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Élections turques : sept choses à apprendre du scrutin 

L’AKP d’Erdoğan a été durement touché par les répercussions du chancèlement de l’économie lors d’élections qui ont prouvé la résistance de la démocratie turque
Deux femmes passent devant un portrait de Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne, en allant voter à Istanbul (AFP)
Par Ragip Soylu à ANKARA, Turquie

Les résultats des élections locales turques semblent avoir porté un coup au parti au pouvoir, le Parti de la justice et du développement (AKP) du président turc Recep Tayyip Erdoğan. Mais qu’avons-nous appris d’autre de ces résultats ?

1. L’économie a influencé les votes

Même si Erdoğan a conservé son emprise sur la majorité des voix, avec plus de 51 % des électeurs soutenant son « Alliance populaire » entre l’AKP et l’ultra-nationaliste Parti d’action nationaliste (MHP), il a subi d’énormes pertes dans les métropoles.

Des gens font la queue pour acheter des légumes à Ankara. Les prix ont grimpé en flèche au cours de l’année écoulée (AFP)

Une majorité d’électeurs ont cité le chômage et la hausse du coût de la vie comme leurs principales préoccupations, selon un sondage publié par la Fondation pour la social-démocratie (SODEV) publié en mars.

L’économie turque est officiellement entrée en récession, les prix des denrées alimentaires ayant augmenté de 20 % environ en janvier par rapport à l’année précédente.

2. Ankara et Istanbul changent de mains

Pour la première fois depuis 1994, le principal parti d’opposition, le CHP (Parti républicain du peuple), semble avoir remporté les deux villes les plus importantes de Turquie, bien que les résultats officiels ne soient pas encore publiés. Le CHP pourrait avoir remporté Istanbul, où plus de huit millions de personnes ont voté, avec une marge équivalente à un petit stade de football.

Ekrem İmamoğlu (CHP) devrait être le prochain maire d’Istanbul (AFP)

Ankara et Istanbul étaient auparavant contrôlées par des maires membres de partis conservateurs affiliés à Erdoğan. Erdoğan a lui-même été maire d’Istanbul de 1994 à 1998 et c’est une fonction qui l’a propulsé vers une notoriété nationale.

Bien sûr, pour l’opposition qui s’empare de ces municipalités, cela signifie également prendre le contrôle de budgets municipaux s’élevant à des milliards de dollars et des milliers d’employés, créant potentiellement de nouveaux centres de pouvoir dans la société turque.

3. Les Kurdes sont les faiseurs de roi, mais ils perdent certaines villes

La décision du Parti démocratique des peuples (HDP) pro-kurde de ne pas présenter de candidats dans l’ouest et le sud de la Turquie a eu des résultats significatifs. Les votes kurdes seront probablement déterminants pour la réussite des candidats du CHP, Ekrem İmamoğlu et Mansur Yavaş, respectivement à Istanbul et à Ankara.

Le vote kurde a également joué un rôle crucial pour l’opposition puisqu’elle a remporté Adana, Mersin et Hatay. Toutefois, le HDP a perdu cinq villes dans le sud-est de la Turquie, à majorité kurde, dans le cadre de la répression exercée par le gouvernement sur sa base.

Les partisans du HDP font la fête à Diyarbakır (Reuters)

Selon des analystes, les Kurdes de Turquie ont partiellement pris leurs distances par rapport au HDP alors que ses dirigeants ont exprimé leur sympathie pour la campagne de guerre urbaine menée par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) il y a trois ans.

Des habitants ont affirmé à MEE que les maires HDP étaient impliqués dans des affaires de corruption et n’avaient pas fourni les services de base. Beaucoup estiment que les administrateurs nommés par le gouvernement turc, qui ont repris presque toutes les municipalités HDP en 2016, ont fourni de meilleurs services.

4. Erdoğan a perdu gros dans les zones densément peuplées

Les tensions entre zones urbaines et zones rurales ont continué de nuire aux chances électorales d’Erdoğan. L’alliance dirigée par Erdoğan a perdu de grandes villes comme Antalya, Adana, Mersin et Hatay. Dans plusieurs villes, comme Balıkesir et Bursa, l’alliance gouvernementale n’a su s’imposer qu’avec une faible marge.

Les partisans du CHP font la fête à Istanbul (AFP)

Depuis le référendum constitutionnel de 2017, le gouvernement turc a subi des pertes croissantes dans les métropoles. L’opposition contrôle désormais la moitié des vingt villes les plus peuplées du pays.

5. Les communistes gagnent du terrain à l’est

Alors que l’attention se concentrait sur le comptage serré des votes à Istanbul, dans la ville de Tunceli à l’est, les électeurs ont élu le premier maire communiste du pays. 

Les communistes turcs défilent à Istanbul en 2017 (AFP)

Le candidat du Parti communiste turc (TKP), Fatih Maçoğlu, avec sa grosse moustache distinctive, était déjà connu des électeurs comme maire de district à Tunceli. Son élection est également intéressante à observer car il s’est présenté contre le HDP pro-kurde – et l’a vaincu.

Maçoğlu a promis une administration transparente et diligente qui ne ferait aucune discrimination entre les citoyens. Alper Taş, autre homme politique communiste du CHP, s’est opposé à l’AKP dans le district de Beyoğlu à Istanbul et a perdu de peu.

6. Une majorité soutient toujours Erdoğan

Plus de 51 % des électeurs ont préféré l’alliance électorale d’Erdoğan à celle de l’opposition. Le résultat est en accord avec les données de l’élection présidentielle de l’année dernière et suggère que, même après une récession économique majeure et avec un taux de chômage croissant, Erdoğan est toujours très populaire au sein de son électorat.

Erdoğan a voté dimanche à Istanbul (AFP)

Ceci est en partie dû à la stratégie d’Erdoğan consistant à faire campagne 50 jours avant les élections dans plus de 50 provinces. À cet égard, les observateurs ont remarqué la décision d’Erdoğan de ne s’adresser à la foule qu’à Ankara, accompagné uniquement de son épouse.

Erdoğan devrait maintenant procéder à un important remaniement du gouvernement alors qu’il promet un programme de réforme économique en faveur des entreprises.  

7. La démocratie turque résiste encore

Malgré un bilan turc en matière de liberté de la presse, des droits de l’homme et du développement démocratique qui a fait l’objet de vives critiques de la part de groupes de défense des droits de l’homme et de militants tant dans le pays qu’à l’étranger, le peuple turc continue de bénéficier du principe fondamental de la démocratie : des élections libres.

Une femme vote à Ankara, dimanche (AFP)

L’opposition a connu un succès considérable dans les grandes villes et a montré qu’il était possible de battre Erdoğan, acteur politique dominant du pays depuis un demi-siècle et gagnant en série d’élections, par le biais des urnes.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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