Qui était Laure, le modèle noir oublié de l'« Olympia » de Manet ?

Avec l'exposition « Le modèle noir de Géricault à Matisse », le Musée d'Orsay remet dans la lumière des femmes écartées des livres d'Histoire de l'art. L'occasion de se pencher sur l'une des plus emblématiques d'entre elles, immortalisée à plusieurs reprises par Manet.
Exposition « Le modèle noir » au Muse d'Orsay  qui est Laure la servante noire de l'« Olympia » de Manet
VCG Wilson/Corbis via Getty Images

Plus d'un demi-siècle qu'elle tient son bouquet de fleurs, observant de biais la peau laiteuse d'une courtisane. Quiconque s'est émerveillé devant le tableau Olympia de Manet (1863), c'est sans doute déjà interrogé sur l'identité de la servante noire figurant sur la toile. Qui est donc cette femme tenant compagnie à Victorine Meurent, muse de l'artiste ? Que symbolisent son regard et sa présence ? Voilà autant de questions qui ont taraudé l'Américaine Denise Murrell. Cette diplômée de Columbia se souvient de la première fois où elle a découvert cette toile, en plein cours. « Les battements de mon cœur ont commencé à s'accélérer. J'étais vraiment curieuse de voir de quelle manière le professeur allait en parler », relatait-elle à Artnet en septembre dernier. En lieu et place d'une explication, l’étudiante se retrouve face au silence le plus complet : la présence de la servante n'est jamais évoquée. Déplorant cette invisibilisation, elle décide de redonner à ces femmes leur place au sein de l'Histoire de l'art. D'abord, en leur consacrant une thèse « Posing Modernity: The Black Model from Manet and Matisse to Today » (2014), puis à travers une exposition célébrant « Le Modèle noir » qui – après une halte new-yorkaise – s'installe au sein du Musée d'Orsay.

Avec cet événement, le Musée d'Orsay s'intéresse donc à la représentation des Noirs dans la peinture, à travers 300 œuvres s'étendant du XVIII au XXe siècle. Il s'agit de leur donner un visage, mais aussi un nom : l'institution a ainsi rebaptisé les toiles d'après le patronyme de ces muses d'un jour (ou de plusieurs). Exit Olympia, bonjour Laure. Une injustice vieille d'une centaine d'années est ainsi réparée. Car si, à sa présentation en 1865 à l’Académie des Beaux-Arts, la toile de Manet a provoqué l’ire du public, seulement l’une de ses figures a catalysé toute l’attention. La majorité des détracteurs de l’artiste ont été scandalisés par la nudité de la prostituée, oubliant ou tournant en dérision la présence de la domestique. Laure était représentée « dans des caricatures, mais très peu de commentateurs ont parlé d'elle. Il y a d'ailleurs très peu d'historiens de l'art qui se soient penchés sur la présence de cette femme dans le tableau », expliquait Isolde Pludermacher, conservatrice en chef au Musée d’Orsay, à Francetvinfo.

Une source d'inspiration

Adolphe Tabaran, spécialiste de Manet, a découvert quelques informations sur l’identité de la jeune femme, dans les documents personnels de l’artiste. « Laure, très belle négresse, rue Vintimille, 11, au 3e », peut-on lire dans son carnet de notes. « Une recherche menée par Isolde Pludermacher dans le “calepin des propriétés bâties” a permis de connaître son milieu : dans son immeuble vivaient des lingères et des couturières, métiers que Laure exerçait peut-être aussi, elle qui était modèle occasionnelle », précise l’historien Pap Ndiaye dans une interview à Libération. Laure figure en effet dans plusieurs toiles de Manet. Dans un coin des Enfants dans les Tuileries (1861), représentatif d’une certaine mixité du Paris de l’époque, ou encore au centre de La Négresse (1863) – renommé Portrait de Laure par le musée d’Orsay – qui la consacre en tant qu’individualité. Certains estiment même qu’elle serait la nurse apparaissant dans Le Baiser enfantin de Jacques Eugène Feyen (1865). Enquêter sur l’identité de Laure fut loin d’être compliqué, confiera Isolde Pludermacher à plusieurs reprises. Preuve en est que l’absence de la femme dans les livres d’art traduit une volonté évidente de la marginaliser. Si certains spécialistes ont fait d’elle le centre ou un pan de leurs textes – Denise Murrell, le professeur **Darcy Grimaldo Grigsby,**Emma Jacobs (étudiante à l’université de Vassar) ou l’artiste Lorraine O’Grady – ces cas restaient jusqu’ici marginaux. Or comme l’expliquait Denise Murell à Libération, « Laure a inspiré des générations d’artistes, jusqu’à des Afro-Américains tels que Mickalene Thomas ou Romare Bearden, grand admirateur de Manet ». Une bonne raison de se ruer au Musée d'Orsay.

« Le modèle noir de Géricault à Matisse », jusqu'au 21 juillet au Musée d'Orsay.