L'Allemagne, plus grand bordel d'Europe

Les maisons closes prospèrent outre-Rhin depuis la légalisation de la prostitution. Un business juteux, mais les dérives criminelles ne sont jamais loin.

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Quartier des « bordels » et des bars à Hambourg.

Quartier des « bordels » et des bars à Hambourg.

© AXEL HEIMKEN / DPA / dpa Picture-Alliance/AFP

Temps de lecture : 5 min

3 500. C'est le nombre de maisons closes légales éparpillées en Allemagne. Parmi elles, 500 rien qu'à Berlin, selon les estimations de l'association Erotik Gewerbe Deutschland (UEGD), l'association qui représente les intérêts du secteur. En une quinzaine d'années, l'Allemagne est devenue le plus grand bordel et marché prostitutionnel d'Europe. Ce « secteur » générait en 2013 un chiffre d'affaires annuel de 14,5 milliards d'euros, soit trois ou quatre fois plus qu'avant l'entrée en vigueur, en 2002, de la loi légalisant la prostitution. Quelque 400 000 prostituées – et un million de clients – sont recensées dans l'ensemble du pays. C'est dix fois plus qu'en France, et quinze fois plus qu'aux Pays-Bas. Outre-Rhin, les travailleuses du sexe sont majoritairement des migrantes, sans papiers et fraîchement arrivées d'Europe de l'Est (Roumanie, Bulgarie, Albanie) et du Nigeria. Une large majorité d'entre elles sont victimes de la traite des êtres humains, aussi bien dans les salons que dans la rue où sévit le crime organisé.

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« Entrepreneur du sexe »

« Du sexe avec toutes nos femmes, aussi longtemps que vous le voulez, aussi souvent que vous le voulez et de toutes les façons que vous le voulez. Du sexe. Du sexe anal. Du sexe oral sans préservatif. Du sexe de trois façons. Des gang bangs » : c'était la promesse du Pussy Club quand il a ouvert ses portes en 2009 près de Stuttgart, à une centaine de kilomètres de la frontière strasbourgeoise. Un package au prix forfaitaire de 70 euros la journée et 100 euros le soir. Quelque 1 700 personnes s'y étaient pressées lors du week-end d'ouverture.

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Ces « Eros Centers » – des maisons closes –, ainsi que la prostitution et le commerce du sexe sont légaux en Allemagne depuis la loi sur la prostitution de 2002 portée par les sociaux-démocrates et les Verts. Censée apporter sécurité, protection et autonomie aux travailleuses du sexe, cette législation leur permet de bénéficier de droits sociaux et d'intenter des poursuites contre leur employeur, par exemple en cas de non-versement de leur salaire. La loi a ainsi donné aux prostituées un véritable statut professionnel. Mais elle a aussi dépénalisé le proxénétisme en créant un statut d'« entrepreneur du sexe » pour les gérants de bordel. Dix-sept ans plus tard, le résultat est alarmant : le marché de la prostitution a explosé, les groupes internationaux du crime organisé se sont multipliés et le nombre de prostituées victimes de la traite a fortement augmenté.

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Pour Grégoire Théry, porte-parole du Mouvement du nid et directeur de CAP International (Coalition pour l'abolition de la prostitution), « la libéralisation des bordels va de pair avec une augmentation de l'exploitation et impacte également la société. En Allemagne, la demande des clients et les offres dans les bordels, devenues complètement délirantes, mènent à la marchandisation des corps. » Fondatrice de la revue féministe Emma et militante abolitionniste, Alice Schwarzer évoque, elle, « un paradis pour les trafiquants d'êtres humains ».

Flou

La loi de 2002 a entraîné une diminution du nombre de condamnations pour proxénétisme. En 2000, 151 personnes ont été reconnues coupables de ce délit, contre seulement 32 en 2011. En cause, des policiers « qui n'ont plus les moyens d'investigation et de surveillance pour lutter contre la traite et les proxénètes puisque ces derniers ne sont pas dans l'illégalité », selon Grégoire Théry. Le flou de la frontière entre la gestion [légale] des professionnelles du sexe et leur exploitation [illégale] rend très difficile la poursuite en justice des trafiquants.

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Lorsque la police se rend dans les Eros Centers de Berlin, il est fréquent que les gérants imposent aux filles de raconter comment elles ont découvert, « de manière autonome », tous les avantages économiques qu'il y avait à travailler dans un bordel. Ou encore de faire le récit de leur arrivée « sans intermédiaire » à Berlin. Le but de cette fiction ? Dissimuler tout ce qui pourrait trahir un trafic d'êtres humains. Début mars, le patron du Paradise, Jürgen Rudloff, présenté comme le roi des maisons closes à Berlin, a été condamné à cinq ans de prison pour traite des êtres humains.

Ici, il est plus facile d'ouvrir un bordel qu'une baraque à frites. 

En juillet 2016, le Bundestag fait adopter une nouvelle loi en vue de mieux protéger les travailleuses du sexe, encadrant davantage la prostitution tarifée. Le préservatif devient obligatoire, les prostituées doivent déclarer leur activité auprès des autorités sanitaires et les gérants de maison close disposer d'une autorisation de poursuite de leur activité. « Ici, il est plus facile d'ouvrir un bordel qu'une baraque à frites », avait pesté à l'époque Manuela Schwesig, ancienne ministre allemande de la Famille. La loi de 2016 avait pour objectif d'interdire les formules « all inclusive » et de mettre fin aux soirées gang bangs, pratiques jugées dégradantes pour les travailleuses du sexe. Ce qui ne semble pas avoir changé les habitudes dans les Eros Centers.

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Au début du mois, plusieurs militantes Femen ont démonté des portiques qui limitaient l'accès à une rue abritant plusieurs maisons closes dans le quartier chaud du port de Hambourg. Sur le corps de ces femmes étaient inscrits des messages accusateurs, tels que « les femmes ne sont pas une marchandise » et « pas de frontières, pas de maisons closes pour les femmes ». « Nous démolissons ce mur pour dénoncer l'exploitation sexuelle de femmes, la traite humaine et la violence sexuelle qui se cachent derrière les portes de l'industrie du sexe », a expliqué le groupe sur Facebook.

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Cinq pays européens et une île ont interdit toute forme de prostitution (clients et prostitué-e-s pénalisés) : l'Albanie, la Croatie, la Lituanie, Malte, la Roumanie et l'Ukraine.

En Suède, Norvège, France et Irlande du Nord, la prostitution est légale et non régulée, mais les activités organisées sont prohibées (maisons closes, proxénétisme). Les clients sont pénalisés respectivement depuis 1999, 2009, 2016 et 2017.

Même législation, mais sans pénalisation des clients en Belgique, Bulgarie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Hongrie, Italie, Luxembourg, Pologne, Portugal, République tchèque, Royaume-Uni, Slovaquie et Slovénie.

La prostitution est légale et régulée en Allemagne, Autriche, Grèce, Lettonie, Pays-Bas et Suisse.

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Commentaires (39)

  • Brulau

    Plus grand bordel de Paris, avec quelques crimes et des immondices de capotes et autres longuettes a la vue des enfants. Quand la bonne conscience tient le gouvernail !

  • voltairius

    Notre droit en la matière est loufoque : la prostitution est légale la consommation est interdite, c'est d'une logique aveuglante car nous sommes le pays des lumières. Copions donc les germains et les teutonnes, comme nous avons copié la sécurité sociale de Bismarck (1871) en 1945, et ouvrons des maisons de plaisirs variés offerts par des professionnels et professionnelles, rétribués, surveillés, imposés.

  • BAUVAN

    D'affaires en Allemagne pour cette activité lucrative qui existe en France mais de façon clandestine et donc sans doute non imposée. Une TVA à 20% représenterait sans doute pas loin de 3 milliards pour l'État... La prostitution étant un mal irrépressible, pour ne pas dire nécessaire, autant la légaliser en l'encadrant par des règles protégeant le mieux possible les prostituées, mais en taxant leur activité.