La difficile prise en charge psychiatrique des migrants

À quelques mètres de l’immense rond-point qui sépare Paris d’Aubervilliers, trois enfants miment une partie de cricket, armés de planches de bois et d’une canette de bière. Leurs parents, deux afghans de 29 ans, les surveillent silencieusement, assis sur un banc du carrefour bruyant et pollué, rue Jean-Oberle. Arrivés en France il y a cinq jours, ils attendent l’arrivée du camion de l’association France terre d’asile et du Samu social de Paris, qui s’installent ici tous les jeudis.

Coincées entre le périphérique et les barres d’immeubles, les deux organisations tentent de répondre aux besoins primaires des migrants entassés dans les camps du nord-est parisien. Infirmière employée depuis trois mois par le Samu social, Cloé Gautier enfile son gilet bleu et déploie la petite tente blanche qui fait office de centre de soin.

À l’intérieur, le matériel est rudimentaire : table en plastique, trousse de premiers secours et ordinateur. « Une petite révolution pour créer une base de données et avoir accès aux antécédents des patients déjà passés nous voir », précise-t-elle. Pour rendre la consultation plus efficace, elle est accompagnée par un interprète originaire d’Afghanistan, Khalid Hamrah.

« Simplement un soutien moral »

En quelques heures, tous deux vont voir défiler des dizaines d’exilés venus ici chercher une solution à leurs maux de gorge, de dos ou de l’âme. « À certains, je ne prodigue aucun soin, détaille l’infirmière. Ils cherchent simplement un soutien moral qu’ils ne trouvent pas ailleurs. »

Jamal, 25 ans, avoue ressentir une douleur aux genoux depuis deux ans. « J’ai été enfermé en Libye et battu à plusieurs endroits du corps, comme le visage ou le dos. Mais pas aux jambes », témoigne timidement cet Afghan, à Paris depuis deux mois, qui sortira de l’abri de fortune avec une boîte d’antalgiques. « Ces consultations sont parfois frustrantes, reconnaît la professionnelle. On gère l’urgence, mais il est difficile d’expliquer que les douleurs ressenties peuvent avoir des causes indirectes, notamment le parcours migratoire. Et puis, je ne suis ni psychologue ni médecin. »

D’après les chiffres du Samu social, 80 % des 2043 personnes vues entre avril et décembre 2018 souffriraient d’un syndrome de stress post-traumatique dû à leur traversée. Une dimension pas suffisamment prise en compte par les pouvoirs publics, d’après Cécile Laporte, responsable du pôle migration au Samu social, et qui sera au centre d’un colloque, organisé le 2 avril à Paris, par le Samu social et la Fédération des acteurs de la solidarité.

« On sollicite beaucoup les équipes mobiles du Réseau psychiatrie précarité rattachés aux hôpitaux de Paris, qui sont spécialisées dans les troubles psychiatriques causés par l’isolement et la pauvreté. Le problème est qu’ils n’ont pas de structure fixe, alors que certains migrants auraient besoin d’être hospitalisés. »

« Les psys, c’est un truc d’Européens »

Autre problème, le système de « sectorisation » de la psychiatrie, qui oblige les patients à se rendre dans l’hôpital proche de leur lieu d’habitation. Difficile donc d’être admis quand on est à la rue. « Il existe tout de même le centre de l’hôpital Sainte-Anne, qui reçoit les personnes sans domiciliation, mais la structure est surchargée », indique-t-elle. Sans compter la barrière culturelle, autre obstacle à surmonter. « Quand on leur parle de psychiatrie, la plupart des gens répondent automatiquement qu’ils ne sont pas fous, regrette Khalid Hamra. Les psys, c’est un truc d’Européens. »

Selon les chiffres du Samu social, 10 % des personnes vues en consultation sont considérées comme particulièrement vulnérables du fait de problèmes de santé. Certaines sont orientées vers les services de Permanences d’Accès aux Soins (Pass), qui sont implantées au sein des hôpitaux et restent accessibles aux personnes sans couverture médicale. D’autres sont envoyées aux urgences ou urgences dentaires.

Somalienne de 28 ans, Daraba, elle, restera sur place. « Je suis à la rue depuis sept mois, confie la jeune femme, les yeux embués. Personne ne m’aide et je souffre de la tête quand je pense à ce qu’il m’arrive. » Chloé Gautier a choisi de l’orienter vers le camion de France terre d’asile, pour tenter de lui éviter de passer une nuit supplémentaire dehors.