Course à la Lune : demandez le programme !

Les États-Unis viennent d’avancer à 2024 leur projet de retour sur la Lune. La convoitise pour ses ressources naturelles, le prestige de la conquête ou d’autres ambitions expliquent la multiplication des projets lunaires. On fait le point sur la calendrier lunaire des principaux acteurs spatiaux.

Course à la Lune : demandez le programme !

L’administrateur de la Nasa, Jim Bridenstine, a confirmé le 2 avril devant le Congrès américain ce qu’avait déjà suggéré Donald Trump et annoncé le vice-président des Etats-Unis, Mike Pence, le 26 mars : les Américains projettent de marcher à nouveau sur la Lune dès 2024 (contre 2028 précédemment) avant de mettre le pied sur Mars en 2033.

Ce calendrier resserré n’est qu’une surenchère américaine supplémentaire dans la course à la Lune que se livrent la quasi-totalité des acteurs spatiaux. Le prestige et les enjeux géopolitiques, les ressources stratégiques exploitables et la possibilité de faire de notre satellite un tremplin vers Mars expliquent en partie ce regain d’intérêt pour la Lune. Retour sur les projets et les ambitions lunaires affichées à ce jour par chacune des puissances spatiales.

États-Unis : une femme sur la Lune en 2024 et la « domination spatiale »

Donald Trump rêve de rejouer la conquête spatiale de la guerre froide. Dès 2017, le président des États-Unis annonçait sa volonté de renvoyer des Américains fouler le sol lunaire. Il n’a cessé depuis de réaffirmer son ambition de « dominer l’espace  », et d’alerter sur les risques d’être dépassé par les ennemis de l’Amérique. Mike Pence, qui n’a pas hésité à rapprocher Donald Trump de John F. Kennedy, deux « rêveurs  » visionnaires, a notamment déclaré le 26 mars : « Nous sommes engagés dans une course spatiale tout comme dans les années 1960, mais les enjeux sont plus importants. […] Nous sommes en course contre nos pires ennemis  », a-t-il même asséné, pointant comme Donald Trump les velléités spatiales russes et chinoises.

Ce retour accéléré sur la Lune, en à peine 5 ans, pourrait permettre au président américain de s’arroger les mérites de l’exploit juste avant la fin d’un éventuel second mandat. Mais le réalisme du projet a été vivement remis en question par de nombreux observateurs. D’abord à cause du retard pris dans le développement du Space Launch System (SLS), le lanceur de Boeing qui sera chargé de faire décoller les astronautes vers la Lune. Rattraper le retard nécessitera probablement de nouveaux investissements, a prévenu Jim Brindenstine, alors que le SLS a déjà coûté 10 milliards de dollars.

Or, le manque de moyens financiers est précisément l’autre point faible reproché aux ambitieuses deadlines de l’administration Trump. Si le budget de la Nasa pour 2019 est monté à 21,5 milliards de dollars, le plus important depuis de nombreuses années, il reste très loin de celui alloué à l’agence dans les années 1960 au plus fort du développement du programme Apollo. Surtout, le budget devrait être revu à la baisse de 500 millions de dollars en 2020. Jim Brindenstine a fait savoir lors de son audition par le Congrès qu’il communiquerait ses nouvelles demandes budgétaires, cohérentes avec un retour sur la Lune en 2024, aux alentours du 15 avril.

Si la tenue du calendrier pour cette mission est plus qu’incertaine, la présence d’une femme dans l’aventure a en revanche été actée. « Pour être clair : la première femme et le prochain homme sur la Lune seront tous les deux des astronautes américains, envoyés par une fusée américaine depuis le sol américain  », a promis Mike Pence lors de son discours du 26 mars. L’occasion de réparer l’affront de Valentina Terechkova, première femme envoyée dans l’espace, par les Soviétiques en 1963.

Chine : un taïkonaute sur la Lune en 2036

Le 3 janvier, le module chinois Chang’e-4 est devenu le premier engin humain à se poser sur la face cachée de la Lune. Une première historique qui symbolise les progrès fulgurants de la Chine. Pékin avait, dès 2017, publié une ambitieuse planification de sa conquête spatiale. La construction d’une série de lanceurs de plus en plus lourds, voués à être réutilisables, doit aboutir à la mise au point de la fusée Longue Marche 9 en 2035, qui enverra un astronaute chinois – autrement baptisé taïkonaute – fouler le sol lunaire en 2036.

