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"L'excision, c'est quelque chose qui vous marque forcement à vie" (Aminata Traoré, écrivaine ivoirienne)

Ben Diakité
27 mars 2019

https://p.dw.com/p/3FiCN

En décembre dernier, le prix franco-allemand des droits de l’homme 2018 a été décerné à l’écrivaine Ivoirienne Aminata Traore en récompense de son engagement en faveur des droits des femmes et de la lutte contre les violences basées sur le genre. Ce prix avait été décerné à l’Institut Goethe d’Abidjan. A la suite de ce prix, Aminata Traoré est revenue sur les violences faites aux femmes en Afrique - et notamment la question des mutilations génitales. Elle est interrogée par notre correspondant à Abidjan David OSSEY. 


DW : Aminata Traoré Bonsoir.


AMINATA TRAORE : Bonsoir.


DW : Vous venez de recevoir le prix franco-allemand des droits de l’homme 2018. Qu’est-ce que cela suscite en vous ?

 

AMINATA TRAORE : Je suis très heureuse parce que c’est la première fois qu'une ivoirienne reçoive ce prix. Il faut dire que depuis 2016, chaque année quinze personnalités du monde qui sont identifiées travaillent ou militent en faveur des droits de l’homme. Ces personalités sont en fait félicitées pour leur parcours. C’est en fait une reconnaissance et franchement pour ce prix je suis très heureuse. Je voudrais dédier ce prix à toutes les victimes des violences basées sur le genre. Et vraiment, je suis émue, honorée et vraiment très reconnaissante. Je dis un grand merci aux ambassades de France et d’Allemagne en Cote d’ivoire. 

 

DW : En ce qui vous concerne, vous êtes la lauréate 2018. Qu’est-ce qui a fait la différence selon vous ?

 

AMINATA TRAORE : Je ne savais même pas. En fait, les ambassades des différents pays proposent le nom d’une personne qui milite en faveur des droits de l’homme et c’est au niveau du quai d’Orsay et de la chancellerie allemande en Allemagne, qu'on décide  de choisir les quinze personnalités.

 

DW : Concernant votre parcours personnel, on sait que c’est la défense des droits de la femme. Qu’est-ce que Aminata Traore l’écrivaine ivoirienne a pu faire dans ce combat ?

 

AMINATA TRAORE : j’ai décidé d’abord avant tout de briser le mur du silence entourant les mutilations génitales féminines. Et de quitter mon statut de victime pour devenir la survivante. Et j’ai publié aussi une œuvre <<le couteau brulant en 2012>> par la même occasion j'ai crée une fondation qui porte le nom de ma mère GNITRESOR pour travailler sur le concept du livre comme moyen de sensibilisation contre les violences basées sur le genre en milieu scolaire. J’ai voulu donner la parole aux élèves, aux enfants, au corps éducatif et administratif pour que chacun puisse participer à ce débat. Et puis surtout pour les enfants on se dit que ce sont des enfants, c’est pas eux-mêmes qui choisissent en fait leur avenir mais aujourd’hui on voit que avec la jeune génération. Ils peuvent déjà susciter des discussions au sein de leur famille et j’ai vu avec l’ambassade de France, on était à Korhogo où j’ai eu des parents qui m’ont appelé après ma conférence avec plus de quatre cent élèves. Ils m'ont dit que quand les enfants sont revenus à la maison,ils parlaient beaucoup du thème de l’excision. Donc, pour ma part, c’est ma contribution. Si c’est vrai que même si on n’arrive pas à mettre un terme pour le moment mais déjà le fait de susciter un débat et donner aussi la parole aux enfants qui sont la majorité la plus touchée, c’est déjà un grand pas. Je reste optimiste aussi qu’on va avec cette génération sans excision en un mot sans aucune forme de violence. 

 

DW : Dans votre pays, la Côte d’Ivoire, quelle est aujourd’hui l’état de la situation de la pratique de l'excision, cette violence faite aux jeunes filles ?


AMINATA TRAORE : Aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, les statistiques disent que 36% de femmes sont excisée. C’est vrai que quand on regarde par rapport à d’autres pays comme le Mali ou la Guinée, le taux est bas mais cela ne se justifie pas qu'il faut croiser les bras. La lutte doit continuer. Pour ma part, moi je reste optimiste. Parce qu'avant c’était un sujet tabou mais aujourd’hui on en parle dans les médias, dans les villages. Moi je reviens de Lagos où j’ai participé du 03 au 07 décembre, à l'invitation de l'ONU-femme, sur une conférence régionale avec les leaders religieux et communautaires de plus de vingt pays d’Afriqu. Il y avait plus de cent trente-quatre participants. Et les leaders religieux et traditionnels ont pris l’engagement de mettre un terme à cette pratique. Et on a eu une grande journée mémorable, c’était la journée dédiée aux survivantes. Toutes ces filles ont parlé, elles ont demandé à nos parents. C’est vrai que vous êtes des leaders mais vous êtes nos pères, vous décidez de partager notre douleur et notre révolte, on vous demande de partager notre optimisme en mettant fin à la pratique de l’excision.


DW : Vous-mêmes vous êtes victimes de l’excision, ce fléau qui frappe la gente féminine. Quand on est victime de l'excision comment on se sent dans sa peau?


AMINATA TRAORE : C’est quelque chose qui vous marque forcement à vie mais en fait il faut quitter ce statut et aller de l’avant. C’est ce que j’ai décidé de faire. Vous savez que briser le mur du silence reste une décision très difficile parce que c’est parler de son intimité, on pense à sa famille mais à un moment donné il faut être égoïste et penser à soi-même. J’ai eu le soutien de mes proches, de ma famille, toutes les autorités, des médias, des organismes etc. Et aujourd’hui, je suis fière de cette reconnaissance avec ce prix. Je suis vraiment très heureuse et j’espère que ce combat portera des fruits. Et que dans dix, vingt, trente ans peut -être on dira juste: il existait une pratique. Et pourquoi pas se retrouvera au musée pour visiter les vestiges lies à la pratique de l’excision. Donc, je reste vraiment optimiste et dis un grand merci à toutes les personnes qui se battent au quotidien pour plus de liberté, d’équité, d’égalité et de tolérance surtout. Et surtout un grand merci aux médias.


DW : Un message aux jeunes filles ?


AMINATA TRAORE : Je voudrais dire aux jeunes filles et à toute notre génération d’être les supers héros de notre vie. Il faut se battre dans la vie, il ne faut pas s’endormir sur ses lauriers. Aujourd’hui, on parle beaucoup de grossesse en milieu scolaire. A un moment donné c’est toi qui décides de ce que tu veux donner comme orientation à ta vie. C'est déjà difficile pour nous en tant que fille d’être scolarisée. Si nous mêmes encore doivent aller s’exposer à des grossesses, je ne pense pas que un jour on va arriver au 30% de femmes que nous voulons dans les instances de décision. Donc il revient à chacune de nous de prendre notre destin entre les mains lorsqu’on a cette chance d’être scolarisée, de donner tout et de ne rien lâcher. Et la récompense est toujours au bout de l’effort.


DW : Aminata Traoré je vous remercie.


AMINATA TRAORE : Merci, merci infiniment.