Nous filons à toute allure. On nous a d’ailleurs appris à l’académie que nous avions une minute et demie pour être prêts à tout. J’avais consulté les “live maps” [carte des combats en temps réel] et je pensais qu’il ne restait plus que Marashidah à libérer, mais je découvre que c’est à Baghouz [dernière ville syrienne aux mains de l’État Islamique, libérée le 23 mars] que l’aventure se terminera. Nous nous retrouvons à notre quartier général habituel, à côté de l’hôtel désaffecté au centre de Hajine [Syrie]. Nous mangeons et buvons avec les commandants, qui nous montrent les avancées de nos troupes sur une tablette. Nous n’avons pas le temps de terminer que Marwan déboule : “Bon allez, nous on y va”, annonce-t-il au commandant de la zone. Je saisis l’occasion au vol : “Je peux les accompagner ?” Ils échangent un regard, puis Marwan acquiesce d’un signe de tête.

“Wow ! Ce coup-ci, ça a été facile”, me dis-je. Ils sont parfois un peu méfiants face aux combattants internationaux, et pour rejoindre les premières lignes, c’est souvent la croix et la bannière. L’incursion est fixée au lendemain soir.

Je regarde mes camarades : beaucoup sont très jeunes, frais émoulus de l’académie, quelques gamins arabes ont les yeux soulignés de khôl et une longue mèche sur le front qui rappelle les coiffures “emo” qui étaient à la mode il y a quelques années. Un autre a enfilé un masque à gaz et une hachette dépasse derrière son dos. Tous partagent une certaine esthétique, en dépit de leurs uniformes de bric et de broc et de leurs keffiehs de différentes couleurs. Nous ressemblons à l’“armée de Brancaleone” [d’un film comique italien qui décrit une petite armée médiévale complètement désorganisée] : nous sommes si beaux ! En tant qu’unité de “volontaires”, nous n’avons pas la discipline et la rigueur caractéristiques des tabûr [bataillons d’infanterie de 20 à 30 hommes], mais alors que ces garçons vont se battre contre des gens implacables, organisés et souvent formés en Occident, aucun ne laisse paraître le moindre signe de peur. Ils affichent un moral d’acier : ils chantent, ils dansent, ils boivent des hectolitres de chai [thé].

“De temps à autre, on se prend une roquette.”

À la tombée de la nuit, nous nous regroupons tous, avec nos Humvee [véhicule de l’armée américaine] et nos DShK [mitrailleuses lourdes antiaériennes], devant un grand sillon creusé par un bulldozer. Au-delà de cette ligne, toute la zone est tenue par Daech. À chaque pâté de maisons, nous descendons et nous tirons de