer cet homme que je croyais néfaste» rapporte Le Figaro dans son édition du 25 mars 1919.

Procès de Villain ou funérailles de Jaurès?

Au deuxième jour d’audience, Le Figaro s’interroge: «Est-ce un vivant que l’on juge, est-ce un mort qu’on enterre? Sommes-nous à l’affaire Villain ou aux funérailles de Jaurès? De l’accusé plus personne ne prononce le nom». En effet, tout tourne autour du débat sur le patriotisme de Jean Jaurès: les socialistes ne s’accordant pas d’ailleurs sur ce point. Le lendemain, l’audience prend une tournure spéciale: les discussions «cherchent à faire l’histoire d’une guerre mondiale de plus de quatre ans, et à établir ce qu’elle eût été si Jaurès avait vécu». Puis c’est de nouveau, l’éloge de Jaurès qui continue, souligne le journal. Des hommes de tous bords viennent vanter ses mérites. Devant ces discussions, Le Figaro s’irrite: «Ce débat devient lamentable et bouffon». Où sommes-nous devant une “commission militaire” ou “à la chambre des députés” ironise encore le journal. Ce n’est que le 27 mars qu’on reparle enfin de l’accusé Raoul Villain: les témoins à décharge évoquent la personnalité intime de l’accusé, son enfance privée de mère, un être fragile et mystérieux. Un être profondément patriote qui ne pense qu’à deux sujets selon un témoin: «L’Alsace Lorraine et la loi de trois ans». Tous les détracteurs de cette loi sont à ses yeux des adversaires de la patrie.

Villain acquitté

Au 5e jour du procès, l’heure est au réquisitoires et aux plaidoiries. La plaidoirie de Joseph Paul-Boncour, pour les parties civiles porte sur le rôle de la presse qui a créé autour du leader socialiste une «atmosphère de haine». Le jeune Villain qui ne connaissait pas Jaurès, l’a «jugé à tort sur des articles de polémiques». Paul-Boncour demande donc la condamnation de Villain. L’avocat général Béguin exige un «verdict avec circonstances atténuantes» et enfin Alexandre Zévaès, l’avocat de Villain plaide la clémence.

Le 29 mars 1919, Villain est acquitté. «Quels ont été les mobiles des jurés? Ont-ils voulu condamner la politique d’un parti? Ont-ils été émus par la longue détention sans précédent de l’accusé? Ont-ils été émus par la vie lamentablement triste du pitoyable Villain? Qui sait?» s’interroge Le Figaro. Au lendemain de la guerre dont la France est sortie victorieuse, les jurés ont donc estimé l’assassin de Jaurès non coupable.

Un verdict «monstrueux»

Acquitté et remis en liberté immédiatement, les réactions ne se font pas attendre. Le 4 avril, dans une protestation adressée au journal L’Humanité, Anatole France déclare que «ce verdict monstrueux met tous les travailleurs hors la loi». Une manifestation est organisée par divers groupements socialistes de la Seine et L’Union des syndicats. Le Figaro conclut au lendemain de cette manifestation: «Au total trois heures de défilé. Journée calme, menus incidents».

Libre, Raoul Villain va errer de ville en ville en changeant régulièrement d’identité. On le retrouve une fois à Paris où il est condamné pour trafic de monnaies. Enfin, il termine sa vie à Ibiza et sera -ironie du sort- assassiné par un détachement de soldats républicains, deux mois après le déclenchement de la Guerre civile espagnole.

» A VOIR AUSSI - «Jaurès menait son combat au péril de sa vie»

29 mars 1919: Raoul Villain, l’assassin de Jaurès, est acquitté

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
37 commentaires
  • brindamour

    le

    Il assassine un homme, déclenche la guerre, passe le temps de guerre à l’abri en prison alors que les autres sont massacrés, il est acquitté et part en vacances à Ibiza. J’adore l’histoire.

  • Savonarol

    le

    Par contre là, c’est bien un ancien de Stanislas.

  • rabino

    le

    je ne savais pas que l’assassin de Jaures avait été acquitté, c’est effrayant , ces jurés et les lagistrats vraiment des pauvres tyoes.
    quel deshonneur.

À lire aussi