une femme intimidée par un homme

Cette boîte de production dénonce les violences sexuelles en temps de guerre

© Zero Impunity - a_Bahn

À l’aide d’un pool de 12 journalistes indépendantes, la société a_BAHN dévoile #ZeroImpunity : un film transmedia et une enquête sur l’impunité des crimes sexuels perpétrés en conflits armés.

Quelques mois avant l’explosion du mouvement #MeToo en 2017, a_BAHN, société de production luxembourgeoise s’apprête à mener l’enquête. Militante par choix et spécialisée en narration transmedia, la société lève l’omerta sur un sujet tabou et censuré : l’impunité des crimes sexuels lors de conflits armés.

Conceptualisé depuis plus de quatre ans, ce combat propulse ses 4 dirigeants (Marion Guth, François le Gall, Nicolas Blies et Stéphane Hueber-Blies) au-delà de leurs fonctions d’origine et les pousse à investiguer, faute de documentation suffisante. À l'aide de Mediapart, du collectif Youpress et d'un consortium d’une quinzaine de médias indépendants, ils dévoilent le projet #ZeroImpunity : une enquête de terrain internationale, une pétition, un mouvement citoyen et surtout, un film poignant témoignant du sort de femmes, d’hommes et d’enfants abusés sexuellement en zone de conflit. Ukraine, Syrie, États-Unis, France, République Centrafricaine… tour d’horizon d’un fléau qui ne condamne pas ses coupables.

Le projet Zero Impunity s’articule autour d'un long métrage documentaire réalisé par Nicolas Blies, Stéphane Hueber-Blies et co-réalisé avec Denis Lambert.

L’objet de Zero Impunity est le même que celui de #MeToo : la libération de la parole. Quand on commence à parler, on commence à soigner et à réparer, au sens de la morale comme de la justice.

Libérer la parole des victimes

Zero Impunity - a_BAHN

« Le sujet des violences sexuelles en zone de guerre est encore peu connu et peu médiatisé. En clair, on n’en parle pas, explique François Le Gall, producteur chez a_BAHN. Notre objectif est de faire émerger la parole des victimes et de pointer du doigt la question de l’impunité : pourquoi personne n’est jamais condamné ? Pourquoi, surtout, quand on sait que nos propres armées sont aussi concernées ? » Actuellement présenté dans plusieurs festivals, le film Zero Impunity aborde notamment la mise en cause de casques bleus et de soldats français dans des accusations de viol en Centrafrique.   « L’objet de Zero Impunity est le même que celui de #MeToo : la libération de la parole. Quand on commence à parler, on commence à soigner et à réparer, au sens de la morale comme de la justice. »

Zero Impunity - a_BAHN

Très vite, les équipes réalisent qu’un travail d’investigation sera nécessaire car peu d’informations ont été compilées sur le sujet. Avec Leïla Miñano, journaliste indépendante et autrice d’un premier livre sur les violences sexuelles dans l’armée française, a_BAHN constitue un pool de 12 femmes journalistes. « Nous les avons missionnées sur 6 terrains d’investigation qui soulèvent ces mêmes questions d’impunité : du simple militaire en Ukraine ou en Syrie jusqu’aux hautes sphères de l’ONU, révèle François Le Gall. Elles ont passé quatre mois en vase clos dans une war room. Nous avions loué un appartement dans le 13ème pour qu’elles puissent travailler, parce que nous avions peur des fuites. Elles ont d'ailleurs reçu des pressions de la part de l’ONU, de l’Armée française et du ministère de la Défense. Il y a en effet eu quelques tentatives d’intimidation ».

Abus de pouvoir, techniques d’humiliation et de torture sexuelle, silence des autorités responsables… leurs investigations ont donné lieu à 6 enquêtes aujourd’hui disponibles en ligne. « Les lire fut une révélation. Il y a des témoignages très durs, très forts que nous n’avions jamais entendus auparavant. Nous avons alors décidé de tout mettre en ligne ». Deux des fondateurs de Mediapart, Edwy Plenel et François Bonnet, acceptent de les publier telles quelles. Le 3 janvier 2019, les médias partenaires de l’initiative publiaient une première enquête au même moment, avant d’en publier une tous les 15 jours.

Zero Impunity - a_BAHN

Le journalisme au service d'un transmedia activiste

Avec plus d’un million de lectures et de nombreuses reprises dans des médias traditionnels, le projet décolle enfin. Désormais, il s’agit d’inciter les internautes à réagir, à « transformer l’émotion en action » en s’engageant. Sur Change.org, trois pétitions affiliées au mouvement #ZeroImpunity circulent et ont déjà recueilli plus de 400 000 signatures. La première vise à modifier la législation ukrainienne qui ne reconnaît pas les sévices sexuels comme des crimes lors d’un conflit armé. La deuxième entend mettre fin à l'impunité de l'armée américaine en matière de tortures sexuelles et la troisième milite pour un plan de formation sur les violences sexuelles dans les écoles militaires françaises.

En signant l’une de ces pétitions, vous rejoignez automatiquement une marche virtuelle, sorte de « data-visualisation » des individus qui soutiennent le mouvement. En parallèle, une campagne de vidéo-projection sauvage met en scène des citoyens (en France, aux États-Unis, en Jordanie, en Ukraine…) témoignant de leur soutien. Même le président français a eu droit à une petite surprise au lendemain de son élection.

Pour François Le Gall, Zero Impunity s’inscrit dans le sillon du documentaire à « impact social » , un mouvement particulièrement fort aux États-Unis. « Il y a cette idée qu’au-delà des émotions générées par un film, il faut les utiliser pour changer les choses concrètement, influencer la société, les politiques publiques, faire changer les comportements », explique le producteur. Aux États-Unis, le documentaire est de plus en plus vu comme un moyen de faire émerger des minorités, de mettre sur la table des problèmes de racisme, des enjeux de diversité et de genre. Je pense que l’arrivée de Trump au pouvoir et le mouvement #MeToo ont amplifié tout ça ».

Le projet Zero Impunity est le premier pas de la société a_BAHN dans un positionnement éditorial à la croisée des genres, entre cinéma, digital et activisme.  « L’idée d’origine était de créer, comme le définit Edwy Plenel, une "arme pacifique", un objet audiovisuel et multimédia qui éveille le public et l'engage dans des actions concrètes, poursuit François Le Gall.

« Le travail d’une vie »

Depuis les débuts du projet, les équipes accompagnent aussi des associations. Récemment, l'équipe du film affichait son soutien à la Fondation du Dr Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix en 2018. Surnommé « l’homme qui répare les femmes », le gynécologue est connu pour ses actions au Congo auprès de femmes victimes de viols particulièrement brutaux.

« Notre mission est aussi de soutenir les actions de nos ONG partenaires sur le terrain. Depuis le début, nous soutenons par exemple l’activiste ukrainienne Oleksandra Matviychuk (Center for Civil Liberties) ou encore le lanceur d'alerte Peter Gallo », rapporte François Le Gall. Pour a_BAHN, l'idée n'est pas de remplacer ces experts (avocats, médecins, assistants sociaux, activistes...), mais bien d'en être le porte-parole.  « Il est compliqué de savoir quand on doit s’arrêter, admet le producteur. C’est presque le travail d’une vie. Mais c’est ce qu’on aime aussi, ce dépassement de fonction perpétuel. En transmedia, chaque projet est différent et il y a cette volonté de faire plus qu’un simple film. Plus on les enchaîne, plus on veut soutenir des causes, mais au bout d’un moment, il faut passer le relais ! »

La société de production travaille d'ailleurs à la création d'un autre film d'animation, Ghost Dance, sur le thème du féminicide. Explorant différentes danses et les questions sociales qu'elles portent, le film aura pour vocation de sensibiliser les jeunes publics aux violences genrées. 


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Margaux Dussert

Diplômée en marketing et publicité à l’ISCOM après une Hypokhâgne, Margaux Dussert a rejoint L’ADN en 2017. Elle est en charge des sujets liés à la culture et la créativité.
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