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"Avec François-Xavier Bellamy, on est dans l’épure du conservatisme"
ROMAIN LAFABREGUE / AFP

"Avec François-Xavier Bellamy, on est dans l’épure du conservatisme"

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Pascale Tournier est rédactrice en chef adjointe à "La Vie" et auteure de "Le vieux monde est de retour, enquête sur les nouveaux conservateurs" (Sotck, 2018). Elle revient sur le profil de François-Xavier Bellamy, tête de listes Les Républicains (LR) aux élections européennes, et sur son succès dans la famille de la droite conservatrice.

Peu connu du grand public il y a quelques mois, François-Xavier Bellamy, philosophe de son état, est devenu une figure très médiatique depuis sa nomination comme tête de listes Les Républicains (LR) aux élections européennes. Malgré l'étiquette de catholique conservateur qui lui a été collée, peu de gens sont réellement capable de situer les idées du Versaillais. Auteur de Le vieux monde est de retour, enquête sur les nouveaux conservateurs (Stock, 2018), Pascale Tournier s'intéresse aux nouveaux conservateurs français, qui ont émergé dans le champ médiatique, intellectuel ou politique. Très divers, ils "s’accordent à peu près tous sur un projet qui tourne autour de l’idée de limite", "demandent des repères dans le temps et dans l’espace" et défendent la "transmission" et "l'enracinement". Une famille à laquelle appartient bien évidemment Bellamy.

La stratégie de Laurent Wauquiez qui visait à toucher l’électorat populaire n’a pas fonctionné.

Marianne : Après la victoire de François Fillon, soutenu par Sens commun, à la primaire de droite en 2016, François-Xavier Bellamy est tête de liste pour les européennes. Les "nouveaux conservateurs" ont-ils pris le pouvoir au sein de LR ?

Pascale Tournier : Non, ils en sont encore loin. L’aile droite centriste veille au grain et a tout fait, après la défaite de François Fillon, pour les décrédibiliser notamment en attaquant Sens commun, premiers soutiens de l’ancien candidat à la présidentielle. Déçus par les élections de 2017, beaucoup ont aussi quitté le navire pour s’enfouir dans le social ou se tourner vers le champ du métapolitique. Aujourd’hui, mieux vaut parler d’une mise en lumière d’une personnalité individuelle telle que François-Xavier Bellamy, qui a des "fans" mais pas de vraies troupes constituées. C’est une manœuvre des Républicains et surtout de Laurent Wauquiez, destinée à ramener dans le giron des LR les électeurs conservateurs séduits par Emmanuel Macron.

Il faut remonter le fil. Il y a encore quelques mois, le parti de la droite reste encalminé autour de 10% dans les sondages en vue des élections européennes. Du jamais vu. La stratégie de Laurent Wauquiez, qui visait à toucher l’électorat populaire, n’a pas fonctionné. Contesté dans son camp, il doit vite trouver une solution pour sauver les meubles et même sa peau. Il n’a d’autre choix que de mobiliser le noyau dur des LR, donc cibler le socle qui a soutenu l’ancien Premier ministre à la présidentielle. Son regard se porte vite sur le philosophe versaillais François-Xavier Bellamy, vivement soutenu par le sénateur Bruno Retailleau et très apprécié dans ces milieux.

A terme, verrons-nous les autres "nouveaux conservateurs" rejoindre LR ?

Tout dépendra du score que feront Les Républicains aux élections européennes. Il est vrai que François-Xavier Bellamy réussit pour l’heure l’essai. Sa sincérité apparente, son côté bien élevé et sa fraîcheur plaisent. Il détone dans le paysage ambiant. Avec une certaine élégance et un ton apaisé qui tranchent avec l’hystérie ambiante et la culture testostéronée de l’invective, il redonne une voix claire aux LR dans le débat public. Il donne le sentiment que la droite se remet à penser, prend le temps d’exposer ses idées au-delà de 140 signes, élève le niveau de jeu. Bref, qu’elle n’est plus uniquement celle "qui a des intérêts, peu d’idées et les idées de ses intérêts", comme le claironnait François Mitterrand. Enfin, sans avoir retrouvé l’étiage normal de la droite, il a arrêté l’hémorragie des électeurs de son camp vers la majorité présidentielle. Et Emmanuel Macron regarde avec attention cet adversaire.

Votre livre révèle une vraie diversité des conservateurs. Sur quoi reposent les idées de Bellamy ?

Il a été mis en avant dans les médias pour ses convictions personnelles qui ont trait au mariage pour tous, à l’IVG, au refus de l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. Mais il n’a pas de discours public sur ces sujets plus approfondi que ses déclarations déjà connues. Même s’il ne cache pas son catholicisme, ce n’est pas un croisé de la foi, contrairement à l’étiquette que veulent lui coller ses détracteurs. Quant à l’écologie, la justice sociale, les relations internationales et même l’Europe, jusqu’à sa place de tête de liste, il n’a pas développé de parole singulière.

Ses thèmes de prédilection tournent autour des notions de l’enracinement, la transmission, la culture, qui correspondent à son environnement premier, le monde de l’éducation. Elles sont aussi au cœur du courant de pensée conservateur, et constituent presque son fondement constitutif. Avec Bellamy, on est dans l’épure du conservatisme. D’où la place éminente qu'il occupe aujourd’hui pour cette famille idéologique. Son premier livre qui l’a fait connaître, Les Déshérités ou l’urgence de transmettre (Plon), est parti d’une phrase prononcée à plusieurs reprises par un inspecteur général le jour de sa rentrée à l’IUFM : "Vous n’avez rien à transmettre."

Souvent, Bellamy reste dans les grands principes, sans entrer dans le concret.

Cet agrégé de philosophie fustige ainsi la gauche et sa conception de l’éducation fondée sur le refus de transmettre au nom de la volonté d’être soi‐même et de s’affranchir de tout déterminisme. Pour ce professeur, c’est certain, ce projet de déconstruction pédagogiste entraîne la négation des attachements et met en péril l’unité du pays. Car la culture, ciment de notre communauté nationale, meurt de ne pas être transmise. Publié avant la crise des gilets jaunes, son deuxième livre Demeure (Grasset) attaque plus frontalement le projet progressiste d’Emmanuel Macron (sans le nommer). Il le définit comme l’apologie du mouvement permanent, sans limites et qui prive l’homme de ses attaches au nom de l’autonomie individuelle. Tout en convoquant des penseurs grecs comme Héraclite, Platon ou Parménide, et même Saint Exupéry, Bellamy propose d’une certaine manière de se mettre en mode pause, de s’appuyer sur des repères qui ont traversé le temps, face à un monde en crise et soumis à un rythme de plus en plus rapide. Dans un pays en plein doute et parfois au bord de l’épuisement, il a trouvé un écho évident. Il rassurerait presque.

Dans votre livre, vous montrez que les conservateurs sont souvent flous sur les questions économiques. Est-ce le cas pour Bellamy ?

Souvent, il reste dans les grands principes, sans entrer dans le concret. Il reste en cela fidèle à sa formation de philosophe. La financiarisation de l’économie, l’hypertrophie du marché et la dérive consumériste l’inquiètent, en ce qu’elles traduisent une modernité débridée. Moins libéral que beaucoup de ténors de son camp, il se dit favorable à la croissance mais pas à n’importe quel prix. Même chose avec le libre-échange. Il affirme aussi vouloir réconcilier écologie et économie. Mais on ne perçoit pas trop ses solutions. Quand il parle du projet LR européen en matière économique, il donne le sentiment de réciter ses fiches qu’on lui a transmises. Encore une fois, ce sont les questions liées à l’identité des peuples, la culture, l’éducation où il est à son aise et apporte un regard différent. Mais ce ne sont pas des compétences de premier plan de l’Union européenne. D’ailleurs, il a tendance à parler davantage d’Europe que d’Union européenne. Par essence, il existe une tension entre le conservatisme et le monde de l’économie. Le profit et de la rentabilité s’accompagnent mal d’une vision qui privilégie le temps long. Le rapport à l’argent est aussi compliqué chez les catholiques. Le sociologue Max Weber l’a bien démontré, même s’il a été critiqué.

Les catholiques peuvent être conservateurs, mais ils ne le sont pas tous et réciproquement.

En-dehors du monde catholique, où ce conservatisme trouve-t-il vraiment des échos ? Crée-t-il des convergences ?

Les catholiques peuvent être conservateurs, mais ils ne le sont pas tous et réciproquement. Par exemple, pour les souverainistes - on peut citer par exemple l’intellectuel québecois Mathieu Bock-Côté -, le conservatisme est vu comme un moyen de préserver un modèle culturel dans un monde de plus en plus globalisé. Ils s’appuient sur la matrice anthropologique chrétienne axée autour de la finitude pour légitimer le retour des frontières, freiner la tentation démiurgique de l’homme dans le domaine de la science. Il y a aussi des points d’accroche avec une partie de la gauche sur des domaines comme l’écologie et la bioéthique. Mais le gros des troupes conservatrices demeure catholiques.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne