Une proposition de loi portée par des sénateurs socialistes entend faire reconnaître le crime d’écocide. Une surprise, car si plusieurs partis et personnalités travaillent sur le sujet notamment dans le cadre des élections européennes, le sujet ne semblait pas vraiment à l’ordre du jour au niveau national. Le signe d’un changement de ton sur les crimes environnementaux, poussé par la pression citoyenne et les actions comme L'Affaire du Siècle.

Le crime d’écocide, qui punit les atteintes les plus graves à l’environnement et les êtres vivants, va-t-il faire son entrée dans le droit pénal français ? C’est en tous cas la proposition des sénateurs du groupe socialiste et républicain, qui viennent de déposer un texte en ce sens. Un dépôt presque "surprise" tant la reconnaissance de l’écocide peinait à prendre corps au niveau national, en raison de sa complexité, de sa dimension transnationale et de la défiance qu’elle peut susciter dans les milieux économiques.
Mais aujourd’hui, ce sujet est porté par la mobilisation sans précédent sur le climat et plus largement sur l’environnement au niveau mondial. En France, depuis septembre, des centaines de milliers de personnes ont manifesté pour lutter contre le changement climatique et la pétition "L’Affaire du Siècle" a rassemblé près de deux millions de personnes autour d’une action juridique contre l’État français.
Un sujet qui devient politique
"Les sujets environnementaux sont au cœur de l’actualité planétaire et le sentiment d’urgence se diffuse. Nous avons profité de cet agenda et même bousculé l’ordre de nos propositions de loi pour pouvoir intégrer l’écocide dans notre niche parlementaire", souligne Jérôme Durain, sénateur socialiste. 
Le texte vise des peines lourdes, volontairement "très très dissuasives" : jusqu’à 20 ans de réclusion criminelle et 7,5 millions d’euros d’amende pour les responsables des dommages "portant atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population" qui résulteraient d’une "action concertée tendant à la destruction ou dégradation totale ou partielle d’un écosystème, en temps de paix comme en tant de guerre". Des peines sont également prévues si la simple intention est avérée, sans dommages prouvés.
Quelle efficacité ? 
Pour certaines ONG environnementales pourtant, le sujet n’est pas là. Pour Anne Roques, juriste chez FNE (France Nature environnement), il "s’agit d’abord d’appliquer les textes existants en arrêtant de faire passer les intérêts économiques des méga projets avant les intérêts environnementaux". Au contraire, Valérie Cabanes, juriste internationale spécialiste de l’écocide (1) et présidente d’Honneur de Notre Affaire à Tous (l’ONG à l’initiative de l’Affaire du Siècle), se "réjouit" de voir une telle loi portée par des élus français. Même si elle s’inquiète des confusions du texte.
"L’intentionnalité est trop restrictive pour être efficace : telle que définie, elle pourrait s’appliquer aux activités mafieuses mais pas aux multinationales", assure-t-elle. L’exposé des motifs de la proposition de loi cite par exemple la pollution pétrolière de Texaco en Equateur. Or, dans de tels cas, il paraît difficile de prouver l’intention de l’entreprise de détruire la forêt amazonienne et de rendre malade la population.  
Poser les bases d’une "disposition juridique exigeante"
Valérie Cabanes évoque aussi un manque d’outils permettant de déterminer la gravité des dommages. "En droit pénal, le juge n’a pas de marge d’interprétation. Il faudrait donc intégrer dans la loi les limites scientifiques planétaires qui lui permettraient d’évaluer l’ampleur des dégâts". Autre manque: la mention des générations futures, pourtant essentielle selon la juriste, dans la notion d’écocide. 
Pour le sénateur Jérôme Durain cependant, le texte est d’abord une façon "d’entrer dans le débat". "Nous avons voulu un texte simple à comprendre, efficace au niveau des sanctions et qui puisse conquérir politiquement". Le sénateur se dit ouvert aux différents apports des auditions qui vont se dérouler ces prochaines semaines pour "poser les bases d’une disposition juridique exigeante". Le texte sera examiné en plénière le 2 mai prochain.  
Béatrice Héraud @beatriceheraud  
(1) Valérie Cabanes est auteure de "Un nouveau droit pour la terre, pour en finir avec l’écocide" ( Seuil, 2016)

Découvrir gratuitement l'univers Novethic
  • 2 newsletters hebdomadaires
  • Alertes quotidiennes
  • Etudes