​Nandi
Nandi juge une course de voiliers derrière l’hôtel Mercure en ruines. Toutes les photos de l'auteur.

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catastrophe naturelle

Indonésie : la vie à Palu, six mois après le tsunami

Les survivants attendent toujours une aide financière du gouvernement pour se reconstruire.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Sur l’île indonésienne de Sulawesi, des centaines de milliers de personnes ont regardé leur maison se transformer en décombres. Ce n’était que le début d’une lutte qui durera des années.

En septembre dernier, un puissant séisme s’est abattu sur les côtes de la baie de Palu à une vitesse que les géologues observent rarement. Il a provoqué un effondrement des hôtels et des maisons, mis hors service les réseaux téléphonique et électrique, avant de transformer les quartiers en bassins de boue et de déclencher un tsunami de trois mètres de haut qui a tout emporté sur son passage.

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La recherche des survivants et des cadavres a pris plusieurs jours, mais l'Agence nationale de recherche et de sauvetage (Basarnas) n'a pas été en mesure de localiser tout le monde. Sur les 4 402 personnes tuées dans la catastrophe, près de la moitié est toujours portée disparue ou enterrée dans des fosses communes.

Aujourd'hui, six mois plus tard, les survivants attendent toujours une aide financière du gouvernement pour reconstruire leurs vies. Chaque ménage est censé recevoir un compte bancaire dont le montant, basé sur les dommages causés à leur maison, s’élève jusqu’à 50 millions de roupies (3 130 euros). La loi oblige également le gouvernement à verser 10 000 roupies (0,63 euro) par jour et pendant trois mois à chaque famille victime d’un dommage. Mais aucune des familles n'a encore vu cet argent.

« Au lieu de me remémorer le tsunami, source de maux de tête et de stress, et de penser à ma maison dévastée, je peins » – Abdullah Logata, 57 ans

Le gouvernement central n'a pas répondu à la demande de versement des 180 millions de dollars américains destinés à la reconstruction de maisons. Le gouvernement a dépassé le délai imparti pour accéder aux fonds nécessaires au moins trois fois, et les responsables de Palu ont déclaré qu'il serait probablement nécessaire de prolonger la période d'urgence pour la quatrième fois, pour un nouveau mois. Pendant ce temps, les habitants de Palu cherchent des moyens de garder la tête hors de l'eau.

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« Au lieu de me remémorer le tsunami, source de maux de tête et de stress, et de penser à ma maison dévastée, je peins », déclare Abdullah Logata, âgé de 57 ans, depuis son abri temporaire entouré de cocotiers. Il se dit gêné de se qualifier de peintre, mais une fois par semaine, il s’assied pour peindre des abris et le tsunami qui a emporté son domicile.

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Abdullah montre où il entend attirer les gens fuyant le tsunami qui a dévasté la côte.

La peinture l’aide à faire face au traumatisme et au manque de revenus, même si les images du tsunami mettent à l’épreuve sa santé mentale. « Beaucoup de gens m'ont dit de ne pas peindre ces scènes, parce que nous sommes toujours traumatisés, dit-il. Je leur ai dit que ces peintures ne resteraient pas en Indonésie. Je vais les envoyer en dehors du pays. »

Dans toute la partie centrale du Sulawesi, les survivants cherchent des moyens de surmonter le traumatisme et de gagner un peu d'argent. Surtout, ils passent leur temps à attendre de nouvelles maisons. Le gouvernement reste optimiste quant au fait que quiconque a besoin d’un nouveau logement en obtiendra un dans les deux années à venir.

« Les abris temporaires sont conçus pour durer deux ans, mais nous restons optimistes quant au fait que les gens n’auront pas besoin d’attendre jusque-là », a déclaré Arie Setiadi Moerwanto, chef du personnel chargé du relèvement des infrastructures (Satgas PUPR).

Mais c’est long de vivre dans l’instabilité. « L’eau, c’est ce que nous sommes et ce que nous savons », déclare Nandi, 45 ans, dont la maison a été inondée de l’eau dans laquelle il pêchait. Autour de lui, les gens applaudissent les voiliers d'un mètre de long qui font la course dans l'ombre du bâtiment qui était autrefois le célèbre Hôtel Mercure.

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Nandi est arbitre une course de voiliers derrière l’hôtel Mercure en ruines.

Nandi et les 200 autres familles qui habitaient sur les rives de Palu vivent maintenant dans des tentes situées à moins de 500 mètres de la côte. Chaque après-midi, Nandi réunit 20 coureurs et une centaine de téléspectateurs afin de faire revivre une version adaptée des courses annuelles de voiliers de Palu.

Ils ont réduit les coûts et utilisé les matériaux disponibles, principalement les déchets et les restes des bâtiments qui les entourent. Néanmoins, ils ont réussi à satisfaire leur besoin quotidien d'excitation. Je demande à Nandi où en sont sa réinstallation et le versement de son indemnité. « Rien. Nous ne savons rien », dit-il.

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Un garçon se tient sur la ligne d’arrivée des courses de voiliers quotidiennes de Nandi.

Selon les plans du gouvernement, les habitants de la côte et des zones touchées par la liquéfaction [les sols se transforment en sables mouvants, ndlr], seront transférés dans d’autres quartiers de la ville, généralement loin de leur travail et de leur famille.

Merti, 45 ans, vit avec ses sœurs dans une tente installée par la Croix-Rouge indonésienne (PMI) dans la banlieue de Palu. Le samedi soir, elle organise une fête dans un refuge pour les personnes vivant dans les 117 autres tentes.

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Une femme ramène un peu d'eau dans son abri de fortune où elle vit depuis six mois.

« Je viens d’une famille d’artistes, j’ai une sœur compositrice, d’autres sont chorégraphes », explique Merti, trempée de sueur et à bout de souffle après une heure et demie de danse endiablée. Merti se plaint d'infections respiratoires causées par un sol poussiéreux et, à l'instar de Nandi, elle n'a reçu aucune information quant à son emménagement dans un abri temporaire. « Mon statut sur Facebook est "Je vais passer ma vie dans ces tentes" », dit-elle.

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Ceux qui vivent dans des abris temporaires sont en minorité. Parmi les centaines de milliers de personnes qui ont perdu leur maison, la plupart séjournent chez des amis, de la famille ou dans des tentes constituées de bâches et de planches de bois et construites dans les jours qui ont suivi le séisme.

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Des enfants dans des abris temporaires.

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Un homme fabrique des abris temporaires.

À Balaroa, une autre zone de liquéfaction, les habitants continuent à fouiller les restes de leur maison afin de s’en servir comme matériaux de construction. Fadli, 29 ans, cherche des pierres de la taille de sa tête pour soutenir les nouvelles fondations de sa maison, située au sommet d'une falaise de 15 mètres de haut.

« Si nous attendons le gouvernement, qui sait combien de temps il faudra attendre », dit-il. Seuls ceux qui possédaient des terres, de l’argent et des liens ont commencé à se reconstruire ou ont fui à Makassar. Mais la plupart sont livrés à eux-mêmes. Une pancarte installée à l’endroit où les débris et la boue se sont accumulés indique : « Ne creusez pas, ne prenez pas de bois ni de tuiles, etc. Nous avons encore besoin de ce qui nous appartient. Écoutez ce qu’on vous dit. »

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À Balaroa, un homme construit une cabane pour ses enfants à partir des vestiges de maisons détruites.

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Ardiah fait rouler sa brouette dans l’un des camps d’abris temporaires de Palu, où elle vit et vend des pâtisseries depuis trois mois.

Adriah, 38 ans, a du mal à payer les frais de scolarité et la nourriture de ses enfants depuis que le tsunami l’a faite veuve. Elle a utilisé les dons d'une ONG pour acheter une brouette et des ingrédients.

Maintenant, tous les matins, elle se lève à 3 heures et cuisine jusqu'au lever du soleil. Elle réveille ses voisins en criant : « Gâteaux ! Biscuits ! » Elle répète le processus dans l'après-midi et estime pouvoir gagner 1,80 euro par jour. Elle ne veut pas parler de son mari. « Nous devons juste continuer à aller de l’avant », dit-elle.

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