ÉCONOMIE - Ce n’est pas ça qui va réchauffer les relations franco-américaines. Savoir qu’une entreprise française sera concernée par la taxe Gafa ne suffira pas à faire accepter ce projet par Washington. Mais malgré les multiples avertissements des dirigeants américains, la France compte bien, coûte que coûte, taxer les géants du numérique.
Cette fameuse taxe qui tient son nom de Google, Amazon, Facebook et Apple est discutée à partir de ce lundi 8 avril à l’Assemblée nationale. Portée par Bruno Le Maire, elle est une déclinaison nationale d’un projet que la France aurait voulu européen, mais qui s’est heurté à l’hostilité de quelques voisins. Qu’à cela ne tienne, le gouvernement qui en fait un premier pas vers une “fiscalité du XXIe siècle, plus juste et plus efficace” a décidé d’établir ses critères et de les appliquer dans l’Hexagone.
Cette taxe, annoncée en pleine crise des gilets jaunes, doit concerner les activités numériques qui “créent de la valeur grâce aux internautes français”. Elle concernera les grandes entreprises qui réalisent plus de 750 millions de chiffre d’affaires (CA) dans le monde, dont 25 millions en France. Elles seront alors taxées à hauteur de 3% sur leur CA sur les publicités en ligne, la vente à des tiers des données personnelles et l’“intermédiation” (mise en relation, par des plateformes, entre entreprises et clients).
Une trentaine d’entreprises seront concernées, selon les déclarations faites Bruno Le Maire au moment de la présentation du texte en conseil des ministres. “Les groupes seront majoritairement américains, mais aussi chinois, allemands, espagnols ou encore britanniques. Il y aura également une entreprise française et plusieurs autres sociétés d’origine française, mais rachetées par des grands groupes étrangers”, détaillait-il dans Le Parisien.
Critéo: créé en 2005, coté au Nasdaq en 2013
Mais impossible pour Le HuffPost ou n’importe quel autre média d’obtenir une liste nominative officielle. Quand on demande à l’entourage du ministre, il se réfugie derrière “le secret fiscal”. Il précise aussi que tous les groupes reçus début mars à Bercy (Amazon, eBay, Facebook, Google, Microsoft, Snapchat, Twitter, Criteo, Solocal, Fnac Darty, Blablacar, Cdiscount, Orange, Se Loger, Spotify) ne seront pas touchés.
Pour prévoir qui sera effectivement concerné, il faut donc s’en remettre pour le moment aux évaluations réalisées par des cabinets indépendants. L’étude la plus précise publiée le 20 mars par Les Echos émane du cabinet Taj qui était mandaté par l’Association de l’industrie numérique et informatique (CCIA). Elle chiffre à 27 le nombre de groupes touchés. On retrouve bien sûr les quatre Gafa, mais aussi des noms bien connus comme Alibaba, Ebay, Zalando, mais aussi Microsoft ou Uber.
Comme Bruno Le Maire l’avait laissé entendre, une seule entreprise française est directement visée: il s’agit de Criteo. Cette pépite de la French Tech créée à Paris en 2005 par son actuel PDG Jean-Baptiste Rudelle (ci-dessous) est cotée au Nasdaq, de l’autre côté de l’Atlantique depuis 2013. Ce groupe qui travaille dans le ciblage publicitaire s’est fait une spécialité de l’étude des cookies et des habitudes de navigation des internautes. Il est aujourd’hui implanté dans une quinzaine de pays et même si des questions sur son modèle de croissance, il a réalisé en 2018 un chiffre d’affaires de 2,3 milliards de dollars pour un bénéfice net de 96 millions de dollars.
D’autres entités françaises désormais sous pavillon étranger devraient valoir à leur maison-mère de payer cette taxe. Cela pourrait être le cas de Meetic (via Match.com), du Bon Coin (via le groupe norvégien Schibsted) et de Priceminister (via la firme japonaise Rakuten).
Pourquoi Accor ou Darty sont exemptés
Selon le cabinet Taj, le groupe Accor (propriétaires des hôtels Mercure, Novetel, Ibis...) devrait en revanche échapper pour sa part à la taxe. Comment l’expliquer alors que son chiffre d’affaires est conséquent et que des géants de l’hôtellerie et du voyage (comme Booking, Expedia, Airbnb ou Tripadvisor) seront concernés? “Le chiffre d’affaires représenté par les commissions d’intermédiation nous semble légèrement trop faible pour rentrer dans les seuils”, expliquait dans Les Echos, Julien Pellefigue, associé chez Taj.
C’est un peu la même logique qui vaut à Darty d’être exempté de la taxe alors que ses concurrents internationaux de la vente en ligne devront la payer. “Nous visons les plateformes qui touchent une commission pour mettre en relation des clients et des entreprises, précisait Bruno Le Maire dans Le Parisien. Une entreprise qui met en vente sur son site ses propres marchandises n’aura pas à s’en acquitter. Par exemple, Darty vend ses téléviseurs ou ses lave-linge sur son site Internet, il ne s’agit pas de mise en relation entre deux internautes, cette activité ne sera pas taxée. En revanche, quand Amazon est rémunéré comme intermédiaire numérique entre un producteur et un client, là, ce sera taxé.”
Mais comme le précisait le porte-parole du cabinet Taj dans Les Echos, “il s’agit d’une liste hypothétique”. Ce n’est pas avant la fin de l’année que l’on saura exactement combien d’entreprises sont rentrées dans le cadre. On connaîtra aussi alors le rendement de cette taxe. Pour 2019, le gouvernement espère récolter 400 millions d’euros avant d’atteindre 650 millions en 2022.
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