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Annette Kellerman, sirène de beauté

RetroNews Sportsdossier
par Gilles Dhers
publié le 30 mars 2019 à 13h37

Chaque semaine avec RetroNewsFr, retour sur une histoire de sport telle que l’a racontée la presse française de l’époque. Ce samedi, le destin d’Annette Kellerman, première femme à tenter la traversée de la Manche à la nage reconvertie en actrice et femmes d’affaires.

«Une belle et jeune nageuse, venue d'Australie, Miss Kellerman, se propose de battre cette année le record de Webb lui-même en traversant la Manche à la nage, informe le Courrier de Tlemcen, du 25 août 1905. Elle est, nous assurent ses compatriotes, de taille à exécuter vaillamment son projet. En ce moment, Miss Annette Kellermann est à l'entraînement Les derniers télégrammes nous apprennent qu'elle évolue dans ses divers essais avec rapidité et adresse.» Si, en 1905, la France la découvre pour son audacieuse tentative de traverser le Channel, Annette Kellermann, alors âgée de 19 ans, est déjà célèbre en Australie, où ses exploits aquatiques lui ont valu, sans grande originalité, le surnom de «sirène». Elle a d'ailleurs déjà brillé à Paris, où deux ans plus tôt, elle fut la seule femme engagée dans une course dans la Seine : nombre de concurrents masculins n'ont pu que boire son écume. Entre autres exploits Annette (dont la mère est Française), a déjà plongé d'une hauteur de 28 mètres ou nagé 27 kilomètres dans la Tamise. Rien qui laisse imaginer qu'à 6 ans, atteinte de polio, elle a dû porter des bretelles d'acier pour redresser son corps et qu'elle s'est mise à l'eau sur les conseils de son médecin.

Trente ans après que le capitaine britannique Matthew Webb est devenu le premier homme à traverser la Manche en 21 heures et 45 minutes entre les 24 et 25 août 1875, Annette Kellerman échoue dans sa tentative de devenir la première femme à réussir cet exploit. Pourtant, relate, la Vie au grand air du 8 septembre 1905, la «gracieuse Australienne avait calculé son entreprise aussi méthodiquement que ferait un général à la veille d'une grande bataille. […] Malheureusement, ce plan fut déjoué par une brusque saute de vent qui soulevait des vagues courtes et arrêtait son élan. Ses forces s'épuisèrent en des efforts stériles. Prise de nausées, en proie au mal de mer, elle dut renoncer à l'entreprise».

Un an plus tard, Annette Kellerman, décide de replonger de North-Forehand pour tenter de relier Calais. «Si le temps le permet, cette nuit, à minuit, Mlle Annette Kellermann, la jeune Australienne bien connue, tentera la traversée de la Manche à la nage, de North-Foreland à Calais, annonce le Journal du 5 août 1906. Mlle Kellermann essaie une nouvelle route, dont le parcours serait possible en quinze heures environ. La distance approximative est de 34 miles, les marées aidant tout le long du parcours.» L'Australienne essuie un nouvel échec.

Annette Kellerman ne traversera jamais la Manche à la nage. Et c'est peut-être tant mieux. Car il eût été dommage qu'on ne retienne son nom que pour cet exploit. La jeune Australienne passera à la postérité pour d'autres combats que celui d'un corps en lutte contre les courants et les marées. Un corps engoncé dans une tenue couvrant les jambes et les bras ; la seule autorisée pour une femme à l'époque, décence oblige. Pas l'idéal pour nager efficacement. Annette Kellerman «bricole donc un prototype de maillot de bain moulant et léger, à partir de sous-vêtements assemblés. Ses membres dénudés lui valent d'être arrêtée pour "indécence" près de Boston en 1907. Elle est finalement relaxée, après avoir invoqué l'argument sportif»racontait Libération l'été dernier. Annette Kellerman fait partie de ces rares personnalités dont le nom est devenu commun. On dira un kellermann pour désigner un maillot que la désormais businesswoman a dessiné.

Mais nageuse elle était, nageuse elle restera. Dans des bassins aux eaux moins inhospitalières que celles de la Manche, de la Seine ou de la Tamise. Annette Kellerman invente dans ces années-là aux Etats-Unis, les ballets aquatiques. Le journal Comœdia, du 3 décembre 1908 en est tout ébaubi. «Vous souvenez-vous de la jolie Miss Kellermann qui tenta, il y a quelques années, l'épreuve de la traversée de Paris à la nage, organisée par l'Auto ? A ce moment, tous les journaux publièrent maintes photos de la belle Australienne. Miss Annette Kellermann vient de terminer ces jours derniers un engagement au Keith's Theatre de Boston, en Amérique. Elle a obtenu un grand succès. Ce qu'elle fit ? Elle fit des conférences sur l'art de nager, elle dansa des danses inédites, fit de difficiles exercices de diabolo, et surtout, fit des exercices de natation dans une piscine de verre, ce qui permettait aux spectateurs de suivre, tous les mouvements de l'élégante sirène. Les journaux américains ont prôné, l'élégance de la jeune femme. Il n'est pas étonnant, ont-ils dit, que Miss Kellermann possède le chic qui n'appartient qu'aux Françaises ; si son père est Anglais, sa mère est de famille française… Et voilà comment la France, encore une fois, grâce à une Australienne, triompha de l'autre côté de l'Atlantique.»

