Martine Monteil, le 25 septembre 2008 à Paris. Première femme à avoir dirigé la police judiciaire française, elle préside le jury du Festival Polar 2014 de Cognac

Martine Monteil, ici le 25 septembre 2008 à Paris, fut la première femme à diriger la police judiciaire française.

afp.com/Olivier Laban-Mattei

La nouvelle est tombée dans les premiers jours de janvier. Martine Monteil, légende de la police judiciaire (PJ), est sortie de sa retraite pour reprendre du service. Mais, comme beaucoup de grands flics avant elle, dans le privé. Direction le groupe Partouche. À l'annonce de ce pantouflage, dans les grandes directions centrales, certains pontes ont un peu toussé, partagés entre une surprise certaine et l'hommage dû à "une grande Dame de la maison".

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C'est que le recrutement de cette femme à poigne, qui fut la première de son genre à diriger les fleurons que sont les "stups", la répression du banditisme, la "crim'" puis "le 36" [l'ancien nom de la PJ parisienne], tombait au meilleur, ou au pire moment, selon qu'on soit casinotier ou policier. Celle à qui l'on doit, entre autres affaires retentissantes, l'arrestation du tueur en série Guy Georges dans les années 1990, débarque chez Partouche dans un contexte où les rapports entre le géant du jeu et son autorité de tutelle se sont considérablement tendus ces derniers mois.

À la suite de perquisitions menées en mars 2018 dans son établissement cannois, suivies de la mise en examen de deux de ses dirigeants, le groupe n'a pas hésité à poursuivre en diffamation le commissaire Philippe Ménard, actuel patron du Service central des courses et jeux (SCCJ), pour des propos tenus dans la presse, tout en visant les services de police dans une plainte pour violation du secret de l'enquête. Les courses et jeux ont la charge du contrôle administratif des casinos, mais également tout pouvoir en matière d'enquête judiciaire dans le secteur.

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Or Martine Monteil, en qualité de directrice centrale de la PJ entre 2004 et 2008, fut non seulement la patronne du même Philippe Ménard, alors en poste à la brigade financière, mais elle a aussi et surtout chapeauté les courses et jeux. "En termes de déontologie, ça pose question", tacle un syndicaliste, résumant l'état d'esprit d'une partie de l'institution. De quoi donner à son recrutement des atours d'OPA hostile à l'encontre de l'Intérieur. À tel point que, selon nos informations, son cas a été évoqué en haut lieu dans les premiers jours de 2019 avec un objectif : étudier la possibilité d'empêcher cette collaboration. Peine perdue : Martine Monteil, qui a quitté le corps préfectoral et ses dernières fonctions de secrétaire générale de la zone de défense de Paris au printemps 2013, n'a plus de comptes à rendre à l'administration.

"Faudrait-il que Martine reste chez elle à faire du tricot ?"

À l'évocation de ces péripéties, Martine Monteil ne se montre ni surprise, ni émue. "Ils sont tombés de leur chaise, dites-vous ? Il faudrait, si je comprends bien, que Martine reste chez elle à faire du tricot. Merci, mais non merci", s'agace-t-elle avant d'évoquer la litanie de ces grands flics partis avant elle pour le privé, sans susciter de battage particulier. On se souvient notamment de Christian Flaesch, ex-patron du "36", qui a pris la tête de la sécurité chez Accor, ou de Total recrutant le général Denis Favier, directeur de la gendarmerie.

Le point commun entre tous ces noms ronflants d'anciens flics de haut vol ? "Ils ont tout sacrifié à leur carrière et, c'est plus fort qu'eux, même à la retraite, il faut qu'ils bossent", tranche une autre source syndicale qui, plutôt qu'un scandale, y voit surtout une excellente opération pour le casinotier. "Ils ont embauché une facilitatrice qui parle le même langage que les autorités, doublée d'une excellente technicienne qui, pour ne rien gâcher, de Sarkozy à Squarcini, dispose de réseaux puissants", résume notre interlocuteur.

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Désormais consultante et non salariée - elle a créé son entreprise Chamar, une société par actions simplifiées, dont elle est l'unique associée, le 19 janvier 2019 - Martine Monteil facture ses interventions auprès du groupe Partouche à un tarif confidentiel et, "en tout cas, pas dans le registre de ce qui peut se pratiquer dans une boîte du CAC 40", assure-t-elle.

Une ex-super flic chez un casinotier ? "Certains jouent les étonnés", mais Martine Monteil est certaine qu'ils comprennent parfaitement : "Il y a exactement la même chose chez Barrière, et depuis des années". De fait, le principal rival de Partouche sur le marché des jeux a lui aussi fait appel à un ancien de la PJ, Roland Gauze, sans tellement faire de vagues - il est vrai que l'intéressé n'a jamais supervisé le SCCJ en tant que directeur central. "S'agissant de mon cas personnel, fin 2014, ma demande a été étudiée comme il se devait par la Commission Nationale de Déontologie, puisque je venais de prendre ma retraite", explique ce dernier à L'Express, se refusant à tout commentaire à l'égard des choix de carrière de son ancienne consoeur. "J'ai pu expliciter en détail mes futures missions, et j'ai obtenu leur autorisation avant de signer au groupe Barrière".

"Ils se parlent, mais ne se comprennent pas"

"J'ai pris mes fonctions en janvier. J'ai visité depuis un grand nombre de casinos. Je ne sais pas si je suis déjà opérationnelle, je suis perfectionniste et disons que pour le moment je suis plutôt en phase d'audit", nous confiait Martine Monteil en mars avant de préciser, un mois plus tard, qu'elle aimerait qu'on lui donne du temps avant d'être jugée sur la qualité de son travail. Pour autant, elle n'a pas attendu longtemps avant d'établir formellement le contact avec ses anciens camarades du ministère de l'Intérieur, en demandant notamment la tenue de moult réunions, comme nous le confient plusieurs sources policières. "Moi, je m'affiche, je n'ai aucune hésitation : ma mission n'est pas de rester cachée dans l'ombre, confirme-t-elle. Je suis chargée de restaurer les liens, d'assurer un dialogue constructif".

Son constat sur les rapports entre Partouche et les autorités de tutelle a le mérite de la limpidité : "Ils se parlent, mais ne se comprennent pas toujours. De ce point de vue, j'espère avoir une influence". Cette fille et petite-fille de policier estime qu'à certains égards, les choses ont pris une tournure personnelle et que ce ne sera pas réglé en six mois. "Il y a une certaine défiance entre monsieur Partouche et monsieur Ménard, il restera peut-être une cicatrice mais, pour ce qui est des rapports entre le groupe et le service des courses et jeux, je suis confiante. On va rétablir des rapports sains".

"La femme des missions compliquées"

Martine Monteil, elle, voudrait reprendre de la hauteur. Elle constate que depuis que le service central des courses et jeux a quitté le giron des Renseignements généraux (RG) pour rejoindre celui de la PJ, il y a effectivement des frictions. "Sous l'égide des RG, on était plutôt dans un registre de rapports souples, plus informels. La PJ, elle, est davantage dans l'esprit du droit pur et dur", analyse-t-elle. Et, forcément, le couperet se fait plus menaçant quand quelque chose ne va pas. "Avec Philippe Ménard, les casinotiers ont vu débouler Monsieur propre, un très bon flic, opiniâtre, pointilleux, issu de la très rigoureuse brigade financière", complète un spécialiste des arcanes policières.

Loin d'être échaudée par ce terrain dégradé dont elle doit faire son jeu, Martine Monteil y verrait presque une forme de continuité au regard de sa longue carrière policière. "Vous savez, à la PJ, j'ai longtemps été la femme des missions compliquées. Quand j'ai repris la "crim'" en 1996, en pleine vague d'attentats à Paris, la Brigade et les juges antiterroristes ne se parlaient quasiment plus, la défiance était à son paroxysme". Rétablir des rapports sains avec la galerie Saint-Éloi, qui fut longtemps le coeur de la justice antiterroriste au tribunal de Paris, est alors au centre de sa feuille de route.

"Oui, les rapports entre Partouche et ses tutelles se sont abîmés, mais on va réparer tout ça", jure-t-elle. "Le fait est que le groupe Partouche a longtemps cru pouvoir tout gérer en famille. Mais c'est bien d'avoir des médiateurs", explique celle qui voit dans sa propre arrivée un signal d'ouverture. Reste à convaincre son ancienne maison que tel est bien le cas.

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