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Les ados n’ont jamais eu autant de contacts en ligne et jamais aussi peu d’amis dans la “vraie” vie
©DIPTENDU DUTTA / AFP

Solitude

Mais l'un n'est pas forcément lié à l'autre !

Stéphane Clerget

Stéphane Clerget

Stéphane Clerget est médecin pédopsychiatre. Il partage son activité entre les consultations et la recherche clinique. Ses champs d’étude concernent notamment l’adolescence, les troubles émotionnels et les questions d’identité. Il a mis en place à l’hôpital l’une des premières consultations d’aide à la parentalité. Il est l'auteur de Nos garçons en danger (Flammarion) et Les vampires psychiques (Fayard).

Les vampires psychiques de Stéphane Clerget

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Atlantico : Comment l'usage des médias sociaux coupent-ils les adolescents de la nouvelle génération de leurs amis ? 

Stéphane Clerget : Cet usage ne coupe pas les ados de leurs amis puisque c’est avec leurs amis qu’ils et elles communiquent essentiellement via les réseaux sociaux, aujourd’hui surtout snatchap et instagram. Et que ceux qui dans les années 70 ne communiquaient avec personne ( les ados souffrant de phobie sociale par exemple ) communiquent verbalement aujourd’hui davantage, notamment via les jeux vidéos avec des ados dans le cadre de relations à distance, considérées abusivement comme virtuels. Je dis abusivement car on a lors des trois siècles passés, avant l’ère d’internet, des exemples de relations amicales essentiellement épistolaires. En revanche il est vrai que les ados qui communiquent entre eux par l’intermédiaire d’écrans passent non pas moins de temps ensemble qu’autrefois, mais ont beaucoup moins d’échanges physiques, de contacts charnels, d’activités communes « concrètes » comme se promener ensemble, faire du sport ensemble, manger ensemble et aussi « glander » ensemble. Or l’amitié, qui participe de la construction de soi, s’est jusqu’à présent nourrie de ces activités ou simplement présences physique communes dans la rue, dans un appartement ou dans la nature. Si aujourd’hui entre amis on échange à foison sur ses goûts et ses ressentis émotionnels on partage beaucoup moins d’aventures qui engagent le corps. L’amitié entre ados n’a pas disparu, mais elle tend à se dématérialiser.

Cette étude complète les conclusions d'expériences réalisées uniquement sur des adolescents de la génération Z, et qui montrent généralement que plus ils sont connectés, plus ils voient leurs ses amis.  Comment expliquer cette contradiction apparente entre les deux conclusions ?

Deux ados dans le même espace vital ne vont pas obligatoirement communiquer ni plus encore devenir amis. Ils peuvent aussi se sentir mal ensemble voire s’agresser mutuellement. N’oublions pas que dans les années soixante dix les jeunes étaient certes plus souvent dehors ensemble, mais se contentaient de tenir les murs de leurs cités ou de fumer ensemble sans forcement beaucoup échanger. Aujourd’hui certains en classe n’y ont guère d’amis et attendent de rentrer chez eux pour échanger avec leur partenaire de jeux ou un(e) ami(e) à l’autre bout de l’Europe rencontré en vacances. La connexion permet d’échanger avec des pairs sans la crainte du jugement sur leur physique ou toutes les inquiétudes liés à ce corps nouveau que l’on ne maitrise pas et qui par les inquiétudes qu’ils suscitent peut être un obstacle au bien être nécessaire pour un engagement relationnel aisé. Ainsi les réseaux permettent de se livrer émotionnellement, d’afficher son être émotionnel délivré des appréhensions et des questionnements sur son paraître. Rassuré, reconnu, en confiance, engagé on peut alors se rencontrer physiquement avec un attachement préalable véritable.

Depuis 2011, cette étude observe également une croissance importante du sentiment de solitude chez les adolescents : ceux qui font valoir que les réseaux sociaux se substituent parfaitement à l'interaction sociale se tromperaient donc. Pourquoi ? Quelles sont, selon vous, les conséquences psychologiques, sociales et politiques les plus visibles de ce phénomène ?

Le sentiment de solitude à l’adolescence n’a pas attendu les réseaux sociaux pour être profus. Les difficultés de communication, la méconnaissance de soi même, l’émancipation vis a vis de la famille sont des facteurs qui favorisent ce sentiment à ces âges de mutation. Si ce sentiment a grandi ces cinquante dernières années le doit on aux réseaux sociaux ? C’est possible car il est vrai que physiquement l’ado est plus souvent seul derrière son écran et moins souvent dehors. Il est étonnant de constater que dans les années soixante dix les parents s’inquiétait que leur ado soit dehors et qu’aujourd’hui ils s’inquiètent qu’ils ne sortent pas assez (en fait il fugue dans ses réseaux). Mais d’autres facteurs peuvent expliquer ce sentiment de solitude moderne. Le mode de vie urbain croissant qui favorise ce vécu de viduité chez tout à chacun (il n’y a jamais eu un tel pourcentage de personnes vivant seules à Paris qu’aujourd’hui et le sentiment de solitude croit surtout chez les 30-40 ans et les personnes très âgées), la réduction des familles et leur éclatement qui diminuent les liens familiaux, la diminution des prises en charge collective des ados encore très vivace dans les années soixante (internat, scoutisme) et l’autonomie nouvelle donnée aux ados qui sont finalement plus livrés à eux même qu’autrefois. Moins occupés, moins pris dans des relations imposées par le corps social, les ados d’aujourd’hui peuvent davantage ressentir leur solitude. Mais sont ils pour autant plus malheureux qu’autrefois ? Le taux de suicide des ados aujourd’hui n’est pas plus important que dans les années 70 et c’est sans compter qu’il y a 50 ans beaucoup de suicides n’étaient pas déclarés et que beaucoup d’accidents étaient des suicides déguisés. Le sentiment de solitude de part son caractère pénible doit cependant être pris en considération et on doit aider l’ado à prendre appui dessus pour sortir de sa chambre refuge ou de son écran protecteur pour aller au contact physique des autres, pour s’engager à bras le corps dans des relations sociales qui seront sources de nouveaux plaisirs.

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