Qui se souvient encore de Slavko Curuvija ? Ce journaliste serbe, une icône de l’opposition au régime de Slobodan Milosevic, a été tué par balles le 11 avril 1999, le jour de la Pâque orthodoxe, en plein jour, devant son appartement à Belgrade et sous les yeux de compagne. En ce printemps-là, l’Alliance atlantique (Otan) menait une campagne de bombardements contre la Serbie pour faire cesser la répression menée au Kosovo, province à majorité albanaise qui a depuis proclamé son indépendance.

Presque 20 ans plus tard, la justice serbe a condamné en première instance le 5 avril quatre anciens responsables et membres des services de renseignement à des peines entre 20 et 30 ans de prison.”Cent ans pour le meurtre de Curuvija”, titre le quotidien pro-gouvernemental Politika de Belgrade en faisant le décompte : Radomir Markovic, chef des renseignements serbes à l’époque du régime de Milosevic, a été condamné à 30 ans ; Milan Radonjic, ex-chef de la police spéciale à Belgrade, a été condamné à 30 ans, l’agent spécial Ratko Romic a lui écopé de 20 ans de prison ; le quatrième inculpé, son complice Miroslav Kurak, qui est en fuite et fait l’objet d’un mandat d’arrêt international, a été condamné par contumace à 20 ans de prison.

Opération “Curan”

Ce verdict est la première sentence prononcée pour l’assassinat d’un journaliste en Serbie, poursuit le journal. Slavko Curuvija dirigeait à l’époque deux publications indépendantes, Dnevni Telegraf et Evropljanin.

Le quotidien populaire Blic, également proche du gouvernement actuel d’Alexandar Vucic, revient longuement sur cet assassinat spectaculaire qui avait marqué tous les esprits en Serbie et suscité l’indignation des organisations de défense de la liberté de la presse. Dix-sept balles ont été tirées au total sur le journaliste d’un PM Skorpion de fabrication tchèque. Une équipe d’une trentaine de personnes de la DB, les services secrets de Slobodan Milosevic, était en charge de l’opération qui avait pour nom de code “Curan”, le surnom donné par les “services” à l’opposant du régime.

Ce verdict a été prononcé par une cour spéciale de Belgrade et peut faire l’objet d’un appel. “Il a fallu 20 ans pour que la vérité éclate sur ce crime commis par la machine monstrueuse de répression mise en place par Milosevic”, poursuit Blic.

Quid du commanditaire ?

Le paradoxe voudra qu’à cette époque, le ministre de l’Information était un certain Alexandar Vucic, successivement Premier ministre puis Président de la Serbie démocratique, qui aspire aujourd’hui à rejoindre l’Union européenne.

La famille du journaliste a toujours affirmé que Slavko Curivija avait été tué sur ordre direct de Slobodan Milosevic, ou de son épouse Mira. Peu avant son assassinat, Slavko Curuvija s’était déplacé à Washington et à Paris où il avait témoigné sur la répression exercée par le régime sur ses opposants, notamment la presse indépendante. Il avait, à cette dernière occasion, visité les locaux de Reporters sans frontières (RSF) et fait connaissances avec l’équipe chargée de suivre l’actualité serbe.

Vendredi, une porte-parole de l’organisation a salué depuis Paris le verdict du tribunal, une “décision symbolique qui témoigne d’un engagement fort des autorités serbes en faveur du respect de l’Etat de droit et de la lutte contre l’impunité”. “La justice doit néanmoins poursuivre ses efforts et condamner toutes les personnes impliquées, notamment le commanditaire de l’assassinat de Slavko Curujiva”, a-t-elle ajouté.

La juge Snezana Jovanovic a, en lisant le verdict, expliqué que les quatre hommes ont été déclarés coupables d’avoir “sur ordre d’une personne inconnue tué le journaliste Slavko Curuvija”, précise l’agence serbe Beta. L’agence de presse de Belgrade rapporte également la réaction de la fille du journaliste, Jelena, qui estime que “le pouvoir de l’époque et, notamment, son ministre de l’Information”, portent la responsabilité de l’assassinat de son père.