En 1913, le show d'Annette Kellerman s'exporte en France. Dans le Rire, on peut lire : «Les murs de Paris sont couverts d'affiches représentant une jeune personne du nom d'Annette Kellermann qui s'exhibe dans un music-hall et qui est, paraît-il, la femme la mieux faite du monde.» L'assertion serait scientifiquement vérifiée. En 1908, a raconté le Guardian, un professeur de Harvard a relevé les mensurations de milliers de femmes, celles d'Annette Kellerman étaient les plus proches de celles de la Vénus de Milo. Apprenant cela, Kellerman aurait répondu : «Oui, mais seulement en dessous des épaules.» Au sens de la repartie, elle ajoute celui des affaires puisqu'elle intitule son spectacle suivant la Femme parfaite. Le 15 octobre 1913, dans un article titré «la Vertu d'Annette», le journal Gil Blas confirme la réputation de la dame. «Chaque soir, Mlle Kellermann, qui, plus artiste que Vénus, n'émerge de l'eau que parce qu'elle a bien voulu d'abord, s'y jeter elle-même, donne et, même, complique, pour enseigner également nos regards et notre rêverie, le spectacle légendaire de l'Anadyomène. Où Vénus se contentait de naître avec une candeur toute divine, Mlle Kellermann nage, avec une conscience toute féminine de ses charmes qui, animés d'un rythme souple et sûr, composent un inoubliable exemple de force et de beauté.»

Du spectacle vivant, Annette Kellerman passe naturellement au cinéma. Mais son fonds de commerce demeure : ainsi tourne-t-elle, dans les années 10, la Fille de Neptune, Venus des mers du Sud, la Fille des Dieux. Sa prestation dans ce dernier film lui vaut le titre de première femme à apparaître nue (seulement drapée dans sa longue chevelure) dans une production hollywoodienne. C'est la Fille de Neptune que chronique le Figaro du 3 octobre 1915 : «Ce film, qui a fait fureur à l'étranger, a une particularité bien intéressante. Il met en scène des poissons, et en donnant des rôles aux muets, il justifie l'invention du cinématographe, spectacle pour les sourds. Mais le scénario est double ; les scènes aquatiques sont séparées par les épisodes d'un drame Henri II, d'une naïveté bien terrestre. Miss Annette Kellermann, la plus grande nageuse du monde et dont les mensurations se rapprochent exactement de celles de la Vénus de Milo, ce qui lui valut (à Miss Annette) le titre de "la femme physiquement la plus parfaite du monde", Miss Annette Kellermann, enfin, est l'attraction de ce spectacle par ses gracieux ébats sur les plages, dans les flots, et ses plongeons, et un furieux duel sous l'eau, au grand effroi de tortues qui ne la savent pas amphibie. Un public, d'abord surpris, puis égayé, s'intéresse à l'exploit sportif et il retrouve sa gaieté lorsque Neptune apparaît, pareil à un dieu des eaux qui, pour avoir bu trop de bière, aurait été métamorphosé en Gambrinus.»

Dans les années qui suivent, le nom d'Annette Kellerman apparaît régulièrement dans les rubriques culture des journaux français. Qui, non sans ironie, insistent encore et toujours sur sa plastique plus que sur ses talents d'actrice. «Miss Kellermann est actuellement en Angleterre où un gros contrat la lie avec une entreprise cinématographique. Et le cliché que publions montre bien que l'intrépide nageuse n'a rien perdu de son charme et de sa grâce», écrit l'Auto du 3 septembre 1920. Quand le Journal amusant du 21 février ricane : «Dans tous les pays de langue anglaise, les affiches n'appellent plus Mlle Kellermann que "la Vénus plongeuse" (The Diving Venus) ! Ce titre, un peu prétentieux, pourra prêter en France à des quiproquos désagréables. Mais la grande artiste ne sera pas embarrassée pour en trouver un autre, pas plus modeste, soyez-en assurés. Mlle Kellermann ira loin si les petits poissons ne la mangent pas.»

Suite et fin de l'histoire. Après la première traversée de la Manche à la nage par Matthew Webb, en 1875, il a fallu attendre trente-six ans pour voir l'exploit renouvelé. En 1911, à sa 16e tentative, un autre Britannique Bill Burgess, réussit à rejoindre la France depuis l'Angleterre, 23 heures et 40 minutes, soit 1 heure et 55 minutes de plus que Webb. La première traversée France-Angleterre est effectuée par Enrico Tiraboschi (Italo-Argentin), en 1923. Enfin, vingt-et-un ans après la tentative infructueuse d'Annette Kellerman, c'est l'Américaine Gertrude Ederle qui devient la première femme à traverser la Manche, le 6 août 1926, en 14 heures 39 minutes.

Quant à Annette Kellerman, décidément précurseuse en beaucoup de domaines, elle fut l'une des premières à surfer la vague du bien-être, ouvrant des magasins de diététique, publiant des livres sur la santé. Pendant la Seconde Guerre mondiale, de retour en Australie, elle se produit dans des spectacles aquatiques pour récolter des fonds pour la Croix-Rouge. Cinéma toujours, en 1952 un film retrace sa vie : la Première Sirène avec Esther Williams (une autre nageuse devenue actrice) dans le rôle-titre. Annette Kellerman meurt le 6 novembre 1975, à 89 ans. Ses cendres sont dispersées au-dessus de la grande barrière de corail. Sirène un jour, sirène toujours.

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