Julia, agressée à Paris, sort la transphobie de l'ombre

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Par Alexandre HIELARD - Paris (AFP)
Publié le 05 avril 2019 - 16:55
Mis à jour le 06 avril 2019 - 10:10
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Julia, le 4 avril 2019, femme transgenre insultée et frappée à Paris
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© Martin BUREAU / AFP
Julia, le 4 avril 2019, femme transgenre insultée et frappée à Paris
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L'agression massivement relayée sur les réseaux sociaux de Julia, femme transgenre insultée et frappée dimanche à Paris, a jeté une lumière crue sur le quotidien des personnes trans, fait de violences et de discriminations.

"Toutes ces personnes unies pour m'humilier, je ne comprenais pas, ça avait un côté surréaliste" : quelques jours après les faits, Julia, 31 ans, se relève progressivement du "choc psychologique".

Vers 20H00, le rassemblement place de la République contre le président algérien Abdelaziz Bouteflika bat son plein, quand la jeune femme fend la foule, en majorité masculine, et s'engage dans l'entrée du métro.

Trois hommes lui barrent alors la route : "l'un m'a dit, +toi, tu es un homme+, et m'a attrapé le bras. Un autre a dit +mais tu as des seins!+ puis m'a touché la poitrine, je l'ai repoussé". Elle rebrousse chemin quand le troisième homme exhibe son sexe, lui tient des propos obscènes et la gifle : "tout le monde rigolait, j'ai reçu de la bière de personnes qui étaient au-dessus", raconte-t-elle dans un entretien à l'AFP.

En haut de l'escalier, un homme s'approche et lui ébouriffe vigoureusement les cheveux. "Je lui ai dit dans les yeux +tu ne me fais pas peur"+ et c'est là qu'il s'est mis à me frapper".

La scène est filmée par un témoin dont la vidéo, abondamment partagée sur Twitter, suscite l'émoi ainsi qu'une vague de soutiens, dont celui de la maire de Paris Anne Hidalgo et de la secrétaire d'Etat à l'égalité femmes-hommes, Marlène Schiappa.

La jeune femme, originaire de Toulouse, n'avait pas l'intention de porter plainte : "je pensais, comme toutes les victimes, qu'il ne se passerait rien sans preuves". La vidéo change tout et lui donne "l'opportunité" de parler des personnes trans.

"On vit cachée, on n'a aucune visibilité, ni en politique, ni dans les médias. C'est méconnu, ce n'est pas compris, ça peut faire peur aussi", explique Julia, qui a débuté sa transition il y a seulement cinq mois, après des années à refouler sa féminité. "On se réveille pas un matin en se disant, +et si je devenais une femme?+", dit-elle. "On veut juste pouvoir vivre dans le corps qui nous correspond."

- "Sommet de l'iceberg" -

Tournée des plateaux radio et télé, Une du quotidien Libération : Julia se lance dans un marathon médiatique. "Si je peux donner de la force à des personnes qui se sentent comme moi, s'assumer pleinement et leur permettre d'avancer, ce sera une belle victoire", explique-t-elle.

Son agression est venue rappeler l'âpreté du quotidien des personnes transgenres.

Sociologues spécialistes des questions liées à l'identité sexuelle, Arnaud Alessandrin et Johanna Dagorn viennent de terminer une enquête sur les actes LGBTphobes à Bordeaux, fondée sur 1.600 réponses.

"80% des personnes trans disent être stressées et inquiètes dans la rue, contre 40% en moyenne pour les gays, les bis et les lesbiennes, et plus de 20% déclarent des agressions physiques, viols ou tentatives de viol sur les douze derniers mois", observe le chercheur.

Les violences touchent davantage les femmes, "comme si le fait d'avoir quitté le statut d'homme était une injure à la virilité, la masculinité et l'hétérosexualité", souligne-t-il, tout en se félicitant de l'indignation soulevée par l'agression de Julia : "cette diminution du seuil de tolérance à la transphobie est assez inédite en France".

"Ce n'est que le sommet de l'iceberg", juge Clémence Zamora-Cruz, porte-parole de l'Inter-LGBT (lesbienne, gay, bi, trans). "Tout le monde s'indigne, mais il faut s'indigner avec la même force pour toutes les autres discriminations", ajoute-t-elle.

Elle pointe du doigt "les juges qui continuent de réclamer des preuves médicales" pour valider un changement d'état civil, ce qui est interdit par la loi depuis 2016, "les psychiatres qui décident d'accorder ou non un traitement hormonal", alors que la transidentité n'est plus considérée par l'Organisation mondiale de la santé comme une maladie mentale depuis 2018, ou "les policiers qui questionnent les victimes d'actes transphobes sur leur identité de genre", décourageant les dépôts de plaintes.

"Nous avons une transphobie institutionnelle qui cautionne la transphobie du quotidien", dénonce Giovanna Rincon, porte-parole de la Fédération trans et intersexes, appelant les responsables politiques à ne pas se contenter d'"un message sur Twitter".

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