LITTÉRATURE - Le 4 juin 1989, Liao Yiwu commet le “crime” de raconter dans un poème l’horrible massacre survenu sur la place Tian’anmen. Quelques mois plus tard, il est arrêté par les autorités chinoises et passe quatre ans au “laogai”, équivalent chinois du goulag soviétique. Il y survit aux côtés d’autres milliers de prisonniers politiques dans des conditions plus que difficiles, entre faim, violence et travail forcé.
Depuis la fin de son incarcération en 1994, l’écrivain et poète n’a jamais été tranquille. Il ne compte plus les perquisitions, les citations à comparaître et les gardes à vue dont il a été la cible, entraînant à chaque fois la saisie par la police de tous ses manuscrits longs de milliers de caractères. Après une vingtaine d’années d’insécurité et de censure, Liao Yiwu a fui son pays pour l’Allemagne, où il réside depuis 2011. Il n’a de cesse, depuis, de raconter ce qui s’est vraiment passé à Tian’anmen en 1989, faisant de lui “l’auteur le plus lu clandestinement” d’après les mots de son éditeur.
Alors qu’il publie une série de témoignages des ”émeutiers” (un terme utilisé par le gouvernement chinois) de Tian’anmen dans le livre Des balles et de l’opium, paru le 3 avril en France, Liao Yiwu est revenu sur son parcours pour Le HuffPost, dans une vidéo à voir en tête de notre article.
"Être sur la liste noire, c'est être considéré comme un ancien prisonnier politique. Vous recevez régulièrement la visite des policiers. Tout le monde s'écarte de vous, vous êtes comme pestiféré"
Il revient notamment sur les conditions de vie des artistes placés sur la liste noire des dissidents selon les autorités chinoises: “J’étais considéré comme un ancien prisonnier politique, une catégorie sociale qui est très particulière. Cela veut dire que chez vous, vous recevez régulièrement la visite des policiers. Tout le monde s’éloigne de vous, vous êtes comme pestiféré. Vous ne pouvez pas revenir à une vie normale. Alors j’ai fréquenté les bas-fonds de la société”.
D’après Liao Yiwu, la situation en Chine n’a pas beaucoup changé trente ans plus tard. Bien au contraire. Aujourd’hui les technologies d’intelligence artificielle et de vidéosurveillance facilitent la censure des autorités. “Le gouvernement totalitaire veut absolument tout contrôler avec ses caméras, ses instruments de surveillance, ses policiers en civil, raconte Liao Yiwu, Le pouvoir pense que la population pourrait à nouveau se répandre sur la place Tian’anmen et demander la démocratie, et il a terriblement peur de cela.”
Le leurre des réseaux sociaux
Lorsqu’on l’interroge sur le rôle des réseaux sociaux dans la libération de la parole, l’écrivain de 60 ans évoque un leurre. “En fait, les réseaux sociaux n’ont pas servi à grand-chose. C’était une mise en scène à laquelle les politiciens et les entreprises étrangères ont fait semblant de croire. C’était une façon de tromper le monde. Mais la dictature et le totalitarisme se sont ancrés encore davantage en Chine”, explique Liao Yiwu qui en appelle ”à l’Europe, qui ne doit pas hésiter à résister à la dictature à tout prix”.
“Sinon ce sont les Chinois qui triompheront et arriveront à maîtriser les flux de l’information, des hommes et des technologies partout à travers le monde”, prévient l’écrivain.
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