Sibeth Ndiaye : «Après le grand débat, rien ne sera comme avant»

Nommée il y a une semaine porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye a répondu aux questions de nos lecteurs. Elle s’explique sur son parcours politique, les réformes, le grand débat.

 Paris (XV), le 5 avril. Sibeth Ndiaye, la toute nouvelle porte-parole du gouvernement.
Paris (XV), le 5 avril. Sibeth Ndiaye, la toute nouvelle porte-parole du gouvernement. LP/Olivier Arandel

    Elle arrive au siège du journal, de rouge vêtue, accompagnée de ses trois conseillères. En avance sur l'horaire et totalement disponible. « Je resterai le temps qu'il faut », glisse Sibeth Ndiaye, la toute nouvelle porte-parole du gouvernement. La carte maîtresse du mini-remaniement décidé la semaine dernière par Emmanuel Macron - une femme, jeune et noire- affiche un large sourire qui laisse apercevoir un piercing discret sur la langue. Rien à voir avec Benjamin Griveaux, son prédécesseur à cette fonction aussi stratégique qu'exposée, toujours bien sanglé dans un costume-cravate.

    L'exercice n'est pas simple pour celle qui était jusqu'alors la conseillère « communication » du chef de l'Etat. Cette « marcheuse » de la première heure, de « 39 ans et demi », plus habituée à l'ombre qu'aux micros et aux projecteurs, répond, néanmoins, sans hésitation aux questions personnelles posées par des panélistes curieux. Avec naturel, elle avoue travailler beaucoup plus à ce nouveau poste.

    Quant au message politique, pas de surprise. Si le « parler vrai » qu'elle revendique abondamment est audible, c'est plus dans la décontraction du langage que sur le fond du discours… Elle maîtrise parfaitement la langue de bois. Mais peut-on s'attendre à autre chose de la part d'une porte-parole du gouvernement ?

    Des Gilets jaunes à la fiscalité, de la réforme des retraites à la sortie du grand débat, de l'avenir de l'Europe à celui des maternités, la porte-parole a travaillé ses dossiers. « Elle est très pédagogue. C'est comme cela que les ministres devraient s'adresser aux Français », estiment plusieurs participants au panel, très réceptifs aux différentes pistes exposées clairement par la ministre sur l'âge de la retraite. « Elle nous prend pour des enfants, des élèves », relèvent ceux qui, au contraire, se montrent agacés par les longues explications - pas toujours très rigoureuses - de la ministre sur les dépenses publiques et la dette.

    Celle qui a entretenu des relations chahutées avec la presse paraît « accessible » et « sympathique » aux yeux des panélistes. La ministre, qui devait passer une heure et demie dans nos locaux, y est restée finalement près de trois heures. Comme un parfum de « grand débat »…

    PARCOURS ET POLITIQUE

    LP/Olivier Arandel
    LP/Olivier Arandel LP/Olivier Arandel

    Bernard Vautier. Ne craignez-vous pas d'être une cible de par vos fonctions mais aussi votre couleur de peau ?

    SIBETH NDIAYE. Quand vous êtes porte-parole, il faut s'attendre à être l'objet de critiques et il faut savoir les supporter. Quant au racisme, je suis vaccinée. Je pense plus à mes enfants, notamment mes deux filles de neuf ans qui commencent à comprendre. Mais la France, c'est aussi un pays où vous pouvez être considérés pour ce que vous êtes. Ce que pense une minorité de gens ne doit pas être généralisé.

    Marine Prud'hon. Vous avez trois enfants. Comment trouvez-vous votre équilibre entre vie professionnelle et vie privée ?

    A part avoir le mari le plus merveilleux de la terre, je ne sais pas… Il a accepté de mettre sa carrière entre parenthèses pendant des années. Je suis d'ailleurs favorable à une plus grande reconnaissance du congé parental pour les hommes. Avant d'accepter le porte-parolat, j'ai beaucoup hésité. Je me demandais si je pouvais allier les deux. Mais je me suis aussi dit que je pouvais peut-être servir d'exemple. Comme ma mère, magistrate, l'a été pour moi ainsi que mes trois grandes sœurs qui ont toutes fait un beau parcours.

    Sandra Biondo. Qu'est-ce que ça change de passer de conseillère communication d'Emmanuel Macron à porte-parole du gouvernement ?

