Mathématiques

Problème des 3 cubes : il n’en reste plus qu’un

Tout nombre entier peut-il s’exprimer comme la somme de trois entiers relatifs élevés au cube ? On pense que oui, mais les solutions sont parfois très difficiles à trouver. Parmi les entiers inférieurs à 100, une solution vient d'être déterminée pour le nombre 33. Seul 42 manque encore à l’appel.  

Nombres

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En théorie des nombres, les problèmes ont la réputation d’être souvent faciles à énoncer mais difficiles à démontrer. Le cas le plus célèbre est probablement celui du théorème de Fermat, qui consiste à chercher des solutions de l’équation an = bn + cn, où a, b, c et n sont des nombres entiers. Il a fallu 350 ans pour qu’Andrew Wiles démontre, en 1995, que cette équation n’a pas de solutions si n est supérieur ou égal à 3. Andrew Booker, de l’université de Bristol, vient de faire progresser un autre problème en théorie des nombres.

La question est la suivante : est-il possible toujours d’exprimer un nombre entier comme la somme de trois nombres, positifs ou négatifs, élevés au cube : k = x3 + y3 + z3 ? Par exemple, 1=03+03+13, 6=23+(–1)3+(–1)3, etc. La première trace écrite de ce problème remonte à presque deux siècles dans un volume de la revue Ladies’ diary, daté de 1825. L’auteur, S. Ryley, propose une une solution dans le cas de nombres rationnels. Mais qu’en est-il pour les nombres entiers ?

Première remarque : tous les nombres entiers ne peuvent pas s’écrire de cette façon. S’ils peuvent s’écrire sous la forme k = 9*q+4 ou 9*q+5 (k = ± 4 (mod 9)), alors leur décomposition en une somme de trois cubes est impossible. Ainsi, 4, 5, 13, 14, etc. sont exclus. Cette contrainte provient du reste de la division par 9 de x3, qui ne prend que les valeurs 0, 1 ou 8. Dès lors la division par 9 de la somme de trois nombres au cube peut prendre les valeurs 0, 1, 2, 3, 6, 7 ou 8, mais pas 4 ni 5. Ainsi, si le nombre k donne un reste égal à 4 ou 5 quand il est divisé par 9, il ne peut pas s’exprimer comme la somme de trois cubes. Entre 0 et 100, il y a 22 nombres entiers impossibles à décomposer de cette façon.

Mais qu’en est-il des autres nombres ? On pense qu’ils peuvent tous être décomposés en somme de 3 cubes, mais il n’existe pas de preuve et la vérification au cas par cas est loin d’être évidente. Certains nombres s’expriment très facilement ; par exemple, 29 = 33+13+13. Mais le nombre suivant, 30, est beaucoup plus complexe. Une solution n’a été trouvée qu’en 1999 grâce à un programme informatique : 30 = (−283 059 965)3 +(−2 218 888 517)3 + (2 220 422 932)3.

En 1954, deux mathématiciens avaient trouvé à la main des solutions pour 69 entiers inférieurs à 100. En 1963, la première solution obtenue grâce aux premiers ordinateurs était découverte. D’autres solutions ont été trouvées par la suite et en 2015, seuls trois entiers inférieurs à 100 n’avaient aucune solution connue : 33, 42 et 74.

La difficulté pour trouver des solutions réside dans la taille des nombres x, y et z qu’il faut envisager. Ils peuvent être très grands par rapport à k, comme dans l’exemple de 30. L’approche directe consiste à tester tous les triplets. On fixe une taille maximale B pour les nombres testés. Or comme la décomposition fait appel à trois nombres, x, y et z, il y a a priori B3 combinaisons à examiner. Sachant que ces nombres dépassent largement le milliard dans certains cas, le nombre de triplets et le temps de calcul deviennent gigantesques.

Au début des années 2000, le mathématicien Noam Elkies, de l’université Harvard, a proposé un algorithme plus performant, prenant par exemple en compte le fait que si les trois nombres x, y et z sont très grands et positifs, ils ne pourront pas donner une solution pour un petit k. Cette observation triviale permet d’éliminer un grand nombre de triplets à tester, si bien que le nombre de calculs devient à peu près proportionnel à B. Avec cette approche, en 2016, Sander Huisman, de l’École normale supérieure de Lyon, a ainsi réussi à déterminer une solution pour 74.

Mais l’algorithme de Noam Elkies est surtout efficace pour rechercher des solutions non ciblées. Cette approche n’est pas la plus pertinente pour trouver une solution pour un des rares cas précis toujours non élucidé. Andrew Booker a développé un nouvel algorithme qui cible spécifiquement la le nombre 33. Et après un mois de calcul sur un supercalculateur (l’équivalent de 23 ans de calcul sur un seul processeur), il a obtenu la solution suivante :

33 = 8 866 128 975 287 5283 + (–8 778 405 442 862 239)3 + (–2 736 111 468 807 040)3

Parmi les nombres inférieurs à 100, il n’en reste désormais qu’un seul sans solution : 42. De quoi titiller les mathématiciens (et les fans de Douglas Adams) ! Pour les nombres inférieurs à 1 000, il en reste en revanche encore 12 à trouver.

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Sean Bailly

Sean Bailly est rédacteur et responsable des actualités à Pour la Science.

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Références

A. R. Booker, Cracking the problem with 33, 22 mars 2019.

S. Huisman, Newer sums of three cubes, arXiv, 26 avril 2016.

 

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