Média indépendant à but non lucratif, en accès libre, sans pub, financé par les dons de ses lecteurs

EntretienPollutions

Avec la pollution de l’air, asthme et allergies chez les enfants « sont de plus en plus précoces »

Les enfants sont particulièrement vulnérables à la pollution de l’air. C’est ce que rappelle un rapport de l’Unicef publié le 4 avril. Quelles sont les conséquences précises pour les enfants ? Reporterre a interrogé la professeure Jocelyne Just, qui, dans son service de l’hôpital Trousseau, à Paris, voit passer des cas de plus en plus graves, liés à la pollution de l’air.

En France, plus de trois quarts des enfants respirent un air pollué. Ce chiffre est rappelé dans un rapport publié jeudi 4 avril et intitulé « Pour chaque enfant, un air pur ». L’Unicef France s’est associée pour ce rapport avec le Réseau Action Climat, l’association Respire, et le WWF France.

Alors que les voitures sont responsables en ville de 63 % des émissions de dioxyde d’azote, ces organisations appellent à prendre des mesures contre cette pollution dans le projet de loi d’orientation des mobilités. Elles sont déçues par la mouture du texte sorti des discussions au Sénat, et espèrent un rattrapage à l’Assemblée nationale. Elles demandent ainsi aux députés de voter pour la mise en place de zones à faibles émissions autour des crèches, des écoles et des hôpitaux ou de rendre obligatoire pour les employeurs le défraiement des trajets domicile-travail effectués en vélo et autres mobilités douces.

« Les institutions ne prennent pas en compte le fait que les enfants sont les plus fragiles face à la pollution de l’air », regrette Jodie Soret, autrice du rapport et chargée des relations avec les pouvoirs publics à l’Unicef. « Et de façon générale, ce n’est pas encore suffisamment un sujet de préoccupation. » Pourtant, on découvre sans cesse de nouveaux effets de la pollution de l’air sur la santé des enfants. C’est ce qu’a expliqué à Reporterre la professeure Jocelyne Just, chef du service d’allergologie pédiatrique à l’hôpital Trousseau, à Paris.


Reporterre — Pourquoi les enfants sont-ils plus vulnérables que les adultes à la pollution de l’air ?

Jocelyne Just — Les enfants sont de petite taille, donc la concentration des polluants dans leur corps est plus importante. Ils respirent aussi plus vite que les adultes. Et puis, la croissance n’est pas terminée, les organes sont en développement et immatures donc plus sensibles.



Quelles sont les conséquences de la pollution de l’air pour eux ?

Ce qui a d’abord été montré, c’est la corrélation entre les pics de pollution et l’asthme, la venue aux urgences, les hospitalisations, la consommation de médicaments antiasthmatiques. Puis, on s’est aperçu que l’exposition à la pollution chronique en dehors des pics pouvait provoquer des maladies. Certains nouveaux cas d’asthme peuvent être imputables à la pollution, ainsi que des allergies alimentaires ou cutanées. Le développement des poumons peut aussi être réduit. Enfin, plus récemment, un lien a été établi avec l’obésité et des maladies neurologiques comme l’autisme chez l’enfant. C’est un sujet en cours d’exploration.



Dans votre service, les enfants sont-ils plus malades qu’avant ?

L’asthme est devenu plus sévère et plus précoce. Antérieurement, on arrivait assez facilement à contrôler l’asthme chez un nourrisson. Désormais, on doit prescrire de plus en plus de médicaments.

De plus, les allergies sont devenues de plus en plus fréquentes, notamment les allergies alimentaires et cutanées, et là aussi de façon plus précoce. Des choses que l’on constatait à l’adolescence ou à l’âge scolaire, on les voit maintenant chez des jeunes enfants qui deviennent polyallergiques à des aliments, avec des allergies cutanées et respiratoires.

Cette sévérité et cette précocité ne sont probablement pas liées uniquement à la pollution, et plus largement à notre mode de vie occidental. Mais la pollution de l’air a clairement une action sur l’immunité et explique en partie ces maladies.

Depuis quand observe-t-on ces effets accrus ?

Une augmentation de la fréquence des maladies respiratoires a été observée entre les années 1980 et 2000. Celle des allergies alimentaires a été observée entre les années 2000 et maintenant. L’OMS [Organisation mondiale de la santé] dit que si l’on ne fait rien pour changer notre environnement, notamment la pollution mais aussi tout ce qui va avec, 50 % de la population sera allergique en 2050.



Quelles sont les conséquences à long terme pour les enfants malades ?

Le fait d’avoir une croissance pulmonaire anormale fait que vous arrivez à l’âge adulte avec des poumons plus petits, plus vulnérables. On est en train d’explorer le lien entre le déficit ventilatoire quand on est petit, et la bronchite chronique quand on est adulte. On a aussi montré chez l’adulte le lien entre l’exposition chronique à la pollution de l’air et la venue aux urgences pour accident vasculaire cérébral ou infarctus. Donc, il est probable que les expositions chroniques dans l’enfance qui vont altérer le développement pulmonaire, modifier l’immunité, accélérer l’inflammation vont faire que les maladies chroniques vont survenir plus tôt dans la vie. Il faut comprendre que les malades chroniques, ce sont des handicapés qui ont une expérience de vie diminuée. On parle souvent des morts de la pollution de l’air, moins d’eux.

Comment réagissent les parents qui viennent dans votre service ?

Ils voient bien les liens entre les pics de pollution et l’exacerbation de la maladie de leurs enfants. Ils constatent aussi qu’avant, personne n’était allergique dans leur famille et se demandent d’où ça vient. Il y a une prédisposition génétique mais c’est surtout l’environnement qui joue. Ils sont effrayés par cela.

Il y a des traitements de plus en plus importants, et dans les cas extrêmement graves, on est obligés d’envoyer les enfants en cure climatique à l’année parce qu’ils ne peuvent pas respirer en région parisienne, c’est impossible même avec des traitements très lourds. Mais ce n’est pas rien de séparer un enfant de sa famille.



Certaines familles doivent-elles envisager de déménager ?

Mais déménager où ? Dans toutes les villes, Marseille, Grenoble, Lyon, c’est pollué. À la campagne, il y a des pollutions agricoles. Le seul air pur et sain est dans les Alpes ou dans les Pyrénées à 1.500 mètres d’altitude. Mais, dans ces régions, il n’y a pas de boulot… Donc, on ne demande pas aux gens de déménager parce qu’on sait qu’on les met devant des impossibilités.



Que peut-on faire alors ?

Il faut laisser nos voitures, ne pas les utiliser pour déposer les enfants à l’école, ne pas mettre les enfants dans les voitures fermées parce que la pollution s’y concentre, ne pas leur faire faire d’activités sportives en extérieur lors des pics de pollution. Et puis, il faut militer pour que les décideurs aient une politique de la ville visant à diminuer la pollution automobile et qu’ils interdisent le diesel. Il y a des choses à faire, d’autres villes l’ont fait comme Tokyo ou en Californie, et ont vu la santé respiratoire s’améliorer.

  • Propos recueillis par Marie Astier
Fermer Précedent Suivant

legende