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Femmes algériennes, «Paye ta note», sexisme médical : mars dans la vie des femmes

Un mois dans la vie des femmesdossier
par Kim Hullot-Guiot et Juliette Deborde
publié le 1er avril 2019 à 19h38

Chaque mois, Libération fait le point sur les histoires qui ont fait l'actualité des femmes, de leur santé, leurs libertés et leurs droits. Quarante-troisième épisode : mars 2019. Si vous avez manqué l'épisode précédent, il est ici (et tous les autres sont là).

Santé

Une campagne pour dénoncer les discriminations sexistes dans la prise en charge médicale

«Nous sommes moins prises au sérieux, nos douleurs sont moins bien prises en charge, nous sommes parfois méprisées et jugées sur nos choix de vie» : l'association Osez le féminisme! a lancé à l'occasion du 8 mars une campagne nationale pour «une santé féministe des filles et des femmes». Baptisée à «A notre santée» (avec un «e»), l'opération, accompagnée de tables rondes dans plusieurs villes françaises, avait pour but de sensibiliser aux «différences de prise en charge» entre patientes et patients, des différences «préjudiciables» à la santé des femmes, selon les militantes. «L'objectif est que nous ne soyons plus en danger quand nous avons besoin de soins, que nous soyons respectées dans notre dignité», a expliqué la coordinatrice Cécile Werey.

L'association, qui pointe les risques de «sous-diagnostic pour certaines maladies», et la méconnaissance de certains «symptômes spécifiques» aux femmes, publie aussi des témoignages édifiants sur la culpabilisation ou le manque de considération subis par de trop nombreuses patientes : «Comme je suis une femme, on part du principe que je suis douillette et on ne me donne pas de traitement ou on ne me prescrit pas les examens nécessaires», témoigne une femme. «Si un homme s'était présenté chez le médecin avec un dixième des douleurs que je ressens lors de mes règles, je suis convaincue qu'il aurait été hospitalisé immédiatement», affirme une autre.

Osez le féminisme! défend aussi une meilleure formation des professionnels de santé, notamment pour mieux détecter les violences sexuelles. Selon une étude en ligne menée l'an dernier par l'association et qui a récolté plus de 2 000 réponses, un quart des femmes ont subi au moins une fois des gestes ou des paroles à connotation sexuelle dans le cadre d'une consultation médicale, et 88% disent avoir été gênées au moins une fois par le comportement d'un(e) professionnel(le) de santé. Une femme sur 10 dit même avoir subi une pénétration sexuelle contre son gré (et donc un viol) dans le cadre d'un examen médical.

Et aussi… près de la moitié des maternités ont fermé en vingt ans, et certaines, comme celle de Bernay, en Normandie, sont encore menacées au nom de la sécurité ; la vaccination contre le papillomavirus n'est pas encore assez répandue en France ; l'Agence nationale des produits de santé envisage d'interdire sept marques d'implants mammaires ; le Syndicat national des gynécos n'a rien trouvé de mieux à faire que de menacer le ministère de la Santé d'arrêter de pratiquer des IVG, ce qui a (légitimement) scandalisé.

Sexisme ordinaire

Sexisme dans le monde de la musique : une omerta difficile à lever

Du classique au jazz, en passant par le hip-hop, «tous les styles musicaux» sont concernés : une enquête publiée début mars et menée en 2018 auprès de 340 musiciennes par le syndicat CGT des artistes musiciens lève le voile sur le sexisme à l'œuvre dans le secteur de la musique. Près d'un tiers des musiciennes qui ont répondu au questionnaire disent avoir déjà été victimes de harcèlement moral, et un quart de harcèlement sexuel. Des dizaines de témoignages évoquent aussi des cas de chantage sexuel à l'embauche, «exercé par des chefs d'orchestre, des programmateurs, des directeurs de maison de disques», souligne le syndicat.

Des conclusions qui vont dans le même sens que la centaine de témoignages publiés sur le site «Paye ta note», créé en janvier dernier par une violoncelliste pour dénoncer «le sexisme ordinaire dans le monde de la musique». Les témoignages y sont déposés anonymement, «car les scènes nationales, les programmes, les festivals et les salles sont montés en réseau, donc quelqu'un qui dénonce des propos ou du harcèlement sexuel risque de se faire griller», estime la créatrice. En France, peu d'affaires de harcèlement ou d'agression sexuelle ont été dénoncées publiquement dans le milieu, les musiciennes craignant pour leur carrière. Quelques institutions se dotent tout de même d'outils pour aider à la libération de la parole : à la Philharmonie, un dispositif a été créé il y a deux ans pour permettre de mettre à pied à titre conservatoire un employé accusé de harcèlement.

