À compter du mercredi 3 avril, l’homosexualité et l’adultère deviennent passibles de la peine de mort par lapidation dans le sultanat de Brunei, qui s’apprête à faire appliquer les peines les plus sévères de la charia, la loi islamique. Cette nouvelle législation prévoit aussi l’amputation d’une main ou d’un pied en cas de vol, ce qui suscite l’indignation des défenseurs des droits de l’homme.

La France, mardi 2 avril, par la voix de la porte-parole du ministère des affaires étrangères Agnès von der Mühll, a appelé le sultan Hassanal Bolkiah à « renoncer à ce projet et à maintenir son moratoire de fait des exécutions capitales depuis 1957 ». La veille, l’ONU avait qualifié cette nouvelle loi de « peines cruelles et inhumaines ». L’acteur américain George Clooney et le chanteur britannique Elton John ont appelé pour leur part au boycott de neuf hôtels de luxe liés au sultan de Brunei.

John Lee, éditorialiste sud-coréen, a vécu jusqu’à l’âge de 19 ans dans ce petit État de 430 000 habitants, ancien protectorat britannique, très riche en hydrocarbures, situé au nord l’île de Borneo et frontalier de la Malaisie. Il analyse pour La Croix les raisons de la mise en place de cette nouvelle législation, par le sultan multimilliardaire, Hassanal Bolkiah, au pouvoir depuis plus de cinquante ans.

La Croix : la nouvelle législation qui entre en vigueur mercredi 3 avril à Brunei donnera une image désastreuse à ce sultanat. Pourquoi une telle décision maintenant ?

John Lee : Brunei est un micro-Etat dont l’économie dépend largement des exportations de pétrole et de gaz (90 % de ses exportations totales). Quand le prix du baril était à 100 dollars, dans les années 2000, tout allait bien, l’État pourvoyait alors à tous les besoins d’une grande partie de ses 430 000 habitants, dont 70 % sont musulmans. Le secteur privé est minuscule. Personne ne paye d’impôts, ou si peu.

Or depuis 2015, le prix du pétrole a chuté, les revenus du pays ont baissé, l’endettement augmente. L’économie du Brunei est une des moins prospère de l’Asie du Sud-Est après le Cambodge, le Laos et la Birmanie. Le chômage a augmenté et une partie de la population commence à se plaindre, discrètement, et exprime sa déception.

En légiférant de la sorte contre l’homosexualité et l’adultère, le sultan entend s’assurer le soutien des musulmans les plus radicaux et conservateurs du pays, et préserver ainsi son pouvoir absolu. La charia à Brunei est donc avant tout une stratégie politique déguisée en action religieuse.

Le sultan ne redoute-il pas les réactions internationales contre cette loi ?

J. L. : Le sultan avait déjà voulu introduire cette législation en 2014, mais craignant un retour de bâton, les autorités avaient préféré tenter de le faire discrètement, en catimini, ce qui est bien sûr illusoire. Oui, bien sûr, il tient compte des réactions.

Mais à mes yeux, son annonce ressemble fort à un coup de bluff pour satisfaire les conservateurs. Il n’est absolument pas certain que la loi islamique s’applique un jour. Ce serait désastreux pour le sultan, en fonction depuis 1967. Depuis l’indépendance de Brunei, en 1984, il n’y a eu aucune exécution capitale dans le pays. La dernière remonte aux années 1950, lorsque Brunei était un protectorat britannique. Il reste d’ailleurs un vestige de cette époque au Brunei : une garnison de soldats britanniques, les « Gurkhas népalais », stationnée au terme d’un accord signé avec Londres, renouvelé tous les cinq ans. Il s’agit de la dernière présence militaire britannique dans le monde après la rétrocession de Hong Kong en 1997.

Les appels au boycott de George Clooney ou Elton John peuvent-ils avoir un impact sur la décision du sultan ?

J. L. : Ils n’auront aucun effet sur le sultan Hassanal Bolkiah, bien décidé à préserver sa légitimité islamique. La fortune du sultan est évaluée à plus de 20 milliards de dollars et le Brunei Investment Agency, le fonds souverain de Brunei, détient plus de 40 milliards de dollars. Le boycott des neuf hôtels du sultan ne sera qu’une goutte d’eau dans l’immense océan de sa richesse.

Sa famille n’a pas investi dans ces hôtels pour faire de l’argent, mais pour avoir des pied-à-terre lorsqu’elle voyage à Paris, Londres, Milan, Rome, Los Angeles… C’est vaniteux mais c’est la réalité. L’enjeu politique est ici bien plus déterminant que l’enjeu économique qui reste minime.