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Mines et métaux

Les banques françaises financent une mine énorme et polluante en Guinée

BNP Paribas, la Société générale et le Crédit agricole financent en Guinée l’extension d’une des plus grandes mines de bauxite de la planète. Des ONG dénoncent les atteintes à l’environnement et des habitants réclament réparation.

Une poussière rouge tenace et menaçante s’infiltre partout dans le nord-ouest de la Guinée Conakry. À Sangaredi, Boké, Télimélé ou Gaoual. La région compte des dizaines de carrières de bauxite à ciel ouvert. D’immenses fosses trouent les paysages verdoyants. Et l’extraction du minerai nécessaire à la production de l’aluminium altère la santé et la sécurité des habitants, détruit l’environnement, réduit la part des terres agricoles des communautés rurales, pollue les rivières et les puits…

Ce n’est pas près de s’arrêter. L’exploitation de la bauxite s’est amplifiée en Guinée à partir de 2015, quand l’Indonésie et la Malaisie ont stoppé leurs exportations vers la Chine, premier producteur et consommateur d’aluminium. Pékin s’est alors tourné vers ce pays d’Afrique de l’Ouest, devenu son premier fournisseur. Et pour cause. La Guinée extrait 9 % de la bauxite mondiale et détient 28 % des réserves de la planète. Mauvaise pioche pour les habitants et l’environnement du nord-ouest du pays, la région renferme les gisements les plus importants avec les teneurs en alumine parmi les plus élevées au monde.

L’une des plus grandes mines de bauxite au monde, avec des ressources de plus de 5 milliards de tonnes 

À 370 kilomètres de la capitale, Conakry, Sangaredi, une ville rurale de plus de 70.000 habitants au bord du fleuve Kogon, dans la zone de transition entre la plaine côtière et l’arrière du pays, abrite ainsi, sur le plateau tout proche, l’une des plus grandes mines de bauxite au monde, avec des ressources de plus de 5 milliards de tonnes. Excavation, dynamitages, concassage, paysages lacérés par des réseaux routiers et des lignes de chemin de fer dédiés au transport du minerai vers les ports, afflux de populations en quête d’un boulot, ont bouleversé le quotidien des communautés rurales locales autrefois isolées.

La Guinée extrait 9 % de la bauxite mondiale et détient 28 % des réserves de la planète.

Depuis 1973, la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG) détient et exploite dans la région, jusqu’en 2038, les droits exclusifs sur une concession minière de 579 km². Le gisement majeur est situé à Sangaredi. Incontournable en Guinée, la CBG est la plus grande entreprise et le premier employeur privé du pays, avec environ 5.000 salariés directs et indirects. La compagnie pèse 7 % du PIB et elle a déclaré avoir payé 90 millions de dollars d’impôts au gouvernement en 2017.

La CBG est née d’une alliance entre le pouvoir guinéen, les géants mondiaux de l’aluminium et de la finance. Le gouvernement détient 49 % des actions. Et les 51 % restants appartiennent à Halco, un consortium de nationalité étasunienne représentant trois grands producteurs d’aluminium : l’Étasunien Alcoa, le Britannique Rio Tinto et Dadco, immatriculé dans les îles anglo-normandes de Guernsey.

La production annuelle du gisement de Sangaredi devait être portée de 13,5 millions à 18,5 millions de tonnes à partir de la fin 2018

La Guinée connaît une ruée vers l’or rouge. En 2012, la CBG a finalisé avec les acheteurs de son minerai, ses trois actionnaires industriels, un contrat de production de 13,5 millions de tonnes par an sur quinze ans, puis un contrat de fourniture de 5 millions de tonnes par an à Emirates Global Aluminium (EGA), qui appartient aux fonds d’investissement souverains d’Abou Dabi et de Dubaï.

Pour honorer ces contrats, la production annuelle du gisement de Sangaredi devait être portée de 13,5 millions à 18,5 millions de tonnes à partir de la fin 2018. Pour trouver les centaines de millions de dollars nécessaires au financement de cette extension, le groupe minier s’est appuyé sur la Société financière internationale (SFI), le bras armé de la Banque mondiale dans le secteur privé, et BNP Paribas, conseiller financier de la CBG.

Une réunion de lancement du projet s’est tenue à Paris les 22 et 23 juin 2015, animée par la banque française, avec la présence de la SFI. Autour de la table, les avocats du cabinet étasunien White & Case conseillent les bailleurs de fonds intéressés : BNP Paribas, mais aussi la Société générale, le Crédit agricole, la banque ING, Natixis et l’Overseas Private Investment Corporation (OPIC), l’institution de financement des entreprises dans les pays en développement du gouvernement des États-Unis.

La présence des banques françaises dans un projet aussi loin de leurs bases ne doit rien au hasard. La Société générale et BNP Paribas, à travers leurs filiales respectives, la Société générale de banques en Guinée (SGBG) et la Banque internationale pour le commerce et l’industrie (Bicigui), dominent le marché bancaire guinéen avec la filiale du groupe panafricain Ecobank.

« Victimes d’accaparement de terres, de la destruction de leur environnement et de leurs moyens de subsistance » 

En septembre 2016, la compagnie a ainsi bénéficié d’un prêt de 200 millions de dollars de la SFI ainsi qu’un prêt de 150 millions de dollars de l’OPIC. L’apport de la SFI a eu un effet de levier. Ainsi, 473 millions de dollars ont été empruntés auprès d’un consortium de banques commerciales : Société générale, BNP Paribas, Crédit agricole, Natixis, la branche allemande de la banque ING (ING-DiBa AG) et deux banques guinéennes, la SGBG et la Bicigui. Enfin, un prêt syndiqué de 293 millions de dollars a été garanti par le gouvernement allemand. Au total, plus de 1 milliard de dollars mobilisés !

Dans un communiqué daté du 6 août 2016, la SFI a justifié sa participation à l’« un des plus importants investissements étrangers en Guinée au cours des dernières années » par sa volonté de « soutenir une croissance inclusive, créer des emplois et moderniser l’infrastructure de transport dans ce pays d’Afrique de l’Ouest durement touché par l’épidémie d’Ebola ». La filiale de la Banque mondiale précise encore qu’elle a joué « un rôle de chef de file dans l’évaluation des risques environnementaux et sociaux associés au projet ».

Pourtant, des ONG ont saisi, le 20 février 2019, Osvaldo Gratacós, le médiateur de la Banque mondiale. Représentés par le Centre pour le commerce international pour le développement (Cecide), l’Association pour le développement rural et l’entraide en Guinée (Adremgui) et l’organisation étasunienne pour la défense des droits de l’homme, Inclusive Development International (IDI), « les habitants de 13 communautés, toutes situées dans la concession de la CBG » se disent « victimes d’accaparement de terres, de la destruction de leur environnement et de leurs moyens de subsistance, lesquels constituent de graves violations des droits de l’Homme tels que consacrés par les instruments de droit international ». Les plaignants cherchent « à obtenir la pleine et juste réparation pour tous les dommages et les pertes qu’ils ont subis ». Et ils « demandent un environnement sûr et sécurisé ».

« Le calendrier du projet d’expansion est rapide » 

Les partenaires financiers du groupe minier, à commencer par la SFI et BNP Paribas, ont-ils négligé les normes sociales et environnementales ? Un rapport de Human Rights Watch (HRW) sur la mine de Sangaredi et ses environs avait déjà donné l’alerte en 2018. « Depuis 2005, la CBG a exproprié quelque 10 kilomètres carrés des terres agricoles ancestrales (…) dans le cadre de l’expansion de son activité. »

Le groupe minier a répliqué dans un communiqué du 15 mars 2019 qu’« au cours de ces quatre dernières années, avec le soutien de ses actionnaires et du gouvernement de la Guinée, la CBG a adopté les standards les plus élevés au niveau international, avec les normes de performance environnementales et sociales de la Société financière internationale ».

Le village coutumier de Hamdallaye, à quelques kilomètres de Sangaredi, est particulièrement menacé par le projet d’extension de la mine de la CBG.

Toutefois, comme le relève un compte rendu de la SFI du 24 novembre 2015, « le calendrier du projet d’expansion est rapide ». Est-ce pour cela que « l’équipe de la SFI n’avait pas pu se rendre sur place » pour l’évaluation environnementale et sociale du projet et qu’une « visite de terrain a été effectuée en septembre 2015 par des membres d’un cabinet de conseil guinéen » mandaté par la CBG ? La majorité des échanges ont eu lieu par téléconférences hebdomadaires !

Ce qui ne rassure pas les habitants de Sangaredi. Car le potentiel total du gisement est évalué à 27,5 millions de tonnes par an ! Et la CBG entend bien l’exploiter jusqu’au dernier gramme de bauxite. De plus, la compagnie détient à Sangaredi, au nord de la rivière Kogon, les droits exclusifs d’une autre zone de concession de 2.360 km2 non exploitée, et valable jusqu’en 2040.

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