Et aussi… à la télévision et à la radio, de plus en plus d'expertes sont interrogées, mais globalement, beaucoup de progrès restent à faire ; depuis août, près de 400 contraventions ont été dressées pour «outrage sexiste» ; des footballeuses américaines ont porté plainte contre la fédération pour discrimination sexiste ; à Saint-Cyr, un an après les révélations autour de l'ambiance misogyne qui règne dans ce lycée militaire, rien n'a changé.

Violences

Violences conjugales : les femmes migrantes encore plus démunies que les autres

Au début du mois, un sondage (réalisé en ligne sur un millier de personnes) montrait que les Français étaient davantage qu'auparavant sensibilisés aux violences conjugales et, plus généralement, aux violences faites aux femmes. Ainsi, 95% des sondés se disaient favorables à des peines plus sévères pour les auteurs de ces actes. Parmi les femmes victimes de violences conjugales, le journal l'Indépendant s'est intéressé en particulier aux femmes migrantes. A l'instar des femmes en situation précaire, celles-ci sont particulièrement démunies lorsque leur conjoint les agresse.

D'abord parce que, si elles ont rejoint leur compagnon en France, elles en sont dépendantes : leur droit au séjour est conditionné par leur cohabitation, qui, si elle est rompue, peut aboutir à une obligation de quitter le pays, rappelle la chercheuse associée au Centre d'histoire et d'anthropologie du droit de l'université Paris Nanterre Isabelle Carles-Berkowitz. «Du fait de la dépendance de leur statut de séjour à l'égard du conjoint violent, elles hésitent à avoir recours au droit pour obtenir une protection, de peur de perdre leur droit au séjour et d'être expulsées du territoire», écrivait-elle déjà dans un article en 2015, cité par l'Indépendant.

En novembre, la Cimade, association de défense des droits des étrangers, rappelait que seules les femmes mariées, et non vivant en concubinage ou pacsées, pouvaient bénéficier d'un maintien du droit au séjour en cas de violences conjugales, et qu'obtenir une ordonnance de protection relevait du parcours du combattant. Un rapport de France Terre d'Asile paru au printemps 2018 pointait en outre que les professionnels de l'accueil des migrants et demandeurs d'asile passaient parfois à côté de cas de violences conjugales, estimant que l'attitude de domination d'un homme sur sa femme relevait sans doute d'une différence culturelle : «la recherche a mis en avant l'absence de formation systématique des professionnels aux problématiques de violence de genre», notaient les auteurs du rapport, cité par InfoMigrants.

Et aussi… à la rédaction de Vice, le sexisme était érigé en culture d'entreprise, selon notre enquête ; le Figaro n'est pas non plus épargné, tandis qu'une enquête en ligne recense des agissements sexistes dans plus de 200 rédactions, la Fondation des femmes a lancé une nouvelle campagne pour les violences faites aux femmes ; après le viol d'une étudiante, le campus de la fac de Bordeaux s'organise pour contrer le climat d'insécurité ; en France, les féminicides continuent, majoritairement à domicile ; un couple de femmes a été agressé à Lyon ; en moyenne, plus d'une femme sur dix a déjà été violée, selon une enquête de l'Ifop ; un journaliste du Monde a été accusé par plusieurs femmes, qui ont porté plainte, de les avoir sexuellement harcelées ; près d'une femme sur cinq travaillant à l'Assemblée nationale rapporte avoir déjà vécu une agression sexiste.

Corps et sexualité

Les femmes à forte poitrine désavantagées dans leur pratique du sport 

On savait déjà que pour faire du sport, il était préférable de porter un bon soutien-gorge ou une brassière spécifique, afin de limiter les risques de blessure ou de sortir de la séance endolorie. Mais pour les femmes à (très) forte poitrine, c'est une autre histoire : selon une étude australienne publiée en mars dans le Journal of Science and Medicine in Sport et repérée par le Monde, la pratique du sport est freinée par la taille et le poids de leur buste. Il faut préciser que les femmes en surpoids ont souvent de plus fortes poitrines que celles qui ont un poids moyen, et que cela peut aussi expliquer pourquoi les premières s'adonnent moins que les secondes à des activités sportives. Reste que les femmes à seins dits «hypertrophiques» avaient tendance, selon les chercheuses de l'université de Wollongong, qui ont mené l'étude, à faire 37% moins de sport que celles aux seins plus modestes, en raison de la gêne occasionnée par les ballottements et l'étirement des ligaments qui maintiennent la poitrine. Certaines sportives de haut niveau ont d'ailleurs eu recours pour cette raison à une chirurgie de réduction mammaire, à l'instar de la championne de tennis Simona Halep, opérée en 2009.

