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EXCLU JDD. Carole Ghosn : "Tout le monde a lâché Carlos"

INTERVIEW - Le Journal du dimanche a pu s'entretenir longuement avec Carole Ghosn, femme de l'ancien patron de Renault. Elle décrit un homme "fier" et "digne".

Bruna Basini, Hervé Gattegno , Mis à jour le
Carole Ghosn, samedi, à Paris
Carole Ghosn, samedi, à Paris © Eric Dessons/JDD

Elle est arrivée à Paris hier matin, après deux jours d’angoisse et une nuit passée dans l’avion. Jeudi à Tokyo, au Japon, l'ancien patron de Renault-Nissan Carlos Ghosn a été arrêté sous ses yeux et conduit une nouvelle fois en prison. Décidée à défendre son mari, qu’elle dit victime d’un "coup monté" et "lâché par tout le monde", Carole Ghosn a longuement reçu le Journal du dimanche. Elle proclame son innocence et en appelle au président de la République, Emmanuel Macron.

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Vous avez quitté Tokyo quarante-huit heures après l’arrestation de votre mari. Pourquoi?
Je me suis sentie en danger. J’ai attendu de savoir si Carlos allait rester en prison ou s’il pouvait sortir vite. Quand j’ai compris et que les avocats m’ont dit que je ne pourrais plus communiquer avec lui pendant des jours, j’ai pris ma décision. Jeudi soir, j’ai dormi chez des voisins, sur un sofa. La police japonaise m’avait pris mon passeport libanais mais il me restait mon passeport américain. Vendredi soir, l’ambassadeur de France m’a accompagnée à l’aéroport, il ne m’a pas lâchée jusque dans l’avion. J’ai cru revivre la scène du film Argo, jusqu’à la dernière seconde je ne savais pas si on me laisserait décoller. C’était irréel.

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Je me suis sentie humiliée

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Avez-vous été choquée par les conditions de sa nouvelle arrestation?
Les procureurs et la police ont sonné à la porte à 6 heures moins dix du matin. Ils étaient au moins vingt pour l'arrêter et fouiller un deux-pièces de 50 mètres carrés. Dès qu'ils sont entrés, ils nous ont ordonné de débrancher la caméra de surveillance qui était dans la pièce – c'est la justice japonaise qui nous a obligés à l'installer pour contrôler nos faits et gestes, mais eux ne voulaient pas être filmés. Carlos a dit qu'il ne voulait pas y toucher, alors ils ont mis du papier sur l'objectif. Pendant la perquisition, ils m'ont suivie à chaque pas. On m'a fouillée plusieurs fois – j'étais en pyjama, je ne vois pas ce que j'aurais pu cacher! Une femme m'a suivie jusque dans ma douche, jusqu'aux toilettes. Je me suis sentie humiliée.

Ont-ils saisi des documents?
Oui, et ils ont pris mon ordinateur – Carlos n'avait pas le droit d'en avoir un –, ma tablette, mes téléphones. Je les ai suppliés de m'en laisser un. Je leur ai dit : "Je ne parle pas japonais, je ne connais personne ici, je dois pouvoir joindre mes enfants." Ils n'ont rien voulu savoir. Ils ont tout retourné pendant trois heures, ils ont photographié mes cartes de crédit. Quand ils ont voulu me faire signer un mandat en japonais, j'ai refusé. Puis ils ont voulu m'emmener avec eux. Sur le conseil de mon avocat, j'ai refusé.

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Les avocats nous ont dit qu'une telle chose n'arrivait jamais

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Comment a réagi Carlos Ghosn?
Il est resté fier, la tête haute, digne et calme. Mais je voyais de la peine dans ses yeux. Il s’inquiétait pour moi plus que pour lui. Il est d’une force incroyable. Au moment de partir, il a voulu emporter un livre, ils ont dit non ; il a essayé de prendre du chocolat, ils ont dit non. Moi j’étais indignée, je demandais pourquoi. Ils répondaient : "This is Japan, this is our law [nous sommes au Japon, c’est la loi]." Il m’a embrassée, il m’a dit "je t’aime" et ils l’ont emmené. Moi, j’étais paniquée, j’arrivais à peine à respirer.

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Vous vous attendiez à un tel rebondissement?
Les avocats nous ont dit qu'une telle chose n'arrivait jamais. Il a été libéré contre une caution de 8 millions d'euros et il a respecté tout ce qui lui était imposé, il n'y avait aucune raison, sauf si on voulait le faire taire. Mercredi, un grand journal japonais a dit qu'il allait être arrêté. On ne s'attendait pas à ce qu'ils arrivent aussi vite. La presse, oui : jeudi, dès l'aube, les journalistes étaient devant notre immeuble.

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J'en appelle au président de la République

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Vous dites que les procureurs voulaient le faire taire. Qu'entendez-vous par là?
Il préparait une conférence de presse qui devait avoir lieu le 11 avril. On avait réservé une salle au Foreign Press Club de Tokyo. Quand il a compris qu'il allait être arrêté, il a enregistré une interview par Skype pour TF1 et LCI . Il a aussi enregistré une vidéo en anglais où il donne sa version de l'affaire. Il avait envie de désigner les responsables de ce qui lui arrive. Ce sont les avocats qui l'ont, elle sera diffusée bientôt.

Vous sentez-vous soutenue par la France?
Non. Je ne veux pas que mon mari soit au-dessus des lois mais qu’il soit jugé de façon équitable. Je sais qu’il est innocent. Je demande solennellement qu’on lui laisse la présomption d’innocence comme à tout citoyen français et j’en appelle au président de la République. Dans les médias, Carlos est déjà coupable. On oublie ce qu’il a fait pour Renault et Nissan ; il a redressé ces entreprises, sauvé des emplois, contribué à la grandeur de la France. Tout ça, on l’oublie. On ne parle plus que de son salaire, on le décrit comme un homme assoiffé d’argent. Au Liban, où je suis née, on admire les hommes d’exception. Carlos est parti de rien, sa famille n’était pas riche. Je suis choquée par les réactions en France. Tout le monde l’a laissé tomber, par lâcheté, y compris les patrons. Ça me dégoûte.

Peut-être qu'ils font quelque chose mais moi, je ne vois rien

Vous aviez écrit à Emmanuel Macron. Vous a-t-il répondu?
Il m'a répondu gentiment, mais après deux semaines de silence, pour me dire qu'il faisait tout ce qui est possible pour mon mari. Depuis, quand j'appelle son secrétaire général ou lui envoie des SMS, rien. Peut-être qu'ils font quelque chose mais moi, je ne vois rien. Il y a quelques années, Barack Obama voulait faire venir Carlos pour redresser General Motors. On lui offrait le double de son salaire chez Renault-Nissan! Je lui ai dit : "Pourquoi tu n'y vas pas?" Il m'a répondu : "Je suis loyal." Il aimait ses entreprises et leurs salariés. Il voulait mener l'alliance jusqu'au bout.

Comment avez-vous vécu pendant ses quelques semaines de liberté depuis le 6 mars?
On a été si heureux de se retrouver après tout ce temps. On a eu du mal à trouver un logement. La justice a exigé qu'il ait un domicile à Tokyo, mais aucun Japonais n'a voulu nous louer un appartement – ils avaient peur de la ruée des journalistes. C'est une Française qui a accepté. La presse a parlé d'un appartement luxueux : c'est un deux-pièces dans le quartier de Shibuya. Le 6 mars, quand il est sorti de prison, il lui a fallu six heures pour arriver jusque-là. Il avait son déguisement d'ouvrier – c'était l'idée de l'avocat, lui aurait préféré un costume –, il s'est couché par terre dans un taxi. Il y avait cinq voitures identiques pour égarer les journalistes qui le suivaient, il était dans la quatrième. Les chaînes de télé japonaises avaient des hélicoptères qui filmaient depuis le ciel. Quand je l'ai retrouvé, il m'a dit qu'il était heureux de pouvoir prendre une douche chaude sans avoir à se presser.

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Sans la notion du temps qui passe, il était désorienté

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Vous a-t-il décrit ses conditions de détention?
Le plus dur pour lui, c'était quand on l'enfermait à clé le vendredi après-midi jusqu'au lundi matin. Il se retrouvait seul sans un bruit, sans lumière du jour, dans une cellule mal chauffée, avec une lampe en permanence. Tous les jours, un procureur venait l'interroger pendant des heures. Au début, il dormait par terre, ensuite il a eu droit à une sorte de banquette – les Japonais appellent ça un "lit à l'occidentale". La première semaine, il a perdu dix kilos. Il a eu de la fièvre, les médecins se sont inquiétés. Il était privé de ses médicaments pour le cœur ; seuls les médicaments japonais sont autorisés. On lui a aussi confisqué sa montre. Sans la notion du temps qui passe, il était désorienté.

A-t-il exprimé des regrets, par exemple sur sa façon de diriger ses entreprises?
Il a eu des résultats extraordinaires, pourquoi aurait-il eu des regrets? La seule chose, c'est qu'il ne pouvait pas être assez présent, c'est pour ça qu'il n'a pas vu venir le coup monté qui se préparait contre lui. À son arrivée à Tokyo le 19 novembre, les procureurs sont venus le prendre dans l'aéroport en prétextant qu'il y avait un problème avec son visa. Il ne s'est pas méfié, et ils l'ont jeté en prison sans même l'avoir interrogé.

A-t-il pu prendre connaissance des charges retenues contre lui?
À ma connaissance, il n'a vu aucun document, en tout cas aucune preuve.

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Carlos a toujours été attentif aux autres, c'est le contraire d'un homme arrogant

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Songeait-il parfois à sa vie après Renault-Nissan?
Oui, il voulait devenir professeur, donner des conférences, aider les jeunes. S'investir dans l'éducation.

On a beaucoup parlé de votre train de vie, était-il fastueux?
Cette description est fausse. Carlos a toujours été attentif aux autres, c'est le contraire d'un homme arrogant. Chez Nissan, il a imposé des quotas pour promouvoir les femmes. Il donnait son temps et son attention, même à un simple employé. Sa vie n'a jamais été facile. Il travaillait énormément, dormait peu, passait cent jours par an dans des avions.

Êtes-vous inquiète pour l'avenir?
Je redoute un procès inéquitable. Je me demande comment tout ça va finir. Quand j'ai connu Carlos, il m'a dit : "Je vais t'offrir une vie excitante." Il y a quelques jours, il m'a demandé pardon en souriant parce qu'il ne pensait pas à ce genre d'aventure! C'est un homme fier et courageux. Il ne se laissera pas abattre.

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