Publicité

Pourquoi l'Occident doit en finir avec la victimisation

Nuremberg Chronicle, par Hartmann Schedel (1440-1514)

FIGAROVOX/TRIBUNE - Nous devons en finir avec le réflexe victimaire qui mine la pensée occidentale, pense Renée Fregosi. La philosophe revient aux sources de cette logique d'autoflagellation.


Renée Fregosi est philosophe et politologue. Elle est l'auteur du récent «Français encore un effort… pour rester laïques!» (Ed. L'Harmattan, 2019).


Depuis le début du mouvement des Gilets jaunes en France, plusieurs victimes sont à déplorer parmi les manifestants des mobilisations hebdomadaires plus ou moins violentes. Et l'on entend comme un leitmotiv les protestations et les déplorations des «violences policières contre des manifestants pacifistes (sic)» (pacifiques?). Par ailleurs, dans n'importe quel coin du monde, après chaque attentat, quels que soient les agresseurs et les victimes, ce sont les mêmes scènes de pleurs et de prières œcuméniques, bougies, fleurs et peluches étalées sur le bitume. Minutes de silence pour les victimes, appels à la paix et au «vivre ensemble», marches blanches et rassemblements de soutien. Ces rituels devenus banals sont aussi relativement récents.

Les victimes ont acquis des droits, au fil du temps et du perfectionnement de l'application des droits de l'Homme, et méritent reconnaissance et réparation matérielle et symbolique.

Les victimes de tous ordres existent bien hélas par millions aujourd'hui comme hier: accidentelles ou volontairement ciblées, isolées ou exterminées dans des massacres de masse, aucun sexe ni aucun âge, aucune origine (même si certaines populations sont collectivement davantage visées que d'autres selon les agresseurs) ne sont épargnés. Mais les victimes ont acquis des droits, au fil du temps et du perfectionnement de l'application des droits de l'Homme, et méritent reconnaissance et réparation matérielle et symbolique. On peut s'en féliciter, mais tout à la fois condamner certains types classiques d'instrumentalisation de la figure de la victime et certaines dérives plus nouvelles du statut de victime.

D'une part en effet, une première forme de stratégie victimaire ne date pas d'aujourd'hui: elle consiste à se présenter comme victime exerçant un droit de légitime défense alors que l'agression originelle dénoncée est imaginaire. Ainsi, tous les génocidaires, accusent leurs cibles d'être des agresseurs. Les Turcs massacrant les Arméniens pendant la guerre de 14-18, les présentaient comme des agents de l'ennemi après les avoir exclus de la communauté ottomane et soumis à une ségrégation rigoureuse. Les nazis massacrant les Juifs d'Europe, dénonçaient leur visée dominatrice et les présentaient comme les fauteurs de guerre et les corrupteurs de la race arienne, justifiant leur exclusion de la nation allemande puis leur relégation dans les ghettos et enfin la «solution finale». Les massacreurs hutus présentaient les Tutsis comme des privilégiés et des expropriateurs et les déshumanisaient en les qualifiant de cafards à exterminer systématiquement. Les Khmers rouges présentaient leurs victimes comme des exploiteurs occidentalisés à éradiquer jusqu'au dernier, en les traitant de punaises dont il fallait tuer jusqu'aux œufs (les enfants)…

Un second type d'instrumentalisation perverse du statut de victime consiste à transformer une situation objective de victime d'une violence physique ou simplement verbale, voire symbolique, en cause politique, soit en exagérant le préjudice personnel subi, soit en niant toute responsabilité de la victime par ailleurs (les deux schémas pouvant bien sûr se combiner). C'est typiquement le cas des Palestiniens «victimes d'Israël». Tout récemment encore, l'armée israélienne a fait plusieurs victimes en détruisant des sites du Hamas dans la Bande Gaza, en représailles à de nombreux tirs de roquette et de mortier à répétition sur plusieurs villes d'Israël. Ignorant les agressions inacceptables initiales, les Palestiniens se présentent comme les victimes de la prétendue barbarie israélienne. Il en est de même lorsque régulièrement, les leaders islamistes palestiniens mettent en danger leur population en la lançant à l'assaut de la barrière de sécurité et au-delà du territoire israélien défendu par l'armée israélienne.

Hypostasiées, les victimes ne pourront faire l'objet d'aucune sorte de critique et il sera absolument interdit en outre de dénoncer leurs dérives victimaires au nom même du droit des victimes.

Mais ce mécanisme de retournement de l'accusation est tellement devenu habituel qu'on ne le signale même plus. Ou pire, cette argumentation fallacieuse a atteint son but, la figure victimaire du Palestinien tissant sa chaîne d'identification à travers tous «les dominés» de l'impérialisme et de l'Occident, et des migrants de tout poil aux Indigènes de la République. La victime parvient alors à faire taire son bourreau supposé et à le persécuter. Hypostasiées, les victimes ne pourront faire l'objet d'aucune sorte de critique et il sera absolument interdit en outre de dénoncer leurs dérives victimaires au nom même du droit des victimes. Par extension, une victime aura forcément raison, une victime pourra légitimement se venger, le statut de victime se transmettra horizontalement à tous les individus considérés comme présentant les mêmes caractéristiques qu'une victime, et verticalement à tous les ascendants et descendants de victime.

De cette façon, l'antiracisme est devenu une vulgate qui considère a priori comme victime de racisme tout individu appartenant à un groupe ou à une «communauté» réputée avoir subi du racisme, et toute personne n'appartenant pas à ces groupes est considérée comme un agresseur réel, virtuel ou au mieux potentiel. C'est selon une logique similaire que le néoféminisme victimaire caractérise toutes les femmes comme des victimes passées, actuelles ou futures et réclame la protection des femmes sur le mode de celle de l'enfance. Paradoxalement, uniquement conçues comme objets de drague, de proxénétisme ou de viol masculin, les femmes ne seraient jamais susceptibles d'avoir du désir, d'être actrices de leurs propres sexualités et être capable de se défendre y compris physiquement.

Des acteurs divers convergent donc dans cette bien-pensance victimaire, anti-occidentale et revancharde. Ainsi encore, les enquêtes de Fondapol mettent en évidence l'écart entre d'une part, des éléments objectifs d'ostracisme de certaines populations de culture musulmane, et d'autre part, leurs sentiments excessifs d'exclusion, de victimisation raciste et de dévalorisation de leur situation par rapport à celle des Juifs notamment.

L'attitude justificatrice désignant les musulmans comme des victimes en position d'autodéfense, favorise alors la stratégie islamiste.

L'attitude justificatrice désignant les musulmans comme des victimes en position d'autodéfense, favorise alors la stratégie islamiste: «des-identifier» des Français les musulmans ou prétendus tels, les faire «se désavouer» selon l'expression djihadiste et en retour, solidariser la «communauté musulmane» qui protégera les combattants djihadistes grâce à un travail d'identification avec eux. Ces processus se sont développés au fur et à mesure que le discours moralisateur supplantait l'analyse politique et que le religieux faisait son retour en politique. D'acteur social partageant et défendant ses intérêts et ses convictions, l'individu tend à se transformer en solitaire quémandeur d'avantages et de reconnaissance, et en mouton de Panurge conformiste en quête d'identification communautaire et religieuse. Et s'installent processus de victimisation tous azimut, de surenchère et de concurrence victimaires.

Pourquoi l'Occident doit en finir avec la victimisation

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
24 commentaires
  • -Philippe-

    le

    Cet article est l'exemple même de ce quoi souffrent les minorités de notre pays. La négation de l'ostracisation de communautés qui revendiquent le droit d'exister dans leurs différence.

  • Patin-couffin

    le

    Excellent... enfin une ruade dans le pack "droit de l'hommiste" adeptes du réalisme naïf !

  • Pelvis Resley

    le

    Le victimisme dénoncé ici serait à mon sens une des manifestations de ce droit à l’immaturité pleinement revendiqué, qui avait été évoqué dans un autre article d’opinion sur ce journal. L’enfant clame à grand renfort de larmes qu’il n’est pour rien dans ce qui arrive, que ce sont les autres qui sont responsables. L’introspection lui est inconnue tant que l’on ne porte à sa connaissance sa possibilité. En d’autres termes, l’honnêteté intellectuelle n’est pas une donnée naturelle acquise à la naissance , mais acquise à la suite d’un réel cheminement. Or nos sociétés dites modernes ont sacré l’enfant comme étant la virginité même, ce terme ayant une connotation beaucoup trop positive . D’où ces revendications perpétuelles venant de ceux qui pensent n’avoir jamais fauté, comme dans cette position de l’enfant à la charge de ses parents et donc dégagé de fait des responsabilités.

À lire aussi

Serge Klarsfled : «Dans un monde majoritairement antisémite, les Juifs ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour se défendre»

Serge Klarsfled : «Dans un monde majoritairement antisémite, les Juifs ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour se défendre»

TRIBUNE - Les Juifs ne sont au plus que 15 millions dans un monde de 7 à 8 milliards d’individus qui leur est majoritairement hostile, rappelle l’avocat, président des Fils et filles de déportés juifs de France. «Dans ces conditions et dans chaque pays où existe une communauté juive, il serait opportun de former les jeunes Juifs à affronter les périls qui les menacent», estime-t-il.