Et aussi… pour la journée des droits des femmes, des militantes ont recouvert les murs de Paris (d'images) de clitoris ; sur Tinder, les femmes aussi cherchent des coups d'un soir, selon une sociologue ; Marvel sort (enfin) un film avec une héroïne en premier rôle ; retour sur la carrière de la nageuse Annette Kellerman, à l'origine du maillot de bain moderne.

Libertés et vie civique

En Algérie, les femmes au cœur du mouvement contre le régime

Alors que les Algériens se mobilisent pour le changement politique et social, les femmes algériennes, même issues de milieux conservateurs, investissent massivement le mouvement. De quoi normaliser leur présence dans l'espace public. Mais il n'est pas forcément évident d'y faire entendre les revendications féministes, parmi lesquelles l'abrogation du Code de la famille de 1984, qui sous l'influence des traditionalistes se revendique de la charia (loi islamique) au détriment de l'égalité entre les sexes prévue par la Constitution.

C'est un classique des luttes sociales : reléguer les questions d'égalité entre les hommes et les femmes à l'arrière-plan au prétexte que le changement politique est le combat prioritaire. Cette relégation a incité des femmes à se joindre au mouvement, remarque néanmoins la figure du mouvement et professeure de médecine Fadéla Chitour : «On veut bien participer aux collectifs politiques, mais il faut pouvoir y injecter nos revendications», expliquait-elle fin mars. «Pour les femmes, l'affrontement est partout : avec l'Etat, dans la société, dans la rue, au travail et au sein de la famille. Autour d'elles, se cristallisent tous les antagonismes. A travers leur condition se joue le devenir de l'Algérie», observait de son côté l'écrivaine Djamila Benhabib dans le Monde.

Et aussi… selon le directeur de l'agence spatiale américaine, les prochaines personnes à marcher sur la Lune pourraient être des femmes (mais la sortie prévue de deux femmes dans l'espace a été annulée) ; les ministres Jean-Yves Le Drian et Marlène Schiappa plaident pour une diplomatie féministe ; le Planning familial a répondu en mars à l'accusation d'avoir renoncé à la laïcité ; un collectif de Parisiennes veut rendre les rues plus sûres pour des femmes ; en 2018, les femmes ne représentaient qu'un quart des parlementaires dans le monde ; un collectif réclame le Nobel pour la militante saoudienne Loujain al-Hathloul, emprisonnée depuis des mois ; l'Union européenne dénonce la condamnation de l'avocate iranienne Nasrin Sotoudeh.

Vie privée, maternité

Au Canada, elles fument du cannabis pour être «de meilleures mères»

Elles sont jeunes mères de famille et ont décidé d'assumer leur consommation de cannabis : au Canada, où le cannabis est légalisé depuis octobre dernier, des consommatrices prennent la parole sur les réseaux sociaux pour dénoncer la stigmatisation qu'elles subissent et le discours répressif à leur égard. La trentenaire montréalaise Jordana Zabitsky a créé un compte Instagram et un groupe Facebook, «Mothers Mary», pour rassembler (et déculpabiliser) ces femmes qui conjuguent maternité et marijuana. Face aux mises en garde des médecins et des pouvoirs publics, «les mamans se sentent honteuses et ont peur», selon Annie-Claude Bertrand, coanimatrice du groupe Facebook citée par l'AFP. Selon Karine Cyr, qui a créé un groupe similaire au moment de la légalisation, la consommation de cannabis permettrait à certaines de ces jeunes mères qui souffrent d'anxiété ou de dépression de se détourner des opiacés ou des antidépresseurs. «Quand je consomme mon cannabis, après je fais mon ménage, je joue avec mes enfants, je suis plus présente avec mes enfants, je suis plus patiente, ça m'aide dans mon quotidien à être une meilleure mère, une meilleure personne», explique cette mère de deux enfants, qui a troqué les médicaments prescrits par son médecin pour lutter contre ses troubles du sommeil par de l'huile de CBD, substance non psychotrope du cannabis.

Certaines membres revendiquent aussi la consommation pendant la grossesse, ou avant l'accouchement, très déconseillé par la communauté médicale car la substance psychoactive du cannabis, le THC peut influencer le développement du système nerveux et immunitaire du fœtus. Le phénomène reste toutefois faible : à peine plus d'une Canadienne sur dix aurait déjà consommé du cannabis, selon les statistiques officielles.

Et aussi… voilà deux ans que la majorité repousse, avec une régularité de métronome méprisante, la date de l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes, dont le vote est désormais programmé pour 2019 ; un tiers des familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté, et il s'agit le plus souvent de femmes ; le think tank Terra Nova propose donc de mieux lutter contre les impayés de pensions alimentaires ;  en 2019, les féministes veulent tout.

Travail

A l’hôpital, les femmes médecins renoncent plus souvent à se former

La formation continue ? La moitié des femmes médecins qui exercent à l'hôpital n'y ont pas recours, en raison des «charges familiales». Un renoncement qui concerne un tiers de leurs collègues masculins, selon une enquête sur l'équilibre vie privée/vie professionnelle publiée en mars par deux syndicats. Si les praticiens hospitaliers «avaient moins de contraintes familiales», leur souhait prioritaire serait de «se former davantage», selon Action Praticiens Hôpital et Jeunes Médecins, qui considèrent ces chiffres «inquiétants, car la formation continue en médecine est un fondement pour la qualité des soins prodigués».

Les sacrifices ne concernent pas uniquement la formation, selon cette enquête menée en début d'année sur plus de 3 000 praticiens : 36% des femmes médecins considèrent en effet «avoir modifié leur parcours professionnel en raison de leur charge familiale», contre 22% des hommes. Plus d'une femme médecin interrogée sur cinq a opté pour le temps partiel (22%, contre 6% pour les hommes), la plupart du temps pour s'occuper de ses enfants. Quand elles se reposent après une garde de nuit, les femmes sont aussi deux fois plus nombreuses à se consacrer aux tâches domestiques (42%) ou à leurs enfants (14%). Pour réduire ces inégalités, les syndicats proposent notamment d'ouvrir davantage les crèches hospitalières aux enfants de médecins, des structures qui ne leur sont généralement pas accessibles.

Et aussi… depuis le 1er mars, un index permet de mesurer les écarts de rémunération entre hommes et femmes dans les entreprises (mais les syndicats sont sceptiques sur cet outil, dont on vous explique ici le fonctionnement)  ; l'endométriose, maladie dont souffrent jusqu'à 4 millions de Françaises, a des conséquences au travail aussi (lire les témoignages des femmes que nous avons interrogées) ; au Rwanda, une coopérative permet à 30 femmes de gérer elles-mêmes leur activité de brodeuse ; Karen Uhlenbeck est la première femme récipiendaire du prix Abel de mathématiques.

Choses lues, vues et entendues ailleurs que dans «Libé»

• On a tendance à associer l'histoire d'Internet à des noms d'hommes, comme ceux des créateurs de Google, Apple ou Facebook, mais, sans les femmes, il n'y aurait tout simplement pas d'Internet. Ni même d'ordinateur. C'est ce qu'explique l'essayiste américaine Claire L. Evans, dans une courte vidéo publiée sur le site de Télérama.

Les femmes SDF et plus généralement les femmes très précaires font chaque mois face à un dilemme : acheter de la nourriture ou des serviettes et des tampons ? En prison, rapporte l'Obs, face à la difficulté de s'approvisionner en protections hygiéniques, notamment en raison de leur prix, des femmes se débrouillent en fabriquant notamment des cups à base de bouteilles en plastique. Une pratique risquée sur le plan sanitaire.

• La philosophe Emilie Hache expliquait dans nos pages ce mois-ci que les femmes avaient toujours été plus impliquées que les hommes dans le combat pour le climat. Une étude américaine, publiée en mars dans Nature Climate Change et reprise par Usbek & Rica, va dans le même sens : plus les femmes participent aux décisions, plus il y a de chances que l'environnement soit préservé.

• La Suède est le premier pays à avoir adopté une politique étrangère féministe. Slate explique sur ce qu'implique ce programme diplomatique qui place les droits des femmes au cœur des affaires internationales, et pourquoi les autres pays devraient s'en inspirer.

• La qualité de l'accueil et de l'écoute des victimes de viol reste à géométrie variable dans les commissariats. L'une d'elles se souvient de sa première tentative de plainte : «Accueil médiocre, aucune écoute, aucune aide. Au bout d'une heure et demie, la fonctionnaire a fini par me dire qu'elle n'avait pas de temps à perdre avec mes pleurs.» A lire sur le Parisien.

• C'est un chiffre effroyable : en France, 88% des femmes souffrant d'un trouble autistique auraient été victimes d'agressions sexuelles. Streetpress a donné la parole à plusieurs d'entre elles.

• Fin mars, France Culture recevait la militante américaine Gloria Steinem et la journaliste Mona Chollet pour parler backlash : malgré la prise de conscience récente, les droits des femmes restent aussi vulnérables, mettent-elles en garde.

• A l'occasion de la sortie de leur guide culinaire Cheffes, 500 femmes qui font la différence dans les cuisines de France (éditions Nourriturfu), le podcast Casseroles reçoit la journaliste Estérelle Payany et la documentariste Vérane Frédiani pour débattre de l'invisibilisation des femmes en cuisine, de leur place dans les cuisines et des violences qu'elles y subissent parfois. A écouter ici.

Pour aller plus loin :

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