Dans l’intervalle, la Chine prévoit d’envoyer d’autres sondes sur la Lune pour explorer ses pôles et ramener des échantillons sur Terre. Des expériences françaises devraient notamment être associées à la mission Chang’e-6 qui doit collecter des échantillons du pôle sud lunaire en 2023–2024. À l’horizon 2040, les Chinois réfléchissent à l’installation d’une base permanente, en collaboration internationale.

La politique lunaire de Pékin s’inscrit dans leur projet global de grandeur et leur recherche de prestige, qui doit tout autant nourrir le nationalisme de sa population qu’atteindre l’objectif de devenir la « première puissance spatiale » en 2045. Un calendrier à prendre au sérieux puisque la Chine est réputée pour tenir ses délais en la matière.

L’exploration de la face cachée et des pôles a aussi pour objectif de recenser les ressources potentiellement exploitables sur la Lune. Des métaux rares, indispensables pour nos appareils électroniques, pourraient abonder sur la Lune. L’hélium-3 y est également bien plus présent que sur Terre et pourrait s’avérer être un carburant précieux pour alimenter des réacteurs à fusion. Mais la technologie de la fusion est très loin d’être maîtrisée et l’intérêt de ces ressources, potentiellement hautement stratégiques, reste très spéculatif.

Russie : La revanche des cosmonautes en 2030 ?

C’est « l’ennemi  » historique, pour reprendre la terminologie de Donald Trump. Dans les années 1960, les Soviétiques ont essuyé de nombreux échecs dans la course à la Lune qui les opposait aux Américains. Ils ont fini par renoncer à l’envoi de cosmonautes sur notre satellite et à se contenter de missions robotiques dans les années 1970.

Depuis 2011 et la mise au garage des navettes spatiales américaines, l’orgueil national russe s’est quelque peu redressé : les astronautes américains sont aujourd’hui tributaires des lanceurs Soyouz pour rejoindre la Station spatiale internationale. Une dépendance insultante pour Washington et qu’a encore déploré Mike Pence dans son discours. Mais la Russie aimerait surtout ne pas rater la prochaine marche, ni laisser le prestige et les ressources de la Lune aux Chinois et aux Américains. « Je suppose qu’a commencé une course à la Lune  », a acté le directeur adjoint de Roscosmos, l’agence spatiale russe, en évoquant « une certaine compétition entre trois puissances spatiales  », dans des propos relayés en mars 2019 par Russia Beyond.

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L'atterrisseur Luna-Glob, imaginé pour le programe d'exploration lunaire de la Russie.

Les Russes prévoient l’envoi de missions robotiques sur la Lune – Luna 27 notamment – au début des années 2020. Ensuite, c’est bien l’alunissage des premiers Russes sur la Lune qui est prévu. La date a d’abord été annoncée pour 2029, puis 2030, et finalement 2031, selon les informations publiées en février par Sputniknews, média proche du pouvoir russe. La mission pourrait ensuite être suivie d’autres en 2032 et 2033 pour préparer la construction d’une base lunaire.

Tenir les délais dépendra notamment pour les Russes de la mise au point d’un nouveau lanceur « super-lourd  » nécessaire à la conduite d’une mission habitée vers la Lune. Le développement de ce nouveau lanceur, baptisé Yenisei, a démarré en 2018, pour un premier vol d’essai prévu pour 2028. Une date sans doute plus qu’optimiste, étant donné les échecs et retards récurrents de l’industrie spatiale russe, minée par des problèmes de corruption.

Europe : Des robots en 2025 et un village lunaire ?

La mission n’est qu’à l’état d’étude mais elle pourrait faire parler. L’agence spatiale européenne (ESA) a confié en janvier à ArianeGroup une étude sur la faisabilité d’une mission « 100 % européenne » visant à poser un robot sur la Lune pour y exploiter le régolithe, « minerai duquel il est possible d’extraire eau et oxygène, permettant ainsi d’envisager une présence humaine autonome sur la Lune ; et aussi de produire le carburant nécessaire à des missions d’exploration plus lointaines », précise le communiqué de presse d’ArianeGroup.

Si la mission venait à être validée, elle pourrait alunir « avant 2025  ». Ce serait la première fois que l’Europe poserait un engin sur la Lune, privilège aujourd’hui réservé aux trois puissances spatiales : États-Unis, Russie, Chine. Un avantage pour l’Europe : le lanceur prévu pour cette mission est déjà en cours de finalisation. Ariane 6, capable de transporter 8,5 tonnes dans sa version lourde, doit remplacer Ariane 5 dès 2020.

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La base lunaire permanente imaginée par l'ESA. Crédit : ESA/Foster

L’autre projet tout aussi hypothétique défendu par l’ESA, c’est la construction d’un « village lunaire  » dès 2030, fruit d’une coopération internationale regroupant les projets de base lunaire qui intéressent de nombreux acteurs spatiaux. Dans sa vision la plus ambitieuse, le village lunaire défendu par le directeur général de l’ESA, Jan Wörner, abriterait « un millier  » d’astronautes accompagnés de leurs familles en 2050. Cette volonté de faire fructifier la coopération internationale caractérise bien la vision spatiale de l’Europe. À défaut d’avoir jamais mené d’exploit lunaire en solitaire, l’ESA place ses billes en se greffant à de nombreux projets. Elle collabore au projet de station orbitale lunaire américaine Gateway et participe entre autres à la mission russe Luna 27 et à la mission chinoise Chang’e-6.

Inde : La quatrième puissance lunaire dès 2019 ?

Le lancement de Chandrayaan-2 vient d’être reporté en raison de problèmes techniques. Pour la sixième fois. Mais la mission, qui prévoit l’alunissage d’un atterrisseur et d’un rover devrait finir par décoller et faire de l’Inde la quatrième puissance capable de poser seule un appareil sur la Lune.

En retard sur la Chine, son principal concurrent asiatique fait malgré tout des progrès tout aussi fulgurants dans sa course vers l’espace. 32 missions sont programmées rien que pour 2019 et l’envoi des trois premiers Indiens dans l’espace est promis pour 2022. Sachant que la date initiale de lancement de Chandrayaan-2 était en 2013, l’objectif de 2022 est donc à considérer avec précaution.

Comme ses concurrents, l’Inde lorgne sur les ressources lunaires, notamment son hélium-3. La quête de prestige est également importante dans la démonstration de puissance qui oppose New Delhi à Pékin. La démonstration de force de l’Inde, qui a fait exploser l’un de ses satellites fin mars – multipliant au passage le nombre de débris spatiaux potentiellement mortels pour les astronautes – donne un aperçu de l’ambiance.

Japon, Israël, les milliardaires et les autres…

Le prestige de toucher la Lune s’accommode de quelques compromis. Certaines nations n’ayant pas les capacités de mener seules leurs ambitions jusqu’à la Lune tentent ainsi de l’atteindre avec l’aide de plus gros partenaires. La sonde israélienne Beresheet, de l’entreprise SpaceIL, devrait ainsi se poser sur la Lune dès le 11 avril. Même si elle a bénéficié de la technologie de SpaceX lors de son lancement, la sonde devrait faire la fierté d’Israël qui rejoindra le petit club des pays ayant touché notre satellite.

Le Japon, puissance spatiale confirmée, entend quant à lui poser à son tour un homme sur la Lune. La Jaxa, l’agence spatiale nippone, n’ayant pas les moyens de mener à bien une telle mission, le premier Japonais sur la Lune pourrait alunir dans le cadre d’une mission internationale dans les années 2030.

Les grandes compagnies du « new space » lorgnent elles aussi sur le pouvoir attractif de la Lune. SpaceX a officialisé son premier touriste lunaire, qui a payé un ticket pour faire le tour de la Lune en orbite en 2023. Mais l’entreprise spatiale d’Elon Musk pourrait même être au tout premier plan de la course à la Lune, la Nasa ayant laissé entendre que la fusée Falcon Heavy du milliardaire pourrait finalement être choisie pour transporter les astronautes américains sur la Lune en 2024, d’après Ars Technica.

De quoi piquer au vif son alter ego, l’autre milliardaire Jeff Bezos qui, dès mai 2018 annonçait son ambition de coloniser la Lune. L’homme le plus riche du monde se dit très intéressé par le projet de « village lunaire » défendu par l’ESA, mais son entreprise Blue Origin est prête à relever le défi en solo (pour sauver l’humanité en exploitant la Lune plutôt que la Terre) en baptisant une colonie sélénite d’ici une centaine d’années, assure-t-il. Si tout le monde tient ses promesses, il a peu de chances de se sentir seul.

 

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