    C'est un autre point de vue. Le président fixe le cap, la vision. Le Premier ministre et le gouvernement mettent en œuvre cette politique et sont attentifs à ce que les réformes soient bien appliquées. En fait, ce que je découvre, c'est qu'on travaille plus au gouvernement qu'à l'Elysée (rires) Vous mettez vraiment les mains dans le cambouis, vous êtes dans un contact très direct avec les Français. Dans les deux ans qui viennent de s'écouler, c'est peut-être un peu ce qui m'a manqué.

    Bernard Vautier. Envisagez-vous une carrière d'élue ?

    Non. On m'a déjà proposé d'être élue, dans un autre parti, une autre vie. Je ne l'ai jamais souhaité. J'ai beaucoup d'admiration pour ceux qui s'engagent mais je ne sais pas si j'en serais capable. Le grand changement qu'a apporté en Marche !, c'est de considérer qu'il fallait avoir des gens qui ne soient pas des professionnels de la politique, mais des professionnels en politique. Autrement dit, qu'il fallait avoir de la compétence, de l'envie, mais qu'on ne pouvait pas l'être à vie.

    GRAND DÉBAT

    Pour Sibeth Ndiaye, « le grand débat a fait émerger des questions nouvelles comme la revalorisation des retraites ». LP/Olivier Arandel
    Pour Sibeth Ndiaye, « le grand débat a fait émerger des questions nouvelles comme la revalorisation des retraites ». LP/Olivier Arandel LP/Olivier Arandel

    Bernard Vautier. Je perçois une retraite modeste et j'ai voté pour Emmanuel Macron. Mais je suis déçu. Je me demande ce que vous pourriez nous annoncer à l'issue du grand débat même si, franchement, je n'en attends rien…

    Je pense que ce moment a été très utile. Il faut pouvoir entendre ce qui s'est dit et voir comment changer les choses. Mais notre constat de départ, le chômage, les gens empêchés dans leur vie quotidienne, ce constat ne change pas. Il n'y aura pas d'effet de balancier ; ce ne serait pas sérieux. Mais ce que je peux dire avec force, c'est que, après ce débat, rien ne sera comme avant. Les gens ont besoin d'être beaucoup plus associés aux décisions. Il y a aussi un sentiment d'injustice, en matière fiscale notamment, et il faudra aussi qu'on y réponde.

    Jean-François Tarlet. Ne faudrait-il pas réduire les dépenses de l'Etat et le nombre de fonctionnaires ?

    On dépense trop d'argent public, ce qui génère de la dette. Cette dette, ce sont nos enfants, nos petits-enfants qui auront à l'assumer. Quant aux fonctionnaires, je veux d'abord leur rendre justice car ils sont souvent vilipendés alors que ce sont des gens très engagés, qui n'ont pas des salaires mirifiques. Ceci étant dit, pour réduire la dépense publique, il faut aussi réduire le nombre de fonctionnaires et c'est pourquoi nous maintenons notre objectif de 120 000 suppressions de postes. Jusqu'à maintenant, on avait beaucoup réduit le nombre de fonctionnaires de terrain. Des sous-préfectures, des services publics locaux, des hôpitaux même ont été fermés et ça n'était pas la bonne méthode. Ma conviction, c'est qu'il faut rééquilibrer, faire en sorte qu'il y ait des fonctionnaires qui soient utiles au plus près des gens.

    Segayne Koita. Le gouvernement va-t-il reculer l'âge de départ à la retraite ?

    Lorsque Emmanuel Macron était en campagne, il a promis de réformer les retraites. L'objectif était de rendre le système plus juste et plus transparent en construisant un régime universel sans modifier l'âge légal de départ à la retraite. Des concertations ont été menées par Jean-Paul Delevoye avec les organisations syndicales depuis un an sur la base de ce mandat qui est inchangé. En parallèle, il y a eu le grand débat qui a fait émerger des questions nouvelles comme la revalorisation des retraites ou la prise en charge de la dépendance. Il y a une génération de baby-boomers qui doit aider à la fois ses aînés en Ehpad mais aussi, du fait de la crise économique, les quadras et les trentenaires… Cette catégorie importante de la population a aussi une crainte : le grand âge et la dépendance. Comment va-t-on le financer? Doit-on mettre en place un impôt nouveau alors que nous souhaitons les baisser ou faut-il plutôt travailler plus, par exemple en renonçant à un jour de congé comme avec le lundi de Pentecôte ou en reculant l'âge de départ à la retraite. Tant que le Président ne s'est pas prononcé à l'issue du grand débat, toutes ces options sont sur la table.

    Alderic Guiard. Comment le gouvernement va-t-il répondre à la dégradation des services publics, notamment en milieu rural ?

    Je pense qu'il y a des manières modernes de faire vivre les services publics. On peut favoriser les regroupements ou mettre en place des fonctionnaires plus polyvalents. On peut aussi multiplier des bus pour faire venir les administrations au plus près des citoyens. Pour les maternités, on pourrait développer les maisons de naissance.

    Marine Prud'hon. Allez-vous rétablir la taxe carbone ?

    La crise des Gilets jaunes prouve que les Français ne sont pas favorables à une fiscalité qui changerait les habitudes en matière d'écologie. On ne va pas dire, « Vous avez manifesté contre la taxe carbone mais on vous la remet à la fin ! » Donc il faut trouver d'autres solutions pour créer un consensus et lutter contre le réchauffement climatique.

    EUROPE

    « La force de l’Union européenne est que l’on peut avancer sur certains points, même si, politiquement, on est en désaccord. » LP/Olivier Arandel
    « La force de l’Union européenne est que l’on peut avancer sur certains points, même si, politiquement, on est en désaccord. » LP/Olivier Arandel LP/Olivier Arandel

    Estelle de Talhouet Roy. Etes-vous prêts à accorder un nouveau délai à Theresa May sur le Brexit ?

    Il y a un Conseil européen la semaine prochaine et une décision sera prise à cette occasion. Quand un peuple prend une décision à travers un référendum, mieux vaut la respecter sinon cela affaiblirait la démocratie. C'est vrai que le Royaume-Uni vit un moment difficile. Du côté européen, on s'est préparé à toute éventualité, y compris une sortie brutale sans accord. Ce qui n'est pas notre volonté. Pour la France, le Royaume-Uni est, et restera, notre allié. Mais ce n'est pas à nous d'intégrer les difficultés des autres.

    Raphaël Cario. Comment allez-vous gérer les relations avec l'Italie de Matteo Salvini ?

    Avec l'Italie, on a une histoire très ancienne traversée par la Seconde Guerre mondiale et par la volonté de la dépasser grâce à la création de l'Europe. Cette dimension historique, il ne faut jamais l'oublier. L'Italie est un partenaire important. Avec le gouvernement italien, on se dit les choses clairement. Cela nous permet de nous mettre d'accord sur certains dossiers comme les travailleurs détachés ou la pêche électrique. C'est la force de l'Union européenne : on peut avancer sur certains points, même si politiquement on est en désaccord. Nous défendons pour notre part un projet progressiste, pour une Europe souveraine et qui protège, et non un projet de repli sur soi. Mais au final, ce sont les peuples qui décident, chacun dans son pays. Après les élections, on s'organisera en fonction de ce résultat.

    BIO EXPRESS

    13 décembre 1979. Naissance à Dakar (Sénégal).

    1999-2006. Militante à l'Unef.

    2002. Adhère au PS.

    2008-2011. Chef du service de presse de Claude Bartolone, président du conseil général de Seine-Saint-Denis.

    2013-2014. Conseillère presse du cabinet d'Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif.

    2014-2016. Conseillère presse du cabinet d'Emmanuel Macron, ministre de l'Economie.

    2016. Naturalisée française.

    2017-2019. Conseillère presse et communication à l'Elysée.

    31 mars 2019. Nommée secrétaire d'Etat et porte-parole du gouvernement.

    LP/Olivier Arandel
    LP/Olivier Arandel LP/Olivier Arandel

    Autour de Sibeth Ndiaye (de gauche à droite) : Estelle de Talhouet Roy, 58 ans, entrepreneur photographe, Paris ; Bernard Vautier, 65 ans, retraité, L'Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne) ; Sandra Biondo, 25 ans, responsable pédagogique, Paris ; Aldéric Guiard, 32 ans, chargé de mission, pantin (Seine-Saint-Denis) ; Ségayne Koita, 20 ans, étudiante en BTS, Versailles (Yvelines) ; Jean-François Tarlet, 31 ans, conseiller en patrimoine, Lorient (Morbihan) ; Raphaël Cario, 20 ans, étudiant Normale Sup, Paris ; Marine Prud'hon, 29 ans, décoratrice, Paris.