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Billet de blog 6 avril 2019

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La coupe afro de Sibeth Ndiaye: le long combat contre les normes dominantes

Parce que Sibeth Ndiaye a porté une robe à fleurs et ses cheveux afro le jour de sa prise de fonction comme porte-parole du gouvernement, elle a essuyé un torrent de commentaires misogynes et racistes sur les réseaux sociaux. Par sa tenue et sa coiffure, elle déprécierait les fonctions officielles qui sont désormais les siennes. Femme, qui plus est femme noire, elle ne serait pas digne de la République.

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Parce que Sibeth Ndiaye a porté une robe à fleurs et ses cheveux afro le jour de sa prise de fonction comme porte-parole du gouvernement, elle a essuyé un torrent de commentaires misogynes et racistes sur les réseaux sociaux. Le reproche qui lui a été le plus communément fait est, que par sa tenue et sa coiffure, elle dépréciait les fonctions officielles qui sont désormais les siennes. Ce qui revient à dire qu’en osant être simplement ce qu’elle est, une femme, qui plus est une femme noire, elle n’était pas digne de la République.

Illustration 1
Sibeth Ndiaye

Sibeth Ndiaye n’est pourtant pas la première femme ministre noire à porter ses cheveux tels que la nature les lui a donnés. Mais Christiane Taubira disciplinait son afro en de fines nattes terminées par un strict chignon. Le racisme particulièrement odieux dont elle a été la cible a pris appui ailleurs. Quant à Georges Pau-Langevin, deux fois ministre sous Hollande, elle portait l’afro très court, ce qui, pour un œil non averti, en rendait  le caractère crépu moins perceptible. Sibeth Ndiaye, elle, a choisi de laisser libre cours à la luxuriance de sa chevelure non homologuée d’origine européenne. Et, qu’elle le veuille ou non, cela a un sens qui va bien au delà d’une simple question capillaire.

Au même titre que la peau noire, le cheveu crépu est devenu avec la mise en esclavage des Africains un stigmate racial. Sans doute parce qu’avec la couleur, c’est ce qui fait le plus fortement différence avec le Blanc. A contrario, obtenir des cheveux lisses est depuis plusieurs siècles, et pour des millions de personnes noires, un objectif en soi. Ce n’est pas un hasard si les premières fortunes afro-américaines se sont bâties au début du vingtième siècle sur la commercialisation de produits et techniques de défrisage. Pas un hasard non plus si partout dans le monde les femmes noires, et parfois les hommes, n’ont de cesse de masquer la nature réelle de leurs cheveux.

Il ne s’agit pas seulement de l’incorporation d’une norme esthétique dominante, mais aussi d’une réalité sociale. Aujourd’hui encore, il est plus facile lorsqu’on est noir et qu’on vit dans un pays occidental de trouver du travail, d’être accepté socialement, si on a le cheveu lisse. Souvent ce n’est même pas une question de choix, mais d’obligation. Nombre d’environnements professionnels exigent une coiffure « classique » qui exclut de fait les cheveux crépus ou trop ostensiblement frisés. Les vraies questions seraient plutôt : pourquoi une norme érigée à partir des spécificités physiques d’un groupe ethnique particulier devrait avoir valeur d’universel ? Pourquoi faudrait-il faire blanc pour affirmer une certaine réussite sociale ?

C’est cela sans doute qui agace autant chez Sibeth Ndiaye. Elle ne s’excuse pas d’être noire dans un milieu politique majoritairement blanc. Elle ne fait même pas l’effort d’offrir aux Français «bon teint » des gages visibles d’assimilation. Elle déboule là où on ne l’attendait pas, telle qu’en elle-même, avec son « premier pays », le Sénégal, auquel elle se réfère explicitement, sa naturalisation toute récente, son afro, ses tenues colorées et son franc-parler. Mais elle le dit elle-même, ses parents sénégalais lui ont appris que « là où tu es, tu es à ta place. » Et sa place elle la prend.

Croyant la défendre, certains, y compris au sein du gouvernement, ont joué la carte de la méritocratie, réitérant sans s’en rendre compte le même type d’infériorisation sociale que ceux qui l’attaquaient. «Parier avec Sibeth sur une nana de moins de 40 ans, noire, pas née en France, c’est couillu et ça veut dire quelque chose en termes d’égalité des chances.», nous apprend ainsi un conseiller ministériel cité par Libération. Si ce n’est que Sibeth Ndiaye vient d’une grande famille, rompue à l’exercice du pouvoir, avec un père qui a été député et une mère, haute magistrate, qui a présidé le Conseil Constitutionnel du Sénégal. C’est une immigrée, peut-être, mais fille de cette bourgeoisie africaine qui a les moyens d’envoyer ses enfants étudier en Europe ou en Amérique. Sa réussite n’est pas celle d’un système, mais d’une personne. 

En cela, l’afro de Sibeth Ndiaye n’a rien de révolutionnaire. Il n’est pas à ranger du coté de celui d’Angela Davis et des militants des droits civiques noirs américains des années 60, quand le simple port d’une telle coiffure vous désignait comme dangereux gauchiste auprès de la police. Il est juste le signe d’une nouvelle génération, à l’aise dans ses origines multiples, muticulturelle, afropéenne comme dirait l’écrivaine Léonora Miano.

De la même façon, cette nomination, si elle montre l’absence de préjugés du Président qui l’a choisi, ne fait pas système. Sous la présidence de Macron les lois en matière d’immigration se sont encore durcies. Et s’il n’y a jamais eu autant de députés non blancs sous la 5è République (post indépendances africaines) qu’avec LREM, la « diversité » ou plutôt l’inclusion des minorités ethniques n’a jamais autant été un non sujet politique.

Il n’en reste pas moins que Sibeth Ndiaye, son afro et sa robe à fleurs, constituent un signal réjouissant pour de nombreuses femmes noires, et pour tous ceux qui refusent de voir la République confisquée par des idéologies rances.

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