Le camp de migrants, porte de la Chapelle, à Paris. Crédit : InfoMigrants
Le camp de migrants, porte de la Chapelle, à Paris. Crédit : InfoMigrants

Dans le nord de Paris, à Porte de la Chapelle, des centaines de migrants installés sous le périphérique subissent les assauts des toxicomanes, qui vivent à quelques mètres d’eux. Face au comportement instable des junkies, les associations se rendent de moins en moins souvent dans le campement, au détriment des demandeurs d’asile.

Quand Mohamed parle d’eux, il les appelle "ces gens-là", "les autres" ou "ces gens étranges". Le jeune Afghan de 23 ans, qui vit depuis trois jours dans un campement informel, Porte de la Chapelle, dans le nord de Paris, supporte déjà mal la présence des toxicomanes, les "crackheads", comme les appellent les habitants du quartier. Cette population marginale – et marginalisée -, très précaire, est installée à quelques mètres du campement de Mohamed, sur la tristement célèbre "colline du crack", au-dessus du périphérique parisien.

Mohammed, lui, vit en dessous, sous la sortie de bretelle du boulevard périphérique. De là où il dort, il peut surveiller les allées et venues de ceux qui entrent dans le camp. La présence des crackheads le rend nerveux. Ici, tout le monde semble sur ses gardes. Il faut dire que la cohabitation est explosive. "On est de plus en plus nombreux à venir s’installer ici quand on arrive à Paris. On essaie de garder l’endroit bien, de nettoyer un peu. Mais les autres, ils viennent tout le temps faire n’importe quoi", précise un ami de Mohamed, lui aussi Afghan, vêtu d’un col roulé, et sans manteau, alors qu’il a plu toute la matinée.

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Le camp qui "grossit de semaine en semaine", selon les associations d’aide aux migrants, se rapproche donc toujours un peu plus de la colline du crack et de ses montagnes de déchets, de son odeur âcre de saleté.

Une vue de la colline du crack porte de la Chapelle  Paris Crdit  InfoMigrants Les migrants de la Porte de la Chapelle reprochent beaucoup de leurs maux à leur voisins drogués. Ils les accusent notamment de venir voler leur nourriture. "On rapporte souvent des choses à manger de l’extérieur, mais ils viennent, entrent dans le camp pour tout prendre", explique Mohamed qui ne comprend pas pourquoi ils se déplacent "bizarrement". "Ils crient, ils ont l’air fou". Quand il les croise, Mohamed préfère rebrousser chemin. "Ce sont des fous", répète-t-il. "Je ne leur parle pas. Moi, ce que je veux, c’est partir d’ici et avoir un toit".

"Où sont-elles vos associations ?"

Autour du camp, l’atmosphère est pesante. Les junkies errent par dizaines sans but, en titubant, parfois à moitié nus, sans tee-shirt, malgré le froid. Ils vont souvent au contact des demandeurs d’asile. Ils demandent de l’argent, des choses à manger. "Ils reviennent toujours. Ils sont toujours là", continue Mohamed.

Dans leurs mains, des pipes à crack qu’ils ne prennent même plus la peine de cacher. Les toxicomanes sont reconnaissables à leur air hagard, ils sont assis sur le trottoir, étendus sur les bords de la route, les yeux rouges et le regard absent.

À cause des violences des toxicomanes, de leur instabilité, les collectifs d’aide aux migrants - nombreux dans le 18e arrondissement - ne vont plus tous les jours dans le camp, isolé, loin des grandes artères parisiennes. "On s’y rend, mais pas quotidiennement. Il faut qu’on ait des équipes de bénévoles solides. Nous avons eu des problèmes. D'autres ONG aussi", explique Alix, membre d’Utopia 56.

Aujourd’hui, les demandeurs d’asile comme Mohammed, subissent les conséquences directes de cette absence humanitaire. Ils se disent abandonnés à leur sort. "Où sont-elles, ces associations ? Ça fait trois jours que je suis là, j’ai pas de sac de couchage, j’ai froid. Et puis, je comprends pas ce numéro qu’il faut appeler pour l’asile, ça ne répond jamais !", s’agace Mohamed. "Regardez autour de vous, à part ces gens étranges, il n’y a personne !" Mohamed tient à marquer sa différence. "Nous [les demandeurs d’asile], nous sommes respectables. Eux, ils font des problèmes".

"J’ai connu des situations dures, mais c’est horrible ici"

Un Somalien, qui finit de se brosser les dents au point d’eau installé à proximité, acquiesce. Il se dit choqué par la précarité extrême des lieux. "Je suis arrivé il y a deux jours, mais je vais repartir très vite. J’ai connu des situations dures, mais ici c’est horrible, je vais tenter ma chance dans un autre pays", explique ce migrant d’une vingtaine d’années.

Les migrants se plaignent des vols des toxicomanes Crdit  InfoMigrantsD’autres personnes, des Somaliens et des Érythréens, regroupés autour d’un petit feu de bois, évoquent des bagarres, toujours provoquées par les occupants de la colline du crack. Ils parlent "de coups sur les jambes", de "lancers de bouteilles en verre" la nuit, surtout. "Ce sont des personnes dangereuses, quand ils viennent, on dirait qu’ils ont bu, ils sont violents", explique un autre Somalien. Quand ils sont en manque, les accrocs au crack peuvent devenir très violents.

Pire, les toxicomanes ont aujourd’hui imposé leur présence partout où les migrants se trouvent. Ils les suivent aux consultations médicales gratuites organisées par les ONG plus haut sur le boulevard, ils viennent aux distributions de nourriture, non loin du métro, organisées chaque matin par l’Armée du Salut. "Oui, et c’est pas toujours facile", commente sobrement Marie, salariée de l’ONG, qui supervise le petit-déjeuner ce mardi 2 avril. "On prône un accueil inconditionnel, on ne peut pas les refuser". Mais leur venue exaspère souvent les migrants. Les toxicomanes ne respectent pas les filles d’attente, renversent parfois la nourriture, et peuvent être violents.

"J'ai retrouvé des excréments dans ma station-service"

Le gérant d’une laverie automatique, situé de l’autre côté de la rue, à moins de 20 mètres du camp, confirme lui aussi les nuisances des crackheads. "Ils viennent ici faire leurs besoins, je retrouve leurs excréments dans ma station-service", raconte le patron d’une cinquantaine d’années. "Les migrants, eux, ne posent pas beaucoup de problèmes, ils mendient parfois, mais c’est tout. Ils ne viennent pas embêter mes clients". Un de ses employés confirme. Un autre jour, un junkie a cassé la vitre d’un véhicule qui venait d’être lavé. Ils sont incontrôlables". Les deux hommes espèrent que les préparatifs en vue des Jeux Olympiques de 2024 "changeront tout ça". Une salle omnisport doit en effet être construite à la Porte de la Chapelle pour l’occasion.

De leur côté, les associations d’aide aux migrants s’inquiètent. Ils craignent que les nouveaux arrivants, fragilisés par leurs parcours migratoire, et épuisés psychologiquement, deviennent à leur tour toxicomanes. Les associations rappellent que les dealers de la Porte de la Chapelle offrent généralement aux jeunes immigrés quelques doses de crack pour les rendre dépendants et ainsi gagner de nouveaux clients. Alix, d’Utopia 56, précise que cette drogue dure est "l’une de celles qui monte le plus vite au cerveau. C’est l’une de celles qui détruit le plus vite parce que sa dépendance est quasi-immédiate". Et peu de migrants le savent. "Beaucoup ne connaissent pas le crack. Alors ils ne se méfient pas quand on leur en propose. Dans leur pays, ils n’en ont jamais entendu parler